En octobre 1960, quatre ans à peine après l'indépendance du Maroc, un jeune prince héritier de trente et un ans prenait la parole au siège des Nations unies à New York. Face à l'Assemblée générale, le futur Roi Hassan II prononça un discours qui allait, rétrospectivement, marquer un jalon fondateur de la diplomatie marocaine : il y appela, avec un courage et une lucidité peu communs, à l'admission de la République populaire de Chine au sein de l'Organisation des Nations unies, onze ans avant que cette admission ne devienne réalité, en 1971. L'année 1960 fut celle de tous les basculements. En pleine guerre froide, le monde se polarisait entre blocs rivaux, tandis que les anciennes colonies d'Afrique et d'Asie affirmaient leurs souverainetés nouvelles. Le Maroc, récemment libéré du protectorat, cherchait alors à tracer une voie indépendante, entre Est et Ouest, fidèle à ses valeurs de non-alignement et d'équité internationale. C'est dans ce contexte que le prince héritier Moulay Hassan se rendit à New York pour représenter son pays à la 15e session de l'Assemblée générale de l'ONU. La question chinoise dominait les débats ; depuis 1949, le siège de la Chine au sein de l'organisation restait attribué à Taïwan, tandis que la République populaire de Chine, forte de plus de 600 millions d'habitants, demeurait exclue des Nations unies. La voix d'un prince du Sud pour la justice internationale Devant l'Assemblée, le représentant du Maroc prit la parole le 4 octobre 1960, lors de la 886e séance plénière. Le ton était calme, le propos ferme et mesuré, mais la portée politique du discours dépassait le cadre diplomatique du moment. « Est-ce juste qu'en ce lieu une partie de l'humanité, plus de six cents millions de personnes, un tiers de l'humanité, ne soit tout simplement pas parmi nous ? » lança-t-il d'entrée, interpellant les consciences. Puis, dans une adresse directe aux grandes puissances, il poursuivit : « Je demande à l'Organisation des Nations Unies, à tous les pays présents ici, d'être réalistes, de faire face au problème et d'admettre la République populaire de Chine parmi nous. » Et d'ajouter, en forme d'avertissement moral : « Est-ce normal que nous les rencontrions dans nos ambassades, dans nos traités commerciaux, tandis que cette maison, qui devrait être la maison de tous, reste fermée à eux ? » LIRE AUSSI : Sahara : La Russie a choisi, à quand le courage de la Chine ? Ces phrases, que l'histoire retiendra, marquaient l'entrée du Maroc dans la diplomatie mondiale non en suiveur, mais en acteur visionnaire, capable de défendre les principes d'universalité et de réalisme international, bien avant que la majorité des Etats du Sud ne trouvent leur voix au sein de l'ONU. Ce discours du prince héritier Moulay Hassan n'était pas un acte isolé, mais l'expression d'une pensée politique structurée : celle d'une diplomatie indépendante, fondée sur la reconnaissance de tous les peuples et la coopération entre les civilisations. En plaidant pour l'admission de la Chine, le Maroc défendait avant tout une conception équitable du multilatéralisme : la conviction que le monde ne pouvait prétendre à la paix et à la stabilité tant qu'une part essentielle de l'humanité restait exclue des débats internationaux. Cette vision trouvera, onze ans plus tard, sa concrétisation avec la résolution 2758 du 25 octobre 1971, par laquelle l'Assemblée générale rétablit la République populaire de Chine dans ses droits à l'ONU. Pékin n'a jamais oublié le soutien précoce du Royaume. Archives à l'appui : le Maroc, pionnier du soutien à la Chine Les archives officielles des Nations unies confirment que le Maroc figure bel et bien parmi les premiers Etats à avoir défendu, dès 1960, le retour de la République populaire de Chine au sein de l'Organisation. Cette position, portée publiquement par le prince héritier Moulay Hassan à New York, est documentée dans les procès-verbaux de la 886e séance de la 15e session de l'Assemblée générale. Ces archives incontestables rappellent un fait que la mémoire diplomatique chinoise ne peut ignorer : le Maroc fut le premier pays africain à plaider officiellement pour le retour de la Chine au sein de la communauté internationale. Aujourd'hui encore, Pékin reconnaît et valorise cet appui historique, considéré comme l'un des fondements de l'amitié sino-marocaine. La Chine ne saurait l'ignorer ; cet acte fondateur est inscrit dans l'histoire de l'ONU, dans les annales du multilatéralisme et dans la conscience diplomatique du Royaume. Pendant ce temps, certains de nos voisins prétendent, à tort, avoir joué un rôle dans cette admission. L'Algérie, notamment, revendique parfois le mérite d'avoir « fait entrer la Chine à l'ONU ». Or, cette affirmation est démentie par la chronologie même : en 1960, l'Algérie n'existait pas encore en tant qu'Etat indépendant, son indépendance ne sera proclamée que deux ans plus tard, en 1962. La vérité historique est donc claire : le Maroc parlait et agissait sur la scène internationale alors que d'autres n'étaient pas encore nés en tant que nations. Le Maroc, voix du Sud avant l'heure À travers ce plaidoyer, le prince héritier anticipait les fondements de ce qui deviendrait, quelques années plus tard, la doctrine marocaine de non-alignement et de coopération Sud-Sud. Le Royaume s'y positionnait non comme simple spectateur, mais comme force de proposition dans un monde encore marqué par les fractures coloniales et idéologiques. Cette position courageuse valut au Maroc un respect certain au sein des diplomaties africaines et asiatiques. Elle s'inscrivait dans la continuité d'un engagement moral et politique pour la décolonisation et pour la reconnaissance des jeunes nations, engagement qui marquera toute la diplomatie du règne de Hassan II. Soixante-cinq ans plus tard, ce geste diplomatique conserve une portée symbolique majeure. Pékin n'a jamais oublié que le Maroc, dès 1960, avait plaidé pour son inclusion au concert des nations. Cette mémoire partagée constitue aujourd'hui un pilier discret mais réel des relations sino-marocaines, fondées sur la confiance politique et la continuité historique. En 2016, lors de la visite Royale du Roi Mohammed VI en Chine, plusieurs responsables chinois ont d'ailleurs évoqué « le courage et la clairvoyance » de feu le Roi Hassan II en 1960, saluant la constance du Maroc dans la défense d'un ordre international juste et inclusif. Au-delà de la mémoire historique, le discours du prince héritier Moulay Hassan demeure une leçon de diplomatie et de vision stratégique. Dans un monde redevenu fragmenté, il rappelle que la légitimité internationale ne peut se fonder que sur l'universalité du dialogue et la reconnaissance de tous les peuples. Ce plaidoyer de 1960, résonnant encore par sa justesse et sa hauteur de vue, illustre à merveille ce que le Maroc a toujours cherché à incarner : la voix de l'équilibre, de la justice et du réalisme dans les affaires du monde.