Sur Hautes instructions royales, le Maroc opère une mue profonde de sa gouvernance territoriale, faisant de la lutte contre les disparités et de l'intelligence collective les leviers d'un développement plus juste et plus efficace. Détails. Un processus est en marche. Une méthode est déployée. Des mécanismes sont activés. L'intention est claire, les outils sont posés. Le résultat, lui, dépend d'une alchimie subtile entre volonté, coordination et persévérance. L'avenir territorial du Maroc se joue maintenant dans la rigueur de l'exécution. C'est dans ce contexte que l'effervescence des 47 rencontres de concertation provinciales, organisées en moins de dix jours (5-13 novembre 2025) autour de la nouvelle génération de Programmes de développement territorial intégré, marque un tournant décisif dans la gouvernance locale marocaine. Loin d'être de simples réunions protocolaires, ces assises révèlent une refonte profonde de la philosophie et des méthodes d'intervention publique, avec des implications directes et concrètes pour les acteurs économiques. Mieux, loin d'être de simples appels à projets, la nouvelle génération de programmes de développement territorial intégré instaure un cadre stratégique renouvelé, ouvrant des niches d'opportunités précises et imposant de nouveaux rôles aux entreprises, coopératives et investisseurs. Zoom sur les discours et dispositifs présentés ainsi que sur les déclarations et mécanismes révélés lors de ces 47 rencontres, afin d'en tracer les contours concrets. Un changement de paradigme : de la réalisation d'infrastructures à la création de valeur territoriale intégrée Le discours unanime des gouverneurs, tel que rapporté dans les dépêches, marque une rupture avec les approches sectorielles traditionnelles. Il ne s'agit plus seulement de construire des équipements, mais de générer un développement économique et social durable, ancré dans les spécificités locales et visant explicitement la justice spatiale et la réduction des disparités. Comme le souligne le gouverneur de Boulemane, Allal El Baz, «Le véritable développement se mesure à son impact tangible sur la vie des citoyens, et non au nombre de projets annoncés». Un recentrage sur les résultats et l'impact qui implique une reconfiguration profonde des attentes envers les acteurs économiques. Nouvelles niches d'opportunités stratégiques au-delà des grands chantiers L'analyse transversale des priorités citées dans les 47 rencontres révèle un changement de paradigme : la valeur économique se niche désormais dans la résolution des défis territoriaux spécifiques. La gestion durable de l'eau, érigée en urgence nationale face au stress hydrique, constitue un marché bien plus vaste que les seuls grands barrages. Elle ouvre un champ considérable pour des solutions décentralisées et innovantes, des stations de dessalement d'eaux saumâtres – comme le projet de 370 MDH pour cinq communes rurales à Boulemane – aux technologies d'efficacité hydrique comme l'irrigation de précision, la réutilisation des eaux traitées et les systèmes de monitoring intelligent des réseaux. Ce secteur génère une demande forte pour des services associés de maintenance et de gestion déléguée de petites unités, répondant à l'impératif, souligné par le gouverneur de Benguérir, Aziz Bouignane, «d'adopter un modèle de gestion durable et anticipatif, à même de garantir la sécurité hydrique». En parallèle, la valorisation des potentiels économiques locaux pour l'emploi crée un écosystème favorable aux acteurs de taille modeste. L'accent mis sur la transformation et la commercialisation locale des produits du terroir, les circuits courts et le branding territorial offre des débouchés renouvelés aux coopératives et aux TPE, à l'image des initiatives féminines citées à Boulemane. L'Economie sociale et solidaire tout comme l'entrepreneuriat local sont explicitement ciblés, comme le rappelle le gouverneur de Berkane, Hamid Chnouri, en évoquant «la valorisation des potentialités économiques locales et le soutien à l'investissement et à l'entrepreneuriat», ce qui se traduit par des opportunités dans les services de proximité, l'artisanat moderne et le tourisme communautaire. La mise à niveau territoriale intégrée dépasse également la simple infrastructure routière pour englober l'aménagement des centres ruraux émergents – véritables leviers d'organisation du territoire –, le déploiement de solutions d'énergie renouvelable décentralisées et le développement du numérique territorial, incluant la couverture réseau et les plateformes pour l'économie locale, une priorité déjà identifiée à Boujdour. Enfin, l'appui aux services sociaux de base comme l'éducation et la santé génère des niches dans les services et équipements spécifiques, tels que le transport scolaire – besoin massif souligné dans plusieurs provinces –, la télémédecine, ou encore les prestations de proximité pour la gestion et la maintenance des infrastructures. Nouveaux rôles et modalités d'implication : de l'exécutant au partenaire stratégique La nouvelle génération de programmes redéfinit fondamentalement la relation entre pouvoirs publics et acteurs économiques, transformant ces derniers de simples exécutants en véritables partenaires stratégiques. Comme le souligne le gouverneur de Taroudant, Mabrouk Tabet, «le succès exige la pleine mobilisation de tous les acteurs locaux tout en instaurant une culture du résultat et de la responsabilité». Une mutation qui se manifeste par une participation active aux diagnostics et à la planification, où les entreprises et coopératives sont systématiquement invitées à contribuer aux ateliers thématiques provinciaux, leur connaissance fine du terrain devenant un atout clé dans l'identification des