Alors que le Maroc enregistre plus de 30 000 accidents vasculaires cérébraux (AVC) chaque année, les politiques de prévention et de prise en charge peinent à répondre à l'ampleur d'un fléau qui touche désormais de plus en plus de jeunes adultes. L'insuffisance de l'accès au diagnostic précoce, en particulier en milieu rural, aggrave une situation déjà critique. Toutes les 17 minutes, un Marocain est victime d'un AVC. Cette statistique, révélée par plusieurs études épidémiologiques nationales consolidées par le ministère de la Santé et de la Protection sociale, témoigne de l'ampleur silencieuse d'un drame sanitaire. En moyenne, plus de 30 000 AVC sont enregistrés chaque année, ce qui en fait l'un des premiers motifs d'hospitalisation en neurologie. La pathologie représente désormais la deuxième cause de mortalité au Maroc, avec plus de 33 000 décès annuels, selon les données de la Direction de la population. Mais au-delà de la létalité, le fardeau de l'AVC se mesure également en années de vie perdues et en invalidités chroniques : plus de la moitié des survivants conservent des séquelles motrices ou cognitives durables, compromettant leur autonomie et leur réinsertion sociale. L'évolution récente du profil des victimes inquiète les professionnels de santé. Si les personnes âgées demeurent les plus exposées, les adultes jeunes — notamment ceux âgés de 35 à 55 ans — sont de plus en plus concernés. Cette progression s'explique par la montée en puissance de facteurs de risque mal contrôlés : tabagisme, consommation de drogues, hypertension artérielle non dépistée, mais aussi alimentation déséquilibrée et sédentarité croissante, notamment en zones périurbaines. Lire aussi : Des chercheurs français réalisent de nouvelles avancées contre l'Alzheimer Selon les données de l'Enquête nationale sur les facteurs de risque des maladies non transmissibles (STEPS 2021), 29,3 % des Marocains souffrent d'hypertension artérielle, mais une large part l'ignore, faute de dépistage régulier. Parallèlement, près de 20 % des hommes fument quotidiennement, et la prévalence de l'obésité continue d'augmenter chez les femmes (29,4 % selon le HCP). Si la survenue d'un AVC nécessite une prise en charge dans les 3 à 4 heures après les premiers symptômes — période dite de la "fenêtre thérapeutique" —, le délai moyen d'admission dans les structures spécialisées au Maroc dépasse souvent 12 heures, selon les praticiens interrogés dans les CHU de Rabat et Casablanca. Les causes sont multiples : retard de reconnaissance des signes par les proches, absence de services de neurologie de proximité, déficit de personnel formé, ou encore faible disponibilité des unités neurovasculaires (UNV). À ce jour, le Maroc ne dispose que d'une dizaine d'UNV opérationnelles, concentrées dans les grandes villes, ce qui prive les populations rurales d'un accès équitable à une médecine d'urgence performante. Des politiques publiques encore balbutiantes Face à ce constat, le ministère de la Santé a lancé plusieurs chantiers structurants. La Stratégie nationale de prévention et de contrôle des maladies non transmissibles 2020–2029, élaborée avec l'appui de l'OMS, inclut l'AVC dans ses priorités. Parmi les objectifs fixés : réduction de 25 % de la mortalité prématurée liée aux maladies cardiovasculaires d'ici 2029, renforcement du dépistage précoce, et promotion de modes de vie sains à travers des campagnes nationales de sensibilisation. Un autre volet porte sur l'organisation territoriale de l'offre de soins. La réforme du système de santé régionalisé, amorcée en 2023 dans le cadre de la généralisation de l'AMO, prévoit la montée en puissance des CHU régionaux, la création de pôles spécialisés, et l'équipement progressif en imagerie d'urgence et thrombolyse dans les hôpitaux provinciaux. Malgré ces avancées, plusieurs spécialistes alertent sur les failles systémiques persistantes. L'absence de campagnes ciblées sur l'AVC, le manque de coordination entre SAMU, hôpitaux et neurologues, ainsi que les difficultés de financement des traitements post-AVC (kinésithérapie, orthophonie, rééducation cognitive) constituent des freins majeurs à une réponse efficace. Les associations de patients réclament une meilleure prise en charge du handicap post-AVC et une montée en puissance de la médecine préventive. À l'instar de plusieurs pays d'Amérique latine ou d'Asie du Sud, certains experts plaident pour l'instauration d'un parcours AVC national avec des protocoles standardisés, une formation accrue des médecins généralistes et un relais communautaire renforcé.