Une nouvelle étude au Maroc révèle des risques sanitaires alarmants chez les ouvriers des tanneries traditionnelles de Fès. Elle établit un lien entre l'exposition quotidienne aux produits chimiques, l'hygiène et les taux élevés de maladies musculo-squelettiques, cutanées et oculaires. Les tanneries traditionnelles au Maroc sont des usines à ciel ouvert, vieilles de plusieurs siècles, qui préservent un artisanat ancestral soutenant la renommée du pays en matière de maroquinerie. Certaines sont également devenues des attractions touristiques majeures, notamment celle Chouara, la plus ancienne et la plus grande des trois tanneries de Fès. Pour les ouvriers, l'exposition aux produits chimiques dans ces conditions représente des dangers. Une nouvelle étude épidémiologique révèle des niveaux alarmants de maladies professionnelles. Réalisée en 2019 et prolongée en 2022 par des chercheurs de l'Université Sidi Mohamed Ben Abdellah en collaboration avec le ministère du Tourisme, de l'artisanat et de l'économie sociale et solidaire, elle est la première au Maroc à inclure à la fois des examens médicaux et des analyses sanguines des travailleurs des tanneries. Manipulation manuelle et absence d'équipements de sécurité Les chercheurs ont examiné 220 travailleurs des trois tanneries de Fès, où le tannage repose encore sur des méthodes artisanales avec des acides, de l'alcalis et de sels. Ces produits chimiques, dont le chrome, la chaux, le benzène, l'arsenic et les composés d'ammonium, émettent des fumées et résidus toxiques qui mettent en danger à la fois les travailleurs et l'environnement. «La manipulation manuelle, la mauvaise hygiène et les longues durées d'exposition sont des facteurs clés des maladies observées», ont noté les chercheurs, ajoutant que 96% des travailleurs n'utilisaient jamais d'équipements de protection. L'étude a révélé que 50,9% souffraient de troubles musculo-squelettiques, causés par des flexions répétitives et le levage de lourdes peaux trempées. 39,5% ont connu des problèmes génito-urinaires, probablement dus à une mauvaise hygiène et à une exposition biologique. 30,4% avaient des maladies dermatologiques, 24,5% souffraient de problèmes oculaires liés au contact avec des matériaux corrosifs, tandis que 16,8% ont signalé des troubles respiratoires et 14,1% ont éprouvé des problèmes digestifs. De nombreux travailleurs présentaient simultanément plusieurs symptômes, allant des douleurs dorsales et de l'eczéma à des toux chroniques et des pertes de vision. L'analyse statistique a révélé que travailler dans un environnement humide triplait le risque de troubles musculo-squelettiques, tandis que ne pas porter d'équipement de protection multipliait le risque de maladies de la peau par six. Au-delà des dangers chimiques, les tanneurs sont exposés à des agents biologiques tels que les peaux brutes et les déjections de pigeons, qui peuvent transmettre des pathogènes comme Leptospira ou Chlamydia psittaci. L'étude a également établi le lien entre cette exposition et les infections urinaires. Les travailleurs plus âgés, en particulier ceux de plus de 40 ans, étaient plus enclins aux maladies oculaires, le contact prolongé avec la chaux et l'ammoniac augmentant le risque par huit. Pourtant, seulement 4% ont déclaré utiliser des gants, des bottes ou des masques et aucun ne portait de lunettes de protection. Un appel à une action urgente Les chercheurs ont exhorté les autorités à prendre des mesures immédiates, notamment : - Un suivi médical régulier et une vaccination contre la leptospirose, l'hépatite B et le tétanos. - Des tests annuels des concentrations d'air et de produits chimiques. - Des équipements de protection individuelle et une formation à la sécurité. - La reconnaissance des maladies liées au tannage comme maladies professionnelles. Ils ont également recommandé des campagnes de sensibilisation, affirmant que «des actions préventives simples pourraient réduire drastiquement les risques pour la santé et améliorer les conditions des tanneries à travers le Maroc et d'autres environnements artisanaux en Afrique». Tout en reconnaissant l'importance culturelle et touristique des tanneries, les auteurs mettent en garde contre la négligence de leur coût humain, soulignant que préserver l'héritage artisanal du Maroc doit aller de pair avec la protection de la santé des travailleurs.