INTERVIEW. Le directeur de l'hebdomadaire Al Michâal, Driss Chahtane, a été arrêté le 15 octobre 2009 suite à la publication d'un article sur la santé de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Les informations contenues dans ce texte ont été jugées “diffamatoires” par la justice, qui a condamné M. Chahtane à un an de prison ferme. Il en a purgé quatre mois à la prison Zaki de Salé et il est, depuis un mois, à la prison Oukacha, à Casablanca. Du fond de sa cellule dans le pavillon 2, Driss Chahtane répond aux questions de Maroc Hebdo International, et implore la clémence et la grâce royales. Il revient avec nous sur son état de santé, son isolement, le clavaire de son épouse, Siham, enceinte de quelques mois, et de Sabrina, sa fille âgée de deux ans. Propos recceuillis par Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. Maroc Hebdo International: C'est votre cinquième mois en prison. Comment vous sentez-vous? Driss Chahtane: C'est l'enfer. D'abord à la prison Zaki à Salé où je suis resté presque quatre mois. Puis à Oukacha, à Casablanca, depuis un mois. Je vous avoue que je suis à bout, épuisé et désespéré. Vous comparaissez devant les juges pour une autre affaire… Driss Chahtane: Le mardi 9 février, j'ai comparu devant les juges pour l'affaire Amahzoune, qu'on m'a sortie alors que je fais déjà l'objet d'une condamnation d'un an de prison ferme. C'est pour cela, je pense, qu'on m'a transféré à Oukacha. Etes-vous maltraité en prison? Driss Chahtane: À Zaki, on m'avait jeté en isolement dans une cellule sale. J'arrivais à peine à respirer tellement c'était puant. À Oukacha, c'est pire. On m'a mis dans des anciennes toilettes, exiguës, où il m'est difficile de bouger. On a même poussé des détenus à me harceler, question de m'intimider. Je suis soumis à l'humiliation constante. Pourquoi ce traitement inhumain? Suis-je un assassin, un trafiquant de drogue, un récidiviste? Mon tort est d'avoir écrit un article jugé, à juste titre, diffamatoire à l'égard de Sa Majesté le Roi. Je reconnais qu'il s'agit là d'une erreur pour laquelle j'ai demandé pardon. Alors pourquoi s'acharner sur moi? Je suis un journaliste. C'est un métier que j'ai choisi en fréquentant une école de journalisme, à savoir, l'ISIC de Rabat. Comme tout être humain est susceptible de le faire, j'ai commis une faute que je ne referai jamais. Vous avez déclaré que vous êtes malade et que vous avez refusé de vous soigner? Driss Chahtane: Je n'ai jamais refusé les soins. Ce sont les conditions dans lesquelles on veut me les administrer que je n'admets pas. On me force à porter la tenue du prisonnier et à enlever mes chaussures. Pour quelles raisons? On voit bien que je suis très malade. J'ai subi une opération sur l'oreille gauche avant mon arrestation et je devais en subir une autre en novembre 2009 sur l'oreille droite. Ce qui n'a jamais pu se faire. Aujourd'hui, j'ai des pertes de conscience au moins cinq fois par jour. Et ceci, la direction de Oukacha l'a bien constaté. Je souffre le martyre à cause des douleurs aiguës de mes deux oreilles. J'ai perdu plus de 20 kilos en prison. Sans oublier que je suis diabétique. Et je ne voudrais surtout pas m'étaler sur l'impact psychologique de l'emprisonnement en isolement comme si j'étais un criminel dangereux. Je vis l'enfer et j'attends que cela finisse. Je suis abandonné de tous. Où sont mes amis, mes confrères? Je suis presque oublié. Mon seul et unique soutien, c'est Siham, mon épouse. Siham, qui attend un enfant… Driss Chahtane: Effectivement. Et qu'elle a bien failli perdre. Les premiers mois à la prison de Zaki ont été terribles pour elle. Elle me rendait visite trois fois par semaine en faisant la navette Casablanca-Salé par train. C'était trop pour une femme enceinte de six mois. Elle a eu une grave hémorragie qui a failli les emporter, elle et le bébé. C'est une double peine pour moi de voir mon épouse malmenée à cause de mes erreurs. À chaque fois que je reçois la visite de ma fille Sabrina, deux ans, je suis anéanti. J'ai peur que mon deuxième enfant vienne au monde alors que je suis encore en prison. C'est ma hantise, je n'en dors plus. Contestez-vous le motif pour lequel vous avez été condamné? Driss Chahtane: Non je ne le conteste pas. Je le répète, c'est une grave erreur. Je la regrette amèrement. J'aurais aimé ne jamais avoir écrit ce texte. Mais le mal est fait. Cependant, j'estime avoir lourdement payé pour cela. Aujourd'hui, comme je l'ai déjà exprimé dans une lettre que j'ai adressée à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, j'implore sa clémence et sa grâce. Le Souverain est mon seul et unique recours. En prison, j'ai eu tout le temps de ruminer les choses et de me rendre à l'évidence. Après cinq mois d'incarcération, je demande humblement au Souverain de me libérer et de me rendre à ma petite famille, dont je suis le seul soutien.