La Russie accroît de 30 % ses expéditions de céréales par les ports de la Baltique, le Maroc élevé au rang de premier acquéreur africain de ses cargaisons    Mondial U17 : La sélection se veut rassurante sur la blessure d'Ouazane avant le choc contre le Mali    Mondial U17 : les Lionceaux ont-ils enfin lancé leur tournoi ?    Abdellatif Hammouchi accorde une promotion exceptionnelle à un officier grièvement blessé    La police judiciaire de Casablanca saisit 23 500 comprimés stupéfiants et neutralise un tandem présumé de trafiquants    Partenariat : les jeux vidéo entrent au musée    Les Victoires de la Musique guinéenne reviennent pour célébrer la créativité nationale    Industrie d'armement : 10 projets internationaux lancés au Maroc    France : Marion Maréchal relaxée de diffamation contre une école musulmane    Des associations de la Guardia civil en colère suite à la décoration d'Abdelatif Hammouchi par l'Espagne    Le «Front du 31 octobre pour les droits politiques des Marocains du monde» voit le jour    FRMR : Le Maroc va créer son équipe nationale féminine de rugby    Football : Anass Salah-Eddine apprécie son premier stage avec les Lions de l'Atlas    FIFA : Le Maroc abrite le deuxième tour de la Coupe des champions féminine    Partis politiques : le gouvernement serre la vis    La défense marocaine atteint 73 milliards de dirhams en 2026 et déploie dix projets en exécution pour 260 millions de dollars    Morocco is set to establish its own national women's rugby team    Fútbol: Anass Salah-Eddine disfruta de su primer entrenamiento con los Leones del Atlas    Una primera serie de televisión filipina filmada en Marruecos    Al Akhawayn University célèbre le 50e anniversaire de la Marche Verte à travers un échange inspirant et des festivités patriotiques    Maroc – Espagne : Vers plus d'intégration des chaînes de valeur agroalimentaires (AMDIE)    Sahara : pourquoi la dernière résolution de l'ONU pourrait tout changer entre le Maroc et l'Algérie?    Une première série télévisée philippine tournée au Maroc    Grotte de Bizmoun : Des outils vieux de 150 000 ans et une faune éteinte    Terminal Ouest de Nador West Med : La co-entreprise entre Marsa Maroc et CMA Terminals notifiée au Conseil de la concurrence    Marché obligataire: Tendance baissière des taux    Non, le Shin Bet israélien n'a pas exprimé «des réserves sécuritaires» sur la reprise des vols avec le Maroc    Bourse de Casablanca : ouverture en hausse    Entrepreneuriat sportif: GIZ Maroc et Tibu Africa lancent le programme « Diaspora Sport Impact »    Info en images. La CAF lance ce samedi la phase finale de vente des billets    Le Grand Stade de Tanger, une infrastructure sportive conforme aux normes FIFA 2030    OPCVM : les 790 MMDH qui réinventent le financement de l'économie    COP30 : le Maroc affirme sa diplomatie climatique    La Chambre des représentants adopte à la majorité le PLF 2026    Le Maroc a joué un rôle central dans la régulation des flux migratoires vers l'Europe et dans la coopération pour les retours effectifs alors que l'Algérie reste le «principal point de départ» vers les Baléares, dévoile un rapport officiel de Bruxelles    Pascal Bruckner : «Dans les négociations sur le Sahara, l'Algérie a été désavouée aux Nations unies même par les Russes et les Chinois, et Boualem Sansal a survécu grâce à la supériorité de l'esprit»    La sécurité sociale espagnole augmente son effectif étranger à 3,1 millions et dénombre 365 089 Marocains, première communauté cotisante    Journée mondiale du diabète: le MSPS organise une série d'activités de sensibilisation étalée sur 1 mois    Au Maroc, une activité foisonnante de collecte météoritique qui oriente les trajectoires professionnelles rurales et accroît l'intérêt des chercheurs pour les fragments lunaires et martiens    Forum international sur le socialisme à la chinoise : regards croisés sur les changements inédits    Attentat d'Islamabad: le Pakistan arrête quatre suspects, accuse l'Afghanistan    Financement libyen : Sarkozy sera rejugé en appel au printemps 2026    Tourisme : L'ONMT attire le congrès annuel des agents de voyage néerlandais au Maroc    Le Maroc parmi les 10 destinations touristiques "incontournables" pour 2026    Heavent Paris Awards : Moga Fest consacré Meilleur festival international    FIFM: la liste des personnalités qui participeront au programme « Conversations »    Le directeur du renseignement français : « Le Maroc est un partenaire indispensable dans la lutte contre le terrorisme »..    Le Centre Culturel Chinois de Rabat organise l'événement « TEA FOR HARMONY – Yaji Cultural Salon »...    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Levinas, le visage, l'humanité
Publié dans Albayane le 30 - 03 - 2020

Le livre de Corine Pelluchon «Pour comprendre Levinas, une philosophie de notre temps» (Seuil, 2020) est non seulement un magnifique portrait intellectuel de l'auteur de «Totalité et infini» (1971) mais aussi une réflexion sur la vulnérabilité de l'être et de notre responsabilité à l'égard de l'Autre.
Disons-le d'emblée, il ne s'agit ni d'une biographie sur Emmanuel Levinas, ni d'un livre sur sa pensée. L'essai de Corine Pelluchon est un portrait de Levinas qui se fond sur un paysage, celui de notre modernité fragile. Il s'agirait peut-être d'un portrait deleuzien de Levinas, à la fois proche et lointain, cherchant la ressemblance, c'est-à-dire à faire dire à l'auteur ce qu'il a effectivement dit, mais tout en passant par des bifurcations, des cassures afin de penser des domaines tels que la théorie du care ou la cause animalière.
Notre inquiétant vingt-et-unième siècle nous amène à penser de nouvelles formes d'éthique et à saisir la vérité de notre vulnérabilité par-delà la logique du dévoilement. «L'Etat de guerre suspend la morale» écrit Levinas au début de «Totalité et infini», à la fois comme une réponse au déontologisme de Kant mais aussi comme un appel à la transcendance, à ce qui se trouve au-delà du perceptible et de l'intelligible. Cette transcendance peut se trouver dans l'amour et dans le rapport au visage de l'autre: «L'amour reste un rapport avec autrui, virant en besoin, et ce besoin présuppose encore l'extériorité totale, transcendante de l'autre, de l'aimé. Mais l'amour va au-delà de l'aimé. Voilà pourquoi à travers le visage flirte l'obscure lumière venant d'au-delà du visage, de ce qui n'est pas encore, d'un future jamais assez future, plus lointain que le possible» (Totalité et infini, p. 285).
Si la guerre suspend la morale, elle n'implique pas qu'il faille adopter les conceptions conflictuelles théorisées par Carl Schmitt. La vie, y compris la vie politique, ne se résume pas dans la dichotomie ami/ennemi. Si guerre il y a, elle ne doit pas nous empêcher de repenser de nouvelles formes d'éthique, notamment à travers notre responsabilité à l'égard d'autrui.
Dans «Totalité et infini», Levinas écrit : «L'effort de ce livre tend à apercevoir dans le discours une relation non allergique à l'altérité, à y apercevoir le Désir – où le pouvoir, par essence meurtrier, de l'Autre, devient, en face de l'Autre et « contre tout bon sens», impossibilité du meurtre, considération de l'autre ou justice» (p. 38). L'ouvrage de Corine Pelluchon montre que la source de l'éthique ne se trouve pas dans la raison mais dans l'extériorité, dans le rapport à cet « Autre».
Après avoir évoqué les sources de Levinas, notamment son rapport à Descartes et Husserl, Corine Pelluchon présente la lecture critique que ce dernier effectua de Heidegger. Alors que l'auteur de «Etre et temps» (1927) reste dans une pensée du «pour-soi», de l'individuation, Levinas insiste sur l'existence de l'Autre et sur la responsabilité que nous avons à son égard.
L'Autre n'est pas moi, il est un visage et à travers son visage s'exprime une humanité plurielle qui n'est pas la simple somme arithmétique des différents «Je». Il faut partir de la relation concrète entre le monde et moi pour penser cette altérité. Contrairement à Heidegger, dont il reprendra l'idée qu'être c'est exister et être affecté de telle ou telle manière, Levinas fait passer l'éthique avant la liberté, l'hospitalité avant l'individuation.
L'épiphanie du visage est ce qui se manifeste explicitement ou implicitement sur le visage, ce qui nous apparait lorsque nous sommes face à ce visage. Le rapport à l'Autre a son point de départ en moi.
L'expérience phénoménologique du rapport à ce visage rend évidente – au sens cartésien – notre responsabilité infinie à l'égard d'autrui. C'est en ce sens que Levinas prend certaines distances avec Kant : «La responsabilité se distingue de l'obligation, laquelle découle des devoirs qui s'ensuivent de mes engagements professionnels ou familiaux de mes choix.
Elle ne vient donc pas de moi mais d'autrui, de l'extériorité, et elle est infinie, parce qu'elle ne disparait pas une fois que j'ai rempli mon devoir, que j'ai obéi aux normes sociales ou même que j'ai donné de mon temps et de mon argent pour aider quelqu'un dans la détresse» (Pour comprendre Levinas, p. 85, voir aussi p. 98 et s). Le visage de l'Autre n'est pas seulement son physique, il est aussi l'expression de sa fragilité, de sa souffrance, de ses appels au secours, de son amour pour nous.
La troisième partie du livre de Corine Pelluchon intitulée «Responsabilité, vulnérabilité et substitution» a trait avec le milieu médical et la question des soins. Elle fait dialoguer Levinas avec la théorie du care, la question de la dignité du patient, de sa prise en compte en tant qu'être humain par le corps médical, du besoin qu'a ce dernier de ne pas être réduit à sa maladie et à la violence des assignations identitaires qu'on lui appose. Aujourd'hui, il faut repenser éthiquement les maux créés par des mots tels que «virus», «infectés» ou «contamination».
Hegel n'a pas tort de souligner dans «Esthétique» (1835) que le langage est arbitraire et qu'il est extérieur à l'objet qu'il désigne. Derrière les mots qui désignent la maladie, il restera toujours l'humanité de l'autre ainsi que notre responsabilité infinie à son égard, rendant obsolètes les logiques gestionnaires du vivant. Notre époque actuelle donne également une connotation particulière du visage. Il est ce dont il faut se protéger, ce qu'il faut protéger et ce dont il faut protéger autrui.
Plus que jamais, le visage de l'Autre, qui n'est pas un miroir du mien, rappelle notre vulnérabilité commune. Et c'est de cette vulnérabilité commune, de cette responsabilité infinie à l'égard du visage de l'Autre, qui n'est ni de la sollicitude, ni un devoir, ni un souci d'équité, que peut être pensée une nouvelle forme d'éthique, une autre alternative à l'opposition classique entre éthique de la vertu, déontologisme et conséquentialisme.
Corine Pelluchon montre que cette conception éthique de Levinas est une phénoménologie de l'altérité : «La justice ne consiste pas à revendiquer l'égalité des droits ou l'égalité d'accès aux ressources, mais à s'inquiéter que les autres ne puissent jouir de ces droits» (p. 204).
Que signifie regarder le visage de l'autre ? Prendre conscience que la pluralité humaine ne se limite pas à une coexistence déshumanisée, centrée sur la recherche du bonheur individuel, la reconnaissance sociale ou le libre jeu de la concurrence, mais qu'elle implique avant tout la fraternité et la solidarité.
Jean Zaganiaris, professeur de philosophie au lycée Descartes de Rabat.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.