Dorénavant, toute personne pénétrant dans les bâtiments parlementaires afin de plaider une cause au nom d'un organisme tiers devra activer un laissez-passer nominatif à une borne d'identification et préciser l'objet de sa visite. Cette formalité concerne tant les rencontres avec un député (MEP) que la participation à une réunion interne ou à un événement inscrit à l'agenda officiel. Dans une volonté affichée de restaurer l'honneur de ses enceintes ternies par les soupçons d'ingérence étrangère, le Parlement européen a mis en vigueur, depuis le 1er mai, une réglementation inédite encadrant de manière rigoureuse l'accès des représentants d'intérêts à ses bâtiments. Un cordon de discrétion autour des influences extérieures Toute personne se présentant pour défendre les intérêts d'un organisme tiers devra désormais activer son badge nominatif à une borne d'accès, et consigner avec précision le motif de sa présence : rendez-vous avec un député européen (MEP), entretien avec un collaborateur ou participation à une réunion officielle. Cette procédure, dont les modalités ont été communiquées aux intéressés par voie électronique, rompt avec la souplesse antérieure dont jouissaient les titulaires d'une accréditation permanente. «Après l'affaire dite Qatargate, il est apparu impérieux d'introduire une exigence accrue de transparence dans les interactions entre notre institution et les milieux extérieurs», a confié à Politico M. Marc Angel, questeur chargé de la gestion administrative interne. «Que l'interlocuteur soit issu du monde entrepreneurial ou du secteur associatif, il nous semble naturel de savoir qui entre, pourquoi, et à quel titre.» Les informations collectées seront conservées à titre confidentiel par le service de sécurité, seul habilité à y accéder en cas de contentieux. Elles ne feront l'objet d'aucune publication. En parallèle, les députés demeurent tenus de rendre publiques leurs rencontres avec les représentants d'intérêts, selon une obligation préexistante. Cette réforme, adoptée en mars 2024 par la Conférence des présidents, s'applique sans distinction aux lobbyistes, aux visiteurs occasionnels et aux anciens députés. Une réponse institutionnelle à la tentation corruptrice Le durcissement de ces règles s'inscrit dans une entreprise de moralisation de l'appareil parlementaire, entamée après les révélations retentissantes de décembre 2022. Ce mois-là, les services de police belges avaient procédé à une série de perquisitions spectaculaires, saisissant des valises d'argent liquide et interpellant plusieurs personnalités liées à l'institution. Le cœur de l'affaire — rapidement baptisée «Qatargate» — portait sur des soupçons de faveurs octroyées à Doha en échange d'espèces sonnantes. Un porte-parole de l'assemblée a rappelé que ces mesures s'inscrivent dans un «effort global de restauration de l'intégrité, de la liberté de jugement et de la responsabilité» des députés, tout en veillant à la préservation de leur indépendance décisionnelle. Un monde professionnel divisé, entre résignation et exaspération Cette réorientation éthique, bien que saluée par certains comme un gage de probité institutionnelle, ne fait pas l'unanimité parmi les intéressés. Emma Brown, présidente de la Société des professionnels des affaires européennes (SEAP), a dénoncé une surcharge administrative qu'elle juge superflue : «Nous sommes déjà enregistrés avec le plus grand soin. Imposer une activation quotidienne assortie de justifications détaillées relève d'un formalisme excessif, dépourvu d'avantage tangible.» Quoi qu'il en soit, l'institution européenne semble déterminée à se prémunir contre les formes insidieuses d'influence, au prix d'une rigueur que d'aucuns jugeront tatillonne, mais dont les défenseurs soulignent la vertu prophylactique dans un climat de méfiance croissante à l'égard des cercles du pouvoir.