Lui, c'est Nikolaï Patrouchev, et il est secrétaire du Conseil national russe de sécurité, ancien chef du FSB (espionnage russe) à la suite de Vladimir Poutine, en 1999. Il a effectué une visite au Maroc les 15 et 16 novembre, et il a rencontré le roi Mohammed VI. Cette visite coïncide avec de nombreux événements survenus ces derniers jours ou semaines. Plusieurs pistes de réflexion sur l'intérêt de cette visite sont possibles, face au mutisme officiel marocain, et russe aussi. La MAP a en effet seulement indiqué la visite du haut responsable russe, avec les termes de convenance et d'usage, ajoutant que l'audience royale accordée à Patrouchev s'était tenue en présence du conseiller du roi Fouad Ali al Himma et du ministre de l'Intérieur Mohamed Hassad. Pas d'Abdellatif Hammouchi (chef de la DST) ni de général Benslimane (patron de la gendarmerie) et pas de Yassine Mansouri (DG de la DGED) non plus… ce qui laisse penser que les discussions ont été globales, et pas uniquement centrées sur le volet sécuritaire. La MAP précise dans sa dépêche que les discussions ont porté sur le renforcement et l'approfondissement de « la coopération stratégique dans l'ensemble des domaines ». Tous les domaines, donc le sécuritaire, mais aussi le diplomatique et même l'économique… En l'absence d'informations concernant cette visite importante, nous pouvons penser à trois événements. 1/ L'arrestation ce 15 décembre de 5 présumés terroristes appartenant à Daech et qui s'apprêtaient à commettre des attentats d'envergure à Moscou et ailleurs. « Le FSB a neutralisé un groupe terroriste composé de ressortissants tadjiks et moldaves qui projetaient de perpétrer des attaques extrémistes (…) à Moscou avec l'utilisation de dispositifs explosifs improvisés de forte puissance », a déclaré le service de sécurité dans un communiqué, ajoutant que les agents de FSB ont « trouvé et saisi des armes à feu automatiques et des munitions, des engins explosifs improvisés prêts à être utilisés ainsi qu'une quantité considérable de mélange explosif destiné à la fabrication d'engins explosifs de forte puissance ». Or, lors de la visite de Mohammed Vi en Russie, en mars dernier, une Déclaration sur le Partenariat stratégique approfondi avait été signée par les deux chefs d'Etat, comportant plusieurs volets concernant la lutte contre le terrorisme international. Quelques jours plus tard, le patron du contre-espionnage marocain Abdellatif Hammouchi était à Moscou sur invitation de Nikolaï Patrouchev, pour discuter terrorisme et actions à engager pour la protection du territoire russe. On ignore bien évidemment si la DST marocaine a joué un rôle, comme en France, en Belgique et ailleurs, dans le démantèlement de la cellule russe le 15 décembre. Cela semble peu probable car les hommes arrêtés sont des Tadjiks et des Moldaves mais leurs liens avec Daech, que le Maroc connaît bien, pourrait avoir conduit les Marocains à fournir des informations à leurs homologues russes. Rien ne dit que Patrouchev a rencontré Hammouchi au Maroc, mais le contraire serait étonnant, et même étrange. 2/ Les propos de Benkirane. Le chef du gouvernement désigné, Abdelilah Benkirane, avait fait voici une quinzaine de jours une déclaration peu amicale envers la Russie, sur son rôle dans la destruction de la Syrie ; ce qui lui avait valu un recadrage assez ferme de la part son ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar, qui avait reçu dans la foulée l'ambassadeur russe à Rabat, à la demande de ce dernier, lequel était présent lors de l'audience royale accordée à Patrouchev. Et dans la Déclaration susmentionnée, les deux pays avaient exprimé « leur attachement à la souveraineté, l'unité et l'intégrité territoriale de la Syrie. (Les deux Etats) plaident pour un règlement politique et diplomatique définitif à la crise dans ce pays ». La visite du dignitaire russe a dû donc inclure un volet concernant la Syrie, surtout suite aux derniers développements dans la ville d'Alep, où l'on parle déjà de crimes contre l'humanité des forces d'Assad. Les Russes étant engagés aux côtés du régime syrien, Patrouchev a dû exprimer la position de Moscou et s'assurer du soutien de Rabat dans le « règlement » de la crise syrienne. 3/ Le gazoduc Nigéria-Maroc. Rien de sûr ni de définitif n'est engagé concernant ce projet géant de construction d'un pipeline de plus de 6.000 km entre le Nigéria et le Maroc, traversant ou longeant par voie maritime une douzaine de pays. Or, si ce gazoduc est finalement construit et qu'il amène le gaz nigérian au Maroc, rien n'empêche une extension vers l'Europe, qui s'approvisionne en gaz russe pour le tiers de ses besoins. Une discussion en géostratégie économique pourrait être engagée entre Rabat et Moscou à ce propos pour préserver les intérêts russes sans porter atteinte à ceux du Maroc. Il est également probable que les Russes, à travers leurs entreprises, soient intéressés par la participation à la construction de ce gazoduc, damant le pion à d'autres majors américaines et/ou européennes. Cela irait dans la droite ligne de la nouvelle stratégie marocaine de diversification des débouchés et surtout des partenariats. Le roi Mohammed VI a profité de la visite de Patrouchev sur nos terres pour lui transmettre une invitation au président Poutine de se rendre au Maroc. L'accueil du dignitaire russe est aussi important en cela qu'il fait partie de la liste des persona non grata en Union européenne dans le cadre des sanctions imposées aux Russes pour l'affaire ukrainienne.