Par Hassan Alaoui Le dernier discours du Roi Mohammed VI devant le Parlement ouvre à coup sûr une nouvelle page de notre histoire politique. Par sa dimension pédagogique, marquée au sceau du langage direct, franc et inédit, sa posture de dialogue au-dessus des circonstances, fussent-elles difficiles, il invite la nation – en particulier les députés des deux chambres – à assumer pleinement leurs responsabilités et s'inscrire dans une nouvelle phase, plus constructive et dynamique. On ne le dira jamais assez : les discours du Roi constituent depuis toujours des actes fondateurs. Ils se distinguent seulement par leur catégorisation, mais possèdent la même force de conviction. Et naturellement se fixent le même objectif : éveiller les consciences, donner les orientations surtout. Il y a ceux qui sont incontournables et quasi obligatoires par définition, encadrés par la Constitution, il y a également ceux qui s'inscrivent dans l'actualité et qui sont liés à des contextes conjoncturels, parfois même à certaines urgences. Le discours que le Roi a prononcé donc, vendredi 10 octobre, s'adresse bien sûr aux membres élus du Parlement, des deux chambres qui le composent, mais également et par-delà la coupole à la nation tout entière. Un discours programmatique, tenu avec didactisme et une force tranquille, et pour nous l'une des meilleures interventions, une leçon de choses. Le Roi, en moins d'une quinzaine de minutes, a embrassé d'un seul tenant une problématique multiforme. Un défenseur des valeurs La demande de la parole royale était là, subrepticement exprimée pour un changement. Et pour sa part, la réponse du Roi a été là aussi, sincèrement proclamée, d'un appel au changement auquel il souscrit depuis toujours et entend associer toutes les forces. En termes de pédagogie, le Roi a sérié pour ainsi dire les rôles de chacun : à lui la vision stratégique, mais avec cette caractéristique qu'il n'est pas de long terme qui contredise le moyen ou court terme. Autrement dit, si comme on le pense, « il faut laisser le temps au temps » , il y a aussi l'urgence qui nous pend au nez. Et donc l'action immédiate non pour parer au plus pressé mais pour réinventer celle-ci si besoin. La durée est une composante de la politique des grands chantiers, mais l'immédiat est également une manière de sursaut. Posée avec une tranquillité absolue, cette philosophie traverse tout le discours du Roi Mohammed VI. Lire aussi : S.M. le Roi adresse un discours au Parlement à l'occasion de l'ouverture de la première session de la 5e année législative de la 11e Législature A vrai dire, elle constitue ici le fil conducteur de sa pensée politique, reflétée constamment à travers ses interventions depuis le début de son règne. Significative est aussi en filigrane cette exigence de l'effort, du travail, de l'autorité morale qui sied bien évidemment à un leader et à un Roi rassembleur plutôt que diviseur, un fédérateur, Roi de toutes et tous...qui aime convaincre plutôt que contraindre. Le peuple marocain, sorti aussi d'une quasi ambiguïté ont signifié immédiatement leur adhésion à ce discours, aux valeurs fondamentales qu'il sous-tend, à cet humanisme exprimé par le Roi du haut de sa responsabilité, défendant le dialogue et le vivre-ensemble. Avec en revanche un renouvellement lexical constant, pédagogique en somme. L'axe central étant la justice sociale et territoriale, le Roi en a fait un credo, inscrit dans la droite ligne des thématiques des allocutions pertinentes sur le Maroc à deux vitesses, l'impératif des politiques publiques, l'emploi des jeunes, la santé, l'éducation et autres sujets qui interpellent les parlementaires et, dans la foulée, le gouvernement. La nécessaire mise en œuvre de politiques publiques Le Roi revient sur la nécessité de mise en œuvre de politiques publiques intégrées, dédiées notamment aux zones montagneuses, rurales en l'occurrence et éloignées, sujets inamovibles des politiques de l'Etat, mais constamment reléguées dans l'oubli, en souffrance...Là intervient, en effet, l'impératif territorial, comme aussi l'absence ou l'inefficacité des investissements publics. Le Roi ne sacrifie jamais à la langue de bois ou à la complaisance, déjà dans le discours prononcé devant le Parlement en octobre 2017, il avait tiré la sonnette d'alarme sur les inégalités territoriales, sur ce Maroc inégal, et tout volontairement sans masque pointé la responsabilité des élus, locaux entre autres, dans ce qui incarnait aux yeux de l'opinion publique, une manière de réquisitoire contre la corruption dissimulée, la prévarication et l'irresponsabilité de ces derniers. La dernière séquence du discours du 10 octobre dernier n'était-elle pas clôturée par un verset coranique bien à propos consacré à la responsabilité ? C'est là plus qu'un appel du pied, mais une contrainte qui pèsera en principe sur l'activité des nouveaux élus, si tant est que l'on puisse croire que les prochaines élections législatives conduiront au renouvellement des institutions locales et nationales et verront surgir une nouvelle génération d'élus et de responsables. Globalement, l'allocution du Roi Mohammed VI, inscrite dans l'exigence constitutionnelle, transcende par sa profondeur un tel cadre et répond même à toutes les revendications du mouvement Gen7212, car le Roi, y adhérant de facto, demande aux uns et aux autres une exécution efficiente concernant l'emploi des jeunes – cet éternel serpent de mer qui a usé tous les gouvernements – en leur offrant de meilleures perspectives et plus d'opportunités. Il en appelle aussi à une juste répartition territoriale, au renforcement de l'investissement publique, une « justice sociale et spatiale » érigée en exigence stratégique transversale, à la gouvernance dont le facteur digital et les nouvelles technologies constituent une priorité. Aucune rivalité entre stades et hôpitaux Mais la réponse adéquate sur la question des stades reste magistrale : « Il ne devrait y avoir ni antinomie, ni rivalité entre les grands projets nationaux et les programmes sociaux... » Entre les 6 stades de football devant abriter la Coupe d'Afrique de football ou la Coupe du Monde, les hôpitaux et les écoles, dirions-nous... Les projets sociaux sont prioritaires mais les grands projets d'infrastructures sont aussi nécessaires, notamment ceux qui élèvent notre pays au niveau sportif international. On ne saurait conclure en effet, ce commentaire récapitulatif, sans souligner que le discours royal constitue une profession de foi, un temps fort à dire vrai qui concilie autorité pédagogique, vision et pragmatisme.