Mercredi 7 juin 1893 Le vent est tombé, la belle sensation de l'arrivée est revenue. Ce matin, à l'aube, c'était la grande féerie. Dès 4 heures et demie, le soleil m'a éveillé, et, de mon lit, je voyais étinceler l'Acropole, pâmée dans la lumière sous l'étreinte de Phébus immortel, surgissant en face, derrière l'Hymette. (Toutes mes excuses, mais, vraiment, si un peu de mythologie est excusable, c'est ici). Tu penses si j'ai été vite debout, et ç'a été, toute la matinée, une lente promenade. Je l'ai commencée dans la vieille ville marchande, celle d'Adrien, j'ai traversé les vestiges de l'Agora. Au Céramique, je suis entré par la porte de la route sacrée, celle d'Eleusis, dans une rue de tombeau encore debout, quelques-uns intacts : celui de Dexileos, mon collègue de l'an 400 avant J.-C., un des cinq chevaliers, chefs de cavalerie, tués à Coronée et qu'on voit, à cheval, luttant contre l'ennemi ; celui de Dinoysos surmonté d'un taureau superbe. Je suis monté au Pnyx, la colline rocheuse où se tenait l'Assemblée du Peuple : la tribune la couronne encore, taillée à même le marbre du roc, la tribune de Démonsthène. Sur un rocher l'Aréopage, tribunal suprême ! sur un rocher le Parthénon ! les Romains ont mis leur forum dans un bas-fond, nous avons construit Notre-Dame au ras de l'eau : ici, pour les fonctions publiques, les hauts lieux, in altis. Ah ! le noble peuple ! De cette tribune, l'orateur avait en face de lui l'Acropole, les temples, Pallas Athênée ; l'hémicycle de ses auditeurs, la mer, la vaste baie, Salamine, les eaux libératrices, où les ancêtres avaient vaincu la barbarie et ouvert, avec le libre génie grec, toute l'implacable et progressive évolution du Mouséion, où, vers dix heures, blotti dans une niche du monument de philoppapos, bien assis, bien accoudé, la tête appuyée aux débris d'un quadrige, j'ai regardé longtemps la lumière jouer sur les Propylées. Et ce vers, de Beaudelaire, je crois, me chantait à l'oreille : Oh ! qui rendra jamais ta grâce et ta beauté ! Et enfin, vers midi, une dernière halte dans la salle des Panathénées, devant l'éphèbe voilé et sombre qui conduit le taureau au sacrifice, devant le cavalier élégant et souple qui, se retournant à demi, retient son cheval en attendant le cortège. La noble vie ! le noble peuple !