Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, l'Algérie confirme une orientation budgétaire marquée par la primauté du secteur militaire. Avec 25,4 milliards de dollars alloués au ministère de la Défense nationale (MDN) — soit 3 305 milliards de dinars en autorisations d'engagement —, la Défense s'impose, de loin, comme le premier poste de dépense publique. Une enveloppe colossale, équivalente à plus de 10 % du budget total de l'Etat, dans un pays où le revenu moyen stagne et où les ménages font face à une inflation persistante. Une priorité militaire assumée Les autorités justifient cette allocation par la nécessité de renforcer les capacités de défense de l'Armée nationale populaire (ANP) dans un contexte international « tendu » et un environnement régional « instable » disent-elles. Le gouvernement invoque les risques sécuritaires aux frontières sahéliennes, la crise libyenne et la montée des rivalités géopolitiques en Méditerranée. Pourtant, cette rhétorique sécuritaire masque une réalité économique plus inquiétante, c'est que l'effort militaire absorbe une part croissante des ressources nationales, au détriment des secteurs sociaux et productifs. En comparaison, les budgets combinés de l'Education nationale, de la Santé et de l'Emploi n'atteignent pas le niveau du MDN. Cette hiérarchie des priorités budgétaires envoie un signal clair : dans la planification de l'Etat algérien, la sécurité militaire prime sur la sécurité sociale. Le coût d'un choix stratégique À 25,4 milliards de dollars, la dépense militaire de l'Algérie dépasse celle de plusieurs pays africains réunis et la place parmi les dix plus gros budgets de défense au monde, selon les standards actuels. Cette orientation a un coût direct : l'essentiel des équipements est importé — principalement de Russie, de Chine et, dans une moindre mesure, d'Europe — ce qui alourdit la facture en devises et accentue la dépendance extérieure. Dans une économie où les recettes d'hydrocarbures financent encore plus de 90 % des exportations, cette fuite de capitaux réduit la marge d'investissement dans la diversification économique et dans le tissu industriel local. LIRE AUSSI : Quand la vérité dérange Alger : Marzouki, le témoin que l'on veut faire taire Sur le plan budgétaire, la montée des dépenses militaires exerce une pression sur les équilibres macroéconomiques. Le gouvernement tente de contenir le déficit public autour de 5 % du PIB, mais la rigidité de ces dépenses « stratégiques » limite les ajustements possibles. En parallèle, la dette publique progresse, les subventions sociales sont comprimées, et les programmes d'investissement civil restent sous-financés. Une société en attente, un Etat en démonstration Cette montée en puissance du budget de la Défense contraste avec le malaise social grandissant. L'inflation alimentaire dépasse les 8 %, le chômage des jeunes reste proche de 30 %, et la qualité des services publics, notamment dans la santé et l'éducation, se dégrade. La population, confrontée à une érosion du pouvoir d'achat et à une rareté du logement, perçoit difficilement la légitimité d'un tel effort militaire. Le fossé entre les ambitions stratégiques de l'Etat et les besoins quotidiens du citoyen s'élargit. Derrière cette politique budgétaire se profile aussi une dimension politique et symbolique. Dans un contexte régional marqué par des rivalités croissantes avec le Maroc et une recomposition des alliances au Sahel, l'Algérie cherche à affirmer son statut de puissance régionale. Le budget militaire devient alors un instrument de projection diplomatique autant qu'un message de souveraineté interne. La sécurité à double vitesse Reste que la sécurité d'un pays ne se mesure pas seulement à la puissance de son armée, mais à la résilience de son économie et à la cohésion de sa société. Un Etat qui investit massivement dans la défense tout en négligeant la formation, la santé et la recherche compromet sa stabilité à long terme. L'Algérie, riche de ressources naturelles mais confrontée à une transition énergétique et démographique délicate, court le risque de transformer son excédent budgétaire conjoncturel en fragilité structurelle. En somme, le PLF 2026 illustre un paradoxe algérien : alors que le pays peine à convertir ses rentes en prospérité durable, il consacre une part exceptionnelle de ses ressources à un secteur improductif. Dans un environnement mondial où la puissance se mesure désormais par la capacité à innover, à éduquer et à inclure, l'Algérie gagnerait à redéfinir les contours de sa souveraineté. La véritable force d'une nation ne réside pas dans le volume de ses dépenses militaires, mais dans la confiance et le bien-être de son peuple.