L'ancien président nigérian Muhammadu Buhari, figure austère et militaire devenu chef d'Etat élu, s'est éteint dimanche à Londres à l'âge de 82 ans, a annoncé son ancien porte-parole. Il avait profondément marqué la relation entre Abuja et Rabat en scellant, avec le roi Mohammed VI, l'un des projets les plus ambitieux jamais conçus sur le continent africain : un gazoduc transatlantique reliant le Nigéria à l'Europe via le Maroc. «La famille de l'ancien président a annoncé le décès de Muhammadu Buhari cet après-midi dans une clinique à Londres», a déclaré Garba Shehu, son ancien conseiller en communication. Un général devenu président civil Propulsé à la tête du pays en 1983, Muhammadu Buhari a été renversé deux ans plus tard avant de revenir au pouvoir en 2015 à l'issue d'un scrutin démocratique. Présenté comme rigoureux, voire inflexible, il a gouverné jusqu'en 2023 un Nigéria en proie aux violences de Boko Haram, à l'instabilité économique et aux crises communautaires. Il a été à la fois célébré pour sa probité perçue et pour sa gestion rigoureuse L'architecte du rapprochement stratégique avec Rabat Sur le plan extérieur, Muhammadu Buhari a incarné le tournant opéré par Abuja vers une coopération structurée avec le Maroc. Lors de la première visite officielle du président nigérian à Rabat en juin 2018, il s'est entretenu avec le roi Mohammed VI au palais royal. Cette rencontre a donné lieu à la signature d'accords majeurs, dont celui relatif au projet de gazoduc Nigeria-Maroc, conçu comme une extension du pipeline fonctionnel depuis 2010 qui relie les zones gazières du sud du Nigéria au Bénin, au Togo et au Ghana. Le gazoduc a été imaginé pour parcourir plus de 5 600 km le long de la façade atlantique de l'Afrique de l'Ouest, jusqu'aux rives marocaines, avant de rejoindre le marché européen. «Le gazoduc doit passer par au moins quinze pays ouest-africains jusqu'au Maroc, et du Maroc jusqu'à l'Espagne et l'Europe», avait rappelé le ministre nigérian du pétrole, Timipre Sylva. Le choix d'une route mixte onshore et offshore a été arrêté pour des considérations économiques, politiques et sécuritaires, selon les promoteurs. Sa construction, prévue par phases, devait répondre aux besoins croissants en énergie des pays traversés tout en consolidant la position du Nigéria comme pourvoyeur stratégique de gaz. Un projet relancé dans le sillage de la guerre en Ukraine L'invasion russe de l'Ukraine a relancé l'intérêt des Européens pour les réserves africaines. Membre de l'OPEP, le Nigéria possède les premières réserves gazières du continent, et les septièmes au niveau mondial. Face à la recherche effrénée de nouvelles sources d'approvisionnement par l'Union européenne, le gouvernement fédéral a donné, en 2022, son accord à la compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPC) pour engager un partenariat avec la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Un legs diplomatique et continental L'accord initial entre le Maroc et le Nigéria, signé en 2016 à Abuja, lors de la visite du roi Mohammed VI, a marqué un tournant dans les relations entre les deux pays. Jusqu'alors peu portées vers les partenariats structurants, les capitales anglophones du continent, telles qu'Abuja, avaient rarement accueilli d'accords bilatéraux de cette envergure avec Rabat. Muhammadu Buhari a été le premier dirigeant nigérian à établir avec le Maroc un axe énergétique et diplomatique de cette profondeur. En plus du gazoduc, la visite de 2018 a permis la signature de deux autres conventions : la première relative à l'installation d'une plate-forme industrielle destinée à la production d'ammoniaque au Nigéria, la seconde à la formation professionnelle dans le domaine agricole. Si ses détracteurs lui ont reproché sa gestion erratique des défis intérieurs, Muhammadu Buhari a laissé une empreinte durable sur la diplomatie africaine en affirmant une volonté de coopération régionale structurée. Le gazoduc atlantique, dont la faisabilité a été confirmée, demeure un projet-phare du continent et l'un des rares à avoir été envisagés comme alternative sérieuse au corridor énergétique algérien, longtemps soutenu par les chancelleries occidentales.