Jean Jaurès (1859 - 1914) fut l'un des plus farouches
opposants à l'occupation française du Maroc. Les autorités
de Casablanca viennent d'effacer son nom de la métropole. Ingratitude ou ignorance?
Jean Jaurès (1859 - 1914) fut l'un des plus farouches opposants à l'occupation française du Maroc. Les autorités de Casablanca viennent d'effacer son nom de la métropole. Ingratitude ou ignorance? Abdelkader Timoule C'est à travers la facturation de Maroc Telecom que les habitants du quartier Gauthier ont appris que la rue Jean Jaurès a été rebaptisée Mohamed Ben Ali! Cette surprenante et tout aussi désagréable décision ne peut être passée sous silence et mérite à l'évidence une explication. En effet, l'illustre homme politique français est des plus respectés par les intellectuels marocains, voire internationaux, du fait de ses très courageuses prises de position politiques, notamment anti-colonialistes. En ce qui concerne le Maroc, dénonçant l'acte du protectorat signé le 30 mars 1912, Jean Jaurès, philosophe et théoricien du Parti socialiste, s'est insurgé énergiquement, trois mois après, à la Chambre française des députés, contre l'occupation du Maroc à travers ce qu'il a qualifié «d'acte hasardeux et frauduleux de Fès.» Sa farouche et persistante défense du royaume du Maroc a été la principale cause de son assassinat en juillet 1914. Jean Jaurès, plutôt que d'être relégué aux oubliettes, méritait une distinction nationale, par exemple honorer de son nom une des plus grandes avenues de Casablanca, capitale de la résistance. En fait, il aurait été plus indiqué de lui affecter tout le quartier Gauthier; ce dernier n'était qu'un simple boutiquier et néanmoins le premier Européen installé sur ce qui était terrain de la tribu Mâarif. Dans le même quartier, le nom de Montesquieu, le génial auteur de L'Esprit des lois, a été, lui aussi, effacé. Il fallait le maintenir ou, du moins, il aurait été plus indiqué de lui substituer le nom de savants nationaux universels du même gabarit, un Ibn Rochd, cordouan marrakchi, ou un Maïmounide, cordouan fassi S'agissant du nom de Mohamed Ben Ali, dont l'apparition est probablement justifiée, il devait être affecté à une des ces innombrables rues qui portent encore les noms de soldats de l'armée du protectorat qui se sont distingués lors de la répression des tribus résistantes. A vrai dire, Casablanca, plus que d'autres cités du Royaume, devrait offrir ses espaces publics aux noms de prestigieuses personnalités militantes pour le Maroc, malheureusement jusqu'à présent totalement marginalisées. C'est le cas notamment du grand Assou Baslam, de Jbel Sarghou, Belkacem Ngadi, de la vallée du Ziz, et autres Sid Ali Ahmaouch, de Aït Ichou Sans oublier des étrangers libéraux, tels que, par exemple, Me Jean Charles le Grand, éminent et courageux avocat, qui au risque de sa vie, a toujours défendu des nationalistes devant les tribunaux de l'occupant. Celui qui, selon l'expression du socialiste français Charles Péguy, a «gueulé» la vérité, laquelle a permis de sauver nombre de nos concitoyens de la potence. N'est-il pas intellectuellement plus rigoureux, pour ne pas dire obligatoire, pour l'attribution des noms de rues et boulevards de nos villes, d'instituer des commissions ad hoc, composées de membres de départements de compétence reconnue, outre l'Intérieur et la ville, la Culture, l'Enseignement, la Commission marocaine d'histoire militaire. Un moyen approprié à même de nous faire éviter, à l'avenir, ce genre d'errements. Mais, sans plus attendre, nous clamerons, volontiers, avec le poète Jacques Brel, Pourquoi a-t-on tué Jaurès?