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Hommage à Abraham Serfaty : Adieu mon camarade
Publié dans Yabiladi le 21 - 11 - 2010

L'écrivain franco-marocain Mustapha Kharmoudi, auteur notamment de «La saison des figues», rend un dernier hommage à son ami, feu Abraham Serfaty, décédé le 18 novembre à Marrakech.
C'était tout au début de la décennie 70 que j'avais lu pour la première fois un texte d'Abraham Serfaty. Etait-ce sur la Palestine ? Je ne me souviens guère. En tout cas, ça avait été le coup de foudre. Qui se renouvellera par la suite à chaque fois que je lirai ses articles, en particulier ceux parus dans la fabuleuse revue Souffles que dirigeait le poète Abdellatif Laabi.
A l'époque, adolescent pauvre et révolté, j'étais en manque d'idéal. Il faut dire que, dès l'âge de 16 ans, je m'étais échappé énergiquement des griffes de la «Chabiba Islamya», mouvance intégriste que dirigeait un certain fanatique de mon village...
A la même époque, l'implacable guerre des six jours avait définitivement tordu le cou, du moins à mes yeux, au nationalisme arabe que portait fièrement l'élite politique marocaine, une idéologie mineure qui peinait à se démarquer radicalement de l'impasse islamiste. Je me souviens que j'étais outré d'apprendre que tout nouvel adhérent au Parti de l'Istiqlal devait jurer fidélité aux dirigeants… sur le Coran. Quid d'une adhésion citoyenne à un programme de transformation sociale ? Déjà au début des années 60, ces mêmes nationalistes arabes avaient soufflé aux culs-terreux que nous étions qu'Allah avait imprimé la photo de Mohamed V sur la face de la lune… J'avais quelques dix ans, mais je me souviens parfaitement de l'hystérie qui s'était emparée du petit peuple qui était le mien, petit peuple rongé par la misère et l'inculture…
C'est au compte-goutte que, pendant mes années lycéennes, je serai nourri par la suite au biberon de cette nouvelle idéologie révolutionnaire. Idéologie qui tournait définitivement le dos aux intrigues des clans et aux coups d'Etat contre Hassan II, dont le but ne devait être que de le remplacer par quelque tyran kadhafien, voire nassérien ou baasiste…
Cette nouvelle vision du monde me comblait. On allait en finir avec la gouvernance de l'arbitraire et du non-droit, répétait mon jeune âge hâtif en écho à ce nouveau grand frère, Serfaty. On allait bientôt chambouler cet ordre archaïque, mais avec la participation du petit peuple : ouvriers et paysans…
Mieux, les écrits d'Abraham, tout en me sortant du désespoir, m'ouvraient au monde entier. Soudain, l'enfant exclu que j'étais se découvrait une nouvelle famille, en rupture avec tous les grands héros de la civilisation arabe, tous récupérés, les uns par la monarchie, les autres par les partis traditionnels. J'étais tout à coup devenu le petit frère du fougueux Ché Guévara, de Lénine le vainqueur, de l'émouvant Hô Chi Minh. Et de Marx, pardi ! Mais aussi de leaders palestiniens radicaux : Georges Habache, Nayef Hawatmeh, Ahmed Jibril, etc. Quel horizon et quelle généalogie, et combien j'étais fier !
Aujourd'hui, on en sourirait, mais ce serait à tort car il faut le tenir pour certain, au jeune en colère que j'étais, il fallait absolument une réponse qui rende compte de l'injustice qui me frappait déjà à la naissance dans une hutte au milieu des poux, et qui continuait sous un régime arrogant qui n'avait que faire des pauvres et du peuple…
Très tôt donc, j'avais rejoint le mouvement de Serfaty en France. Je me dois de témoigner que, même quand il était dans la clandestinité, Abraham restait pour nous une boussole, un phare. Il en sera autrement dès lors que nous nous retrouverons sans lui, sans ses conseils et sans sa clairvoyance : à peine tombait-il aux mains de ses tortionnaires que déjà nous ne savions plus que faire. Je me souviens : on aurait dit que nos divisions couvaient depuis fort longtemps. Un ancien camarade, décédé en Hollande depuis fort longtemps, me disait que la Siba travaillait encore notre inconscient… Et ce n'était pas que pour en rire…
S'ajoute bien sûr cette répression féroce qui m'intrigue toujours tant : comment se fait-il que quelques dizaines d'étudiants aient fait si peur à une monarchie solidement établie depuis des siècles ?
Quoi qu'il en soit, avec l'arrestation de Serfaty, nous allions perdre inéluctablement l'hégémonie sur le mouvement étudiant. Adieu le mouvement des étudiants progressistes, et bonjour les intégristes musulmans, ceux-là mêmes qui s'entraînaient avec la police quand j'étais lycéen dans la banlieue de Casablanca, Casa l'éternelle insurgée…
Je n'avais rencontré physiquement Abraham qu'à son expulsion en France. Je me souviens qu'il était inquiet à cause de cette trouvaille de l'insolent Basri, ce lugubre vice-roi, comme le surnommait une certaine presse française. Moi je riais parce que nous étions nombreux à être devenus tout à coup joyeusement brésiliens, mais je comprenais le désarroi d'Abraham, c'était celui des gens qui appartiennent à une minorité ethnique ou religieuse, et qui vivent au milieu d'une majorité hégémonique et tonitruante. C'était mon cas, et c'est toujours mon cas dans cette imprévisible république française…
Par la suite, Serfaty était venu à notre rencontre dans notre belle Franche-Comté, plus exactement au pays de Peugeot. Le samedi matin, nous l'avions habillé chaudement car c'était l'hiver, et nous l'avions entraîné dans un marché arabe. Alertés par les médias locaux (avec à leur tête une radio arabe), beaucoup de Marocains se pressaient de le saluer, même la peur au ventre. Certains lui baisant parfois la main ou l'épaule. Abraham avait tout le temps les larmes aux yeux. Plus tard, je l'avais moqué : quoi, un marxiste handicapé et juif tolérant le baisemain ? Je me souviens qu'il en avait ri, d'un rire presque enfantin.
Ce jour-là, un journaliste lui avait demandé son vœu le plus cher. Je m'attendais à ce qu'il réponde quelque chose comme la fin de la tyrannie au Maroc, ou l'avenue d'un Etat palestinien, enfin quelque chose de ce genre. Je me souviens de sa réplique acerbe : «je veux retourner mourir dans mon pays». A vrai dire, j'en étais choqué, même si j'étais en exil moi-même, en situation de le comprendre…
C'est maintenant chose faite.
Oh grand frère, je suis infiniment ravi que ton vœu le plus cher te soit exaucé… Mais que c'est triste de savoir que je n'entendrais plus jamais ta voix, cette voix souvent autoritaire, mais qui n'était qu'amitié à mon égard. Une infinie amitié. Comme en témoigne, entre autres, cette soirée inoubliable dans la campagne comtoise, pays de Victor Hugo, de Courbet, de Fourrier et de Proudhon. En présence de nos camarades prolos de chez Peugeot comme ils disent. Une émouvante soirée, auréolée par ta présence généreuse parmi nous, et par la présence à tes côtés, des deux fils de Mehdi Ben Barka…
Adieu mon camarade, et merci encore !
Besançon, le 19 novembre 2010


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