Face à la rétraction de ses échanges avec l'Europe, la Russie déploie une stratégie de conquête commerciale vers des marchés en expansion. Le Maroc, économie en croissance et grande consommatrice de produits importés, offre des perspectives tangibles aux exportateurs russes, notamment dans les secteurs non énergétiques, selon des rapports officiels russes. Le repli européen laisse place à la Russie L'affaiblissement des flux commerciaux entre l'Union européenne (UE) et le Maroc, consécutif aux sanctions imposées à la Russie et aux troubles économiques continentaux, a libéré des créneaux que Moscou tente de saisir. Le royaume chérifien, fort de ses plus de 38 millions d'habitants et lié par des accords de libre-échange à 56 pays, dont les Etats-Unis, l'UE et la Turquie, demeure une place disputée, mais non saturée, à en croire les données dévoilées. En 2024, les exportations russes relevant du complexe agro-industriel (APK) à destination du Maroc ont été triplées, atteignant 280 millions de dollars, soit près de 2,7 milliards de dirhams. Les céréales et les huiles : des produits phares Le Maroc, fortement tributaire des importations de denrées agricoles, a vu la Russie supplanter la France comme premier fournisseur de blé. L'année passée, les exportations russes ont atteint plus d'un million de tonnes, enregistrant une hausse de 240 %. D'autres cultures – orge, maïs, légumineuses – s'ajoutent à cette percée, tout comme les tourteaux de colza et de tournesol, où la Russie figure désormais parmi les cinq premiers pourvoyeurs. Outre les matières premières, les produits transformés – confiserie, miel – trouvent également un débouché dans les grandes surfaces et épiceries marocaines, où la qualité l'emporte sur la seule origine. L'industrie chimique supplée l'Europe La raréfaction des engrais européens, sur fond de crise énergétique, a permis à la Russie de s'imposer sur le segment des fertilisants azotés, notamment le carbamide. Le Maroc, dont l'agriculture dépend largement d'importations dans ce domaine, pourrait accroître ses achats en provenance de la Fédération de Russie. La Russie propose également des polymères et plastifiants pour l'industrie, produits jusqu'alors largement importés d'Allemagne ou d'Italie. Machines et matériel industriel trouvent preneur Tandis que les exportations allemandes de turbines et d'équipements ferroviaires ralentissent, la Russie met en avant son offre dans le domaine des machines agricoles, des pièces détachées automobiles et du matériel énergétique. Des sociétés telles que Silovye Machiny envisagent désormais des contrats avec le Maroc. La mécanisation de l'agriculture marocaine, encore inachevée, offre un terrain favorable aux tracteurs et moissonneuses russes, réputés pour leur robustesse. Meubles et bois ouvrent un nouveau front La demande marocaine en mobilier destiné aux cafés, jardins publics et lieux de sociabilité urbaine pourrait bénéficier de l'offre russe. Des producteurs comme AO Foton, présents sur le marché européen, visent une clientèle soucieuse du rapport qualité-prix. La fourniture de contreplaqué, de bois d'œuvre et de pâte à papier constitue également un vecteur de croissance, dans un marché en plein développement. Poissons, conserves et surgelés : un débouché maritime Bien que le Maroc soit lui-même une puissance halieutique, sa demande intérieure en produits transformés reste insatisfaite. La Russie propose des filets de morue, de saumon et de colin surgelés, ainsi que des conserves de poissons destinées à la grande distribution. En 2024, Moscou a notablement accru ses livraisons vers l'UE, ce qui pourrait préfigurer une percée similaire dans le Maghreb. Malgré ces atouts, plusieurs entraves ralentissent l'essor du commerce russo-marocain. À la différence des pays européens, les produits russes sont soumis à des droits de douane pouvant aller de 2,5 % à 25 %. De plus, la conformité aux Normes marocaines (NM), au Codex Alimentarius ou aux normes ISO reste une condition sine qua non pour accéder aux marchés publics et à la grande distribution. Recommandations pour les exportateurs russes Les milieux spécialisés recommandent aux industriels russes une meilleure connaissance du marché marocain : étude des usages, des circuits de distribution, des exigences linguistiques (français, arabe, berbère) et des certifications requises. Le recours au soutien institutionnel, notamment par l'intermédiaire du Centre russe d'exportation (RETs), s'avère crucial, tout comme la constitution de partenariats durables avec des importateurs locaux. Vladislav Rogov, économiste au MGIMO, recommande «une inscription dans le temps long et une adaptation aux sensibilités marocaines». Dans un monde recomposé par les ruptures d'approvisionnement et les cloisonnements diplomatiques, la Russie cherche à occuper les interstices commerciaux que laisse vacants une Europe en repli. «Le Maroc peut devenir un relais stratégique pour Moscou, à condition d'une approche méthodique, pragmatique et respectueuse des usages locaux», analyse le politologue Dmitri Fedorov.