Ouardirhi Abdelaziz A l'instar des autres pays de la planète, le Maroc célébré la journée mondiale de la schizophrénie 18 mars 2023. Il est important de souligner que cet événement se déroule pour la 20ème fois, et son objectif est de sensibiliser le public, de déstigmatiser cette maladie et de faciliter l'accès précoce aux soins. Un siècle de schizophrénie La schizophrénie, qui a été décrite pour la première fois en 1908, reste l'un des troubles les plus énigmatiques de la psychiatrie. C'est un problème de santé publique difficile à prendre en charge, qui entraîne une souffrance importante pour les patients et leur entourage. La schizophrénie est une maladie répandue et universelle, classée par l'Organisation Mondiale de la Santé au 8ème rang des handicaps mondiaux pour les 15-44 ans. Intérêt du diagnostic précoce Le principal problème lié à la schizophrénie est le diagnostic tardif. Lorsqu'une personne devient agitée, parle seule ou a un discours incohérent, la famille est souvent confrontée à un dilemme. Des croyances telles que les mauvais sorts ou les démons sont évoquées, entraînant des visites de marabouts, de certains saints et de charlatans proposant des potions et des talismans. Toutes ces actions retardent un diagnostic précoce, qui est crucial pour limiter les conséquences de la maladie et le handicap qu'elle entraîne. Il est donc essentiel de connaître les premiers signes de la schizophrénie et de bénéficier d'une prise en charge rapide. Des troubles multiples et variés La schizophrénie se manifeste par des troubles majeurs de la perception de la réalité et des altérations comportementales. Les symptômes peuvent prendre la forme d'hallucinations, qu'elles soient auditives, visuelles ou tactiles, où la personne peut entendre, sentir, voir, toucher ou ressentir des choses qui n'existent pas. Elle peut également se manifester par des délires, qui sont des fausses croyances difficiles à raisonner, comme par exemple le fait de croire que l'on est poursuivi par des extraterrestres ou une organisation secrète. Les personnes atteintes de schizophrénie présentent une désorganisation de la pensée qui se manifeste souvent par un discours confus ou inapproprié, ainsi qu'une désorganisation extrême du comportement. Par exemple, elles peuvent adopter des comportements étranges ou absurdes, ou avoir des réactions émotionnelles imprévisibles ou inadaptées qui les empêchent d'adopter un comportement approprié. Ces symptômes peuvent inclure une agitation extrême ou un ralentissement psychomoteur, ainsi que l'adoption de postures inhabituelles. Les causes de la schizophrénie La schizophrénie n'a pas de causes uniques connues, et il est envisagé que les troubles recouvrent en fait plusieurs maladies différentes. Il est donc plus juste de parler des schizophrénies, au pluriel. Comme d'autres pathologies, elle semble due à un ensemble de facteurs qui interagissent entre eux. La science identifie des causes génétiques, neurochimiques, neuro développementale. Mais il y a aussi les bouleversements dans la vie affective, la pression de performance au travail ou dans les études, le soutien social insuffisant, certaines émotions exprimées de la part de l'entourage (hostilité, attitude envahissante, agressivité), les problématiques d'alcool et de drogue. Ampleur du problème au niveau mondial À l'échelle mondiale, la schizophrénie touche 0,7 % à 1 % de la population, environ 24 millions de personnes, soit 1 personne sur 300. La schizophrénie survient chez les jeunes à la fin de l'adolescence ou au début de la vie adulte, habituellement entre 15 et 30 ans. Exceptionnellement, elle peut apparaître parfois pendant l'enfance ou après 30 ans. On parle alors de schizophrénie juvénile ou de schizophrénie à début tardif, selon le cas. Qu'en est-il au Maroc ? On estime qu'il y a 340.000 Marocains qui souffrent de schizophrénie, c'est ce qu'avait révélé le professeur Abderrazak Ouanass, président de la Société marocaine de psychiatrie, lors du congrès national de psychiatrie tenu à Marrakech, les 27 et 28 mai 2022. Un conclave auquel avait pris part tous les psychiatres marocains, universitaires, publics, privés et militaires. Quelle prévention pour la schizophrénie ? Des prises en charge spécialisées adaptées lors de la phase prodromique. C'est-à-dire la période au cours de laquelle les signes avant-coureurs de la maladie se manifestent. Un comportement inhabituel, une tendance à l'isolement, un laisser-aller général, chez des sujets à très haut risque. Ces prises en charge pourraient permettre d'atténuer, voire de ne pas entrer dans la maladie, en renforçant la capacité de leur cerveau à passer outre à une éventuelle fragilité. Dans les pays qui ont mis en place des programmes de détection et d'interventions précoces, le taux de transition, c'est-à-dire le pourcentage des patients à risque qui développent une psychose, a chuté de quasiment un tiers. Diverses expériences menées en Australie ont ainsi visé à adapter et améliorer l'environnement familial et social des adolescents à risque (perturbations cognitives minimes, sexe masculin, immigrés, famille stressante avec degré trop élevé d'exigences sociales) : les résultats ont été intéressants. L'orientation rapide des jeunes en rupture scolaire ou sociale vers des consultations spécialisées est indispensable : elle permet une évaluation précise et multidisciplinaire de la situation. Elle peut aussi permettre de mettre en place une stratégie thérapeutique qui vise à prévenir le risque d'une possible transition vers une schizophrénie chez les sujets apparemment vulnérables. Ces stratégies ne sont, le plus souvent, pas médicamenteuses, mais comportementales (apprendre à gérer son stress) et psychosociales (réduction du stress et élimination des toxiques comme l'alcool, le cannabis et les psychostimulants). Le grand problème au Maroc concernant le diagnostic précoce, la prise en charge des maladies mentales et psychiques en milieu spécialisé, et la prévention de tous ces troubles, est intimement lié au moyens dont nous disposons (moyens humains, psychiatres, infirmiers, infrastructures, médicaments, budgets ....) La réalité est choquante des lors que nous parlons de psychiatrie, de maladies mentales, nous ne disposons aujourd'hui que 400 psychiatres. Si on se réfère aux chiffres du ministère de la Santé révélés devant la Chambre des Représentants en 2022, il y a 121 psychiatres dont 11 médecins ont pris leurs services en 2021 et 15 en 2022. Le Royaume compte aujourd'hui moins d'un psychiatre pour 100.000 habitants. On doit reconnaitre que des efforts sont entrepris, que des moyens sont consentis, mais il faut reconnaitre qu'il reste beaucoup à faire dans la santé mentale, dans la prise en charge des maladies et troubles mentaux.....