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Lecture : L'Océan Atlantique Musulman
Publié dans Albayane le 11 - 10 - 2011

Ce livre mériterait un long compte rendu car il concerne un domaine important de l'histoire du Maroc. L'océan atlantique musulman, qu'est-ce à dire ? Les Almohades ont-ils perçu, avant tout le monde, l'importance de l'océan atlantique, source de richesses futures pour le monde à venir ? Pour la compréhension de cette époque, nous nous heurtons à deux difficultés différentes.
La première tient aux Marocains eux-mêmes : en ce 21ème siècle, on ne pardonne toujours pas à la dynastie almohade d'avoir remplacé le sunnisme malikite par le sunnisme d'Ibn Toumert.
Les brillants intellectuels de cette période ne sont toujours pas honorés de nos jours.
Ibn Rochd est décédé à Marrakech sous le règne almohade. On le considère toujours comme un médecin ; un hôpital porte son nom ; mais on ne reconnaît pas son statut de philosophe et d'exégète du Coran ; or il est le plus grand. Tant que cette aversion durera, nous resterons un pays à l'économie sous-développée.
La deuxième difficulté tient à l'ancienne sujétion coloniale du Maroc.
Voici comment Henri Terrasse, historien colonial, traite de l'océan atlantique musulman :
« Suivant des textes contemporains, Abû Ya'cub aurait décidé les travaux de Ribat al-Fath… » (Histoire du Maroc, Editions Atlandides, Casablanca, 1949, Tome1, p 325). Il n'y a rien de plus. Henri Terrasse règle en une ligne ce que l'historien Philippe Picard développera en cinq cents pages. Henri Terrasse avait une autre visée ; le traité d'Algésiras avait déclaré le Maroc pays souverain et Etat indépendant. Le protectorat ne pouvait cohabiter avec cette souveraineté et cette indépendance. Terrasse se proposait de démontrer que le Maroc, malgré de brillantes dynasties, n'a jamais constitué un Etat ; c'était un territoire aux peuplades en perpétuels conflits ; cette histoire légitimait le protectorat ; bien entendu Henri Terrasse n'a rien légitimé du tout ; ses thèses ont été ridiculisés par des historiens éminents comme le professeur Charles André Julien et le professeur Germain Ayache.
Enfin, voici le professeur Christophe Picard qui nous livre une étude sur la démarche almohade relative à l'océan atlantique. A lire son livre, il ne fait pas que décrire superbement cette époque ; mais, en plus, il nous livre les clés pour comprendre notre situation marocaine en ce 21ème siècle. L'histoire n'est pas seulement un cauchemar, comme disait Joyce, c'est aussi un foyer d'inventivités et de projections utiles, à la condition de ne pas se laisser tenter par l'anachronisme.
Dans tous les cas, le livre du Professeur Christophe Picard est incontournable pour qui s'intéresse à l'histoire économique et sociale du Maroc. Nous allons le citer largement :
« L'exemple le plus significatif du rôle d'un pouvoir et de son action sur l'essor économique d'une région est celui concernant les trois premiers califes almohades sur le littoral atlantique marocain. L'ampleur de leur politique est sans précédent à la fois dans la région de Rabat, et par le programme élaboré et mis en place. En effet, si l'acte de fondation de Rabat date officiellement du règne de Y'aqub al-Mansur (1184/99) au lendemain de sa victoire d'Alarcos (591/1195), marquée par la construction de la mosquée al-Hasan en 593/1196-97), le site avait été largement mis en valeur par ‘Abd al-Mu'min (1130 – 1163), puis par Abû Ya'qub Yusuf. » p 477
« L'importance croissante de Rabat fut un puissant levier économique de la région comme le montrèrent la croissance des ports comme Safi, Azammur et Rabat-Salé. Les plaines des cours de l'Um al-Rabi', du Bû Regrâg et du Sebou devinrent des centres agricoles suffisamment prospères pour assurer le ravitaillement de milliers de militaires. » p 480.
Ainsi, dès le règne du premier souverain, les jalons de l'organisation navale étaient tracés et furent repris par ses descendants et successeurs. Les trois grands ports, centres de l'amirauté, étaient situés sur le Détroit et sur l'Atlantique. (Sebta, Séville, Rabat). Si l'on rappelle que les trois capitales officielles du califat almohade, furent Marrakesh, Rabat et Séville, il est clair que les Almohades voulurent donner à la rive atlantique, une place de premier plan : le caractère symbolique de cette orientation atlantique est donné par une lettre officielle qu'il envoie de Ribat al-Fath en 553/1158 à toutes les tribus et les villes de la côte pour construire des navires. » p 169. Ainsi, dès le règne du premier souverain, les jalons de l'organisation navale étaient tracés et furent repris par ses descendants et successeurs. Les trois grands ports, centres de l'amirauté, étaient situés sur le Détroit et sur l'Atlantique. (Sebta, Séville, Rabat).
L'installation de la dynastie almohade vers Rabat-Salé a profité aux ports de Safi, Azammur et Salé. Plus au sud elle a profité aussi aux vallées du Sus et du Massa, dont les rivières se jettent dans l'océan, et dont les principales villes sont Ijli et Tarudant. Il y a beaucoup de fruits et de canne à sucre, dont les produits s'exportent dans tous les pays du Maghreb. Massa est un ribat important où se tient une foire très fréquentée. Le blé, l'orge et le riz se vendent à bon marché. » p 389.
Les zones portuaires dépendaient de l'Etat. L'arsenal régissait à la fois l'activité militaire et commerciale et abritait la qaysariyya aux poissons. Les gouverneurs devaient assurer le recrutement et l'entretien des marins ainsi que la construction et l'entretien des navires. Les bateaux militaires pouvaient être loués à des personnes privées pour la pêche. P 464.
Le poisson, obligatoirement débarqué dans l'arsenal, était frappé de taxes fiscales. Ainsi, le produit de la pêche était en quelque sorte nationalisé. Ibn Khaldun a critiqué cette main mise de l'Etat sur le pêche, car quand l'Etat s'affaiblissait, la pêche s'en ressentait et l'économie informelle se développait. P 473.
Politique de la pêche
Al-Razi au X° siècle, al-Bakri au XI° al-Zuhri et al-Idrissi au XII°, ont évoqué les ressources halieutiques de la région de l'Atlantique musulman. Elle est très poissonnière et on y pêche, entre autres, du thon, des soles et des sardines ainsi que la roussette. Au large de Sebta, on cueille du corail, très recherché pour la bijouterie. Les mentions de ces géographes montrent la pêche comme une préoccupation économique majeure tout le long de la côte. Chaque cité portuaire abritait une communauté de pêcheurs. P 368. Le poisson était un plat de luxe, particulièrement représentatif de la cuisine andalouse. C'était également un plat populaire, à telle enseigne qu'un calife omeyade recevait chaque jour les volumes de transactions portant sur les sardines. P 369. C'est un secteur stratégique.
Léon l'Africain confirme la pénétration loin à l'intérieur des terres du poisson comme nourriture de base en indiquant, pour la région du Rif, que les pauvres gens gagnaient leur vie en aidant les pêcheurs à saler le poisson et à l'envoyer dans les montagnes. P 374.
A Salé, la quantité d'aloses vendues influençait les prix de la nourriture. P 374 L'influence sur les prix se faisait sentir aussi bien à Sebta qu'à Fès.
A la consommation locale de thon, venait s'ajouter, selon al-Zuhri l'exportation importante du thon salé et séché vers les pays chrétiens. P 375.
Aux sources de la décadence marocaine.
Christophe Picard nous livre une date importante :
« A partir de 1231, écrit-il, commencent les mentions de location de navires et équipages chrétiens par les prétendants almohades. » p 346.
Il faut considérer cette information sans se tromper d'analyse. Les Chrétiens n'avaient nullement la maîtrise de la mer ; ils n'en avaient pas les moyens et ne savaient pas naviguer. C'est ce que mentionne Fernand Braudel dans son Modèle italien (Flammarion, Paris, 1994).
Il écrit : « L'Italie, à partir du XI° siècle, pour ne pas remonter plus haut, s'est présentée, soit à Byzance, soit dans les villes d'Islam, devant des civilisations plus riches que la sienne. »
Fernand Braudel poursuit : « «L'élève italien est ici l'élève qui emprunte et écoute…Il n'a donc jamais été question pour l'Italie, de faire la leçon à plus riche et plus brillant qu'elle. P 39.
On peut en déduire que les Italiens se sont mis à l'école des maîtres marocains auprès desquels ils ont appris le métier de marin.
Fernand Braudel cite Ibn Khaldûn qui affirmait que « la mer intérieure, au XI° siècle était un lac musulman sur lequel le chrétien ne pouvait faire flotter une planche. » p 206.
Enfin Fernand Braudel ajoutait que, « Au vrai, la navigation est un métier de pauvres gens. Et les riches ont tendance à s'en décharger sur d'autres, à recruter d'autres équipages hors de chez eux. » p 187.
A partir des enseignements de Fernand Braudel nous pouvons visionner cette délocalisation des compétences : à partir de 1231, les Marocains sont suffisamment riches pour refuser d'exercer un métier de pauvres ; mais ceci implique qu'ils ne sont pas assez nombreux pour exercer tous les métiers ; le pays est pauvre en habitants ; le métier de marin est abandonné parce que les vocations se font rares ; car il vaut mieux un salaire de misère que pas de salaire du tout ; il faut ajouter que les Marocains ont appris le métier de marin aux Italiens parce qu'ils avaient besoin du transport maritime ; mais ils ne pouvaient plus l'assurer par manque, non de bateaux ou de richesses, mais par manque d'hommes.
La délocalisation fait très vite sentir ses effets. Christophe Picard écrit :
« Toutefois, la mention des voyages de pèlerins indique, à partir de la croisade, que les prix génois et une meilleure sécurité, incitaient les musulmans, à l'image d'Ibn Jubair par trois fois et al-Baji en 634/1235, à s'embarquer sur leurs navires ayant une capacité double de ceux des musulmans, au point qu'à la fin du XII° siècle, on peut parler de monopole. » P 404.
Réflexions sur la décadence du Maroc avec l'hypothèse d'un affaissement démographique. Nous n'avons pas de statistiques, mais un ensemble de convergences vers cette hypothèse.
« Il est nécessaire pour fixer les idées de choisir des points précis, un nom, une date, quand on veut prendre conscience des grandes défaites et des grandes victoires de l'humanité. »
« A partir du XII° siècle, deux aspects nouveaux apparaissent dans la vie maritime de la région, tous deux issus du renversement de tendance en faveur des chrétiens, Italiens et Catalans en particulier, en mer : L'offensive militaire, à la fin de la période almoravide, aboutit, pour les Musulmans, à une série de pertes irrémédiables et déchira le rideau défensif, sur mer, tant bien que mal maintenu jusque là ».
Les Musulmans n'ont plus suffisamment d'hommes pour défendre leur pays sur terre et sur mer.
Il ne s'agit pas d'une victoire de l'intelligence ; il s'agit de la victoire du nombre ; les plus nombreux emportent la victoire ; et ce sont les Chrétiens, car ils sont prolifiques.
L'autre aspect est caractérisé par la pénétration commerciale, le plus souvent négociée avec les Etats, via la Méditerranée, puis l'océan, des domaines almoravide et, surtout, almohade, en al-Andalus et au Maghreb. » p 163.
Cet aspect est plus contestable : les Musulmans ont toujours privilégié le libre échange. La pénétration commerciale était dans l'ordre naturel des choses. S'agissant de la mer, les Musulmans ont abandonné une supériorité technique parce qu'ils n'avaient plus assez d'hommes pour l'exercer.
Les Marocains ne se relèveront jamais de cet affaissement démographique. Il va traverser les siècles et prendra fin au début des années cinquante du vingtième siècle. Mais c'est une autre histoire. Rendons grâce à Christophe Picard d'avoir su donner avec exactitude, la date de départ de ce qui deviendra la décadence démographique du pays.
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Christophe Picard :
L'océan Atlantique musulman
De la conquête arabe à l'époque almohade.
Navigation et mise en valeur d'al-Andalus et du Maghreb occidental (Portugal – Espagne – Maroc).
Maisonneuve§Larose, Editions UNESCO, Paris, 1997.


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