besoins réels. La logique évolue vers une co-construction des projets, avec une exigence forte de propositions «réalistes et efficaces» répondant aux «besoins réels», comme le soulignent les gouverneurs de Driouch et Berkane, ce qui nécessite une capacité d'innovation contextuelle loin des solutions standardisées. Cette nouvelle responsabilité partagée s'accompagne d'une exigence de redevabilité accrue, où la transparence et la reddition des comptes deviennent des principes opérationnels, comme en témoignent les mécanismes d'évaluation annuels à Sidi Slimane et les plateformes numériques de suivi à Tanger-Assilah. Enfin, l'ancrage territorial devient un critère déterminant, les programmes privilégiant délibérément les acteurs locaux capables de valoriser les ressources et savoir-faire endogènes, à l'image de la coopérative féminine de Serghina à Boulemane ou de l'appel du wali d'Errachidia à «donner corps à des projets innovants à même d'améliorer l'attractivité territoriale». S'adapter ou passer à côté Ce nouveau cadre impose des ajustements stratégiques immédiats qui conditionnent l'accès aux opportunités émergentes. Pour les entreprises, particulièrement les PME et ETI, l'impératif est de développer une agilité et une innovation contextuelle leur permettant de concevoir des solutions sur mesure répondant aux priorités locales spécifiques, tout en établissant des partenariats locaux avec des coopératives et TPE pour renforcer leur légitimité territoriale. La maîtrise des outils de suivi-évaluation d'impact devient une compétence critique face aux exigences de transparence, comme en témoigne la plateforme numérique de Tanger-Assilah qui impose une nouvelle visibilité sur les réalisations. Les modèles économiques gagnent à évoluer vers une intégration systématique de la création d'emplois locaux et de l'ancrage communautaire, dépassant la seule logique de rentabilité financière. Pour les coopératives, la transition requiert une montée en compétence et une professionnalisation les faisant passer d'une logique de production à une logique de développement intégré, comme l'illustre Khadija Laymouni de la coopérative de Serghina, qui présente des «initiatives et solutions susceptibles de favoriser la relance des projets agricoles». Leur rôle s'élargit vers une pluralité de missions dans la chaîne de valeur territoriale, tout en nécessitant un renforcement du réseautage pour peser dans les concertations. Pour les investisseurs, l'évolution est tout aussi profonde : il s'agit d'orienter leurs critères vers l'impact territorial en intégrant la justice spatiale et la création d'emplois locaux comme leviers de performance, de développer le financement de nouveaux modèles dans les niches identifiées telles les technologies de l'eau ou l'économie sociale et solidaire, et d'adopter une logique de «patient capital» compatible avec les temporalités du développement territorial intégré. Un contrat territorial renouvelé Ainsi, les nouveaux programmes de développement territorial intégré ne constituent pas une simple mise à jour technique. Ils matérialisent un changement profond de philosophie de l'action publique, plaçant la co-construction, les résultats tangibles pour les citoyens et la justice spatiale au cœur du dispositif. Pour les entreprises, coopératives et investisseurs, cela se traduit par un élargissement des opportunités, notamment dans des niches cruciales comme la gestion durable de l'eau, la valorisation des ressources locales et circuits courts, et les services de proximité. Cependant, saisir ces opportunités requiert une transformation des postures. Passer de l'exécution à la co-conception, de la rentabilité immédiate à la création de valeur territoriale partagée et mesurable, et d'une logique sectorielle à une logique intégrée et ancrée localement. La réussite de ce chantier royal historique dépendra de la capacité de tous les acteurs économiques à endosser ces nouveaux rôles. Les mécanismes de gouvernance déployés (comités techniques provinciaux, plateformes numériques de suivi, contrats-objectifs) offrent un cadre opérationnel. Mais ils exigent une proactivité accrue pour s'approprier les diagnostics territoriaux et anticiper les appels à projets ciblés. En effet, les programmes seront structurés autour de quatre axes prioritaires (eau, emploi local, services sociaux, aménagement). Les entreprises gagneraient à développer des offres adaptées en amont. Toujours en matière de proactivité, les acteurs économiques auraient également tout intérêt à bâtir des coalitions locales efficaces. La complémentarité entre TPE, coopératives, PME, chercheurs et collectivités sera déterminante pour répondre aux appels complexes et garantir la durabilité des projets. Il s'agit, comme le préconise le gouverneur de Benslimane, El Hassan Boukouta, de «dépasser la dispersion des initiatives et instaurer une harmonie des politiques et une cohérence des interventions». Comment devenir le partenaire incontournable des territoires Au vu de ce qui précède, l'implication n'est plus optionnelle, mais stratégique. Les acteurs économiques qui sauront inscrire leur modèle dans cette logique de valeur territoriale partagée, de résilience climatique (face au stress hydrique omniprésent) et de création d'emplois ancrés deviendront les partenaires incontournables de cette nouvelle ère du développement national. Le temps est à l'action concertée et à l'innovation responsable, au service des territoires et des citoyens. Comme le rappelle la dynamique impulsée depuis les provinces, l'opportunité est historique : elle consiste à transformer la vision royale en réalisations économiques pérennes et inclusives. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO