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Quand une écrivaine se fait ethnologue
La ferme africaine de Karen Blixen
Publié dans Albayane le 26 - 07 - 2013


La ferme africaine de Karen Blixen
A la fin du premier chapitre de son roman, La ferme africaine, Karen Blixen écrit ceci : «Quand je m'applique à décrire aussi minutieusement que possible ceux qui y vivent, quelques-unes de mes expériences africaines ou les êtres et les choses de la Brousse, je me dis que ces détails offrent peut-être déjà la valeur d'un document historique».
D'emblée, transparaît clairement la visée primordiale de ce livre. Une visée qu'on peut sans ambages placer sous le signe de l'ethnologie. Un tel dessein change bon gré mal gré un récit de souvenirs en un document non seulement historique, mais aussi noologique. Il s'agit bel et bien d'une œuvre d'obédience autobiographique où l'intime se décline sur le collectif, où le moi d'une Européenne n'éclipse aucunement l'identité de l'Africain - cet autre étranger et irréductible -, où la description minutieuse porte à la fois sur le destin personnel et le destin des tribus et des clans, où la fabula et la mathesis se compénètrent. En ce sens se filigrane la prime finalité que Blixen octroie à son œuvre : consigner par écrit toute une tradition orale, mémoriser pour la postérité ce qui est sujet à l'oubli, fixer définitivement l'éphémère... Nous lisons ceci : «Ce passé qu'il (Jogona, un personnage africain) avait eu tant de peine à retrouver et à fixer, et auquel il découvrait un aspect différent chaque fois qu'il l'évoquait, était désormais fixé pour toujours, il offrait aux regards dans sa forme définitive. Ce passé était entré dans l'histoire, mais une histoire sans ombre et sans variations. » (p165) Blixen se veut délibérément l'archiviste de la mémoire africaine, le scribe de la tradition orale dans toutes ses modalités et la conservatrice d'un passé vécu au Kenya entre 1914 et 1931. Avec La ferme africaine, Blixen se veut délibérément de faire de son œuvre une sorte de « document » où tout est archivé : hommes, animaux, nature, air, terre, objets, événements, expériences, sentiments...L'écrivaine semble avoir l'intention d'immortaliser des choses qu'elle a vues et vécues, écoutées et touchées : la beauté des Massaïs, leur témérité, leur fidélité, leur refus de la servitude imposée par l'homme blanc et cette coutume qu'ils ont de brûler l'herbe asséchée avant que ne recommencent les pluies ; la grâce féminine des femmes noires dont la tête est complètement rasée ; les conflits entre les tribus et la façon de les traiter lors des « kyama » ; la vie animale qui s'éveille au coucher du soleil ; la représentation que se font les Africains de la mort ; la christianisation des Africains par les missionnaires européens ; la conception qu'ils ont du « Destin » et leur vision de la vie et du danger...
Blixen, parce qu'elle a passé 17 ans en Afrique, s'est largement imprégnée de la vie africaine, et a fait un effort de compréhension pour pénétrer les profondeurs et les intimités d'une terre qui ne se livre pas facilement. Elle arrive ainsi à connaître au menu détail les moindres délinéaments de l'âme africaine, réussit à être profondément sensible au moindre geste africain, à en lire sa symbolique, à en découvrir son intérêt, à en explorer sa dimension profonde...De la sorte, l'écrivaine danoise répond à la condition sine qua non de l'ethnologie telle qu'elle est définie par Claude Lévi-Strauss : c'est la « règle de la déontologie ethnologique de ne parler que de ce qu'on connaît par expérience directe. » (Cité dans Le puits de Babel de Marthe Robert, P82).
Une telle connaissance intime et profonde, due en principe à son très long séjour africain, explique que rien n'échappe à l'attention éveillée de l'écrivaine. Tout est enregistré. Rien n'est épargné. Le moindre incident, quelque soit sa taille, est bien décrit. Chez Blixen, on peut facilement découvrir cette manie de tout capter, de tout noter, de soumettre la flore et la faune à l'acuité de ses sens, de donner libre cours à ses réflexions. Ainsi, dans la deuxième partie intitulée « Notes d'une émigrante », l'auteure danoise, soucieuse de noter tout ce qui suscite son intérêt, partage-t-elle avec le lecteur ses émois et ses pensées concernant la mort mystérieuse des iguanes, l'arithmétique souahélie et la suppression du chiffre neuf des nombres, l'amour que les nègres ont du rythme, la diversité des oiseaux africains, la liberté qu'ont parfois les Kikuyus de ne pas enterrer leurs morts et de les laisser ainsi exposés en plein air, abandonnés aux vautours et aux hyènes...Blixen ne fait pas partie de ces voyageurs qui se déplacent sans cesse, qui vagabondent tout le temps, qui font de la route leur seul compagnon. Une fois atterrie dans cette terre africaine, elle s'y fixe pendant plusieurs années, construit une grande maison, tisse avec les indigènes des relations trop intimes, éprouvent envers eux un « sentiment très fort et très spontané qui s'étendait indistinctement à tous les nègres quel que fût leur sexe ou leur âge » (pp30-31), se fait la propriétaire d'un grand domaine cafetier, devient attentive au moindre caprice des cieux, élève des cheptels de bœufs et de chevaux. Parce qu'elle « possède une ferme » comme il est écrit laconiquement à l'ouverture de son récit, Blixen élit désormais domicile dans une terre étrangère qu'elle se doit par la suite, des années durant, de découvrir, d'explorer, de connaître, de dompter. Chemin faisant, elle se laisse, avec art, s'imprégner par l'air de l'Afrique, ses vents, ses pluies, ses sécheresses, ses animaux sauvages, les couleurs changeantes de ses cieux, ses nuits calmes et froides, ses paysages sans pareil, sa diversité florale et faunistique...Avec le temps, la maison de Blixen devient le centre de tout le Ngong. C'est là où se ramènent les nègres malades pour chercher médicaments. C'est vers cette maison où ses amis européens lui rendent visite. C'est là aussi où elle a vécu des moments heureux et malheureux avant de quitter définitivement cette Afrique, son Afrique, vers sa terre natale.
En somme, Karen Blixen est une écrivaine européenne qui a sciemment rompu avec le code de la littérature exotique, qui s'est mise en porte à faux avec sa sensibilité pittoresque propre à l'ère coloniale, qui a réussi, avec difficulté d'ailleurs, à se départir de toute vision folklorisante. Blixen, faut-il le rappeler, a longtemps habité l'Afrique. Elle y voue un amour fou, lequel ne l'empêche pas pour autant de bien connaître ce continent, de le soumettre à son regard scrutateur, à l'étude, à l'analyse. Elle n'est pas comme ces écrivains-voyageurs-occidentaux - quoique prétendant dévoiler les arcanes de l'Afrique - pour qui ce continent noir reste opaque, impénétrable, mystérieux et fermé à leur intelligence. Bref une terra incognita. Ils s'y rendent, la tête pleine de poncifs et de préjugés, non pas à la découverte d'une terre réelle, mais à la quête de l'image « idéale » qu'ils s'en étaient forgé avant leur départ.


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