Le quotidien français Libération consacre, dans son édition du samedi 9 août, une enquête exhaustive au rôle interlope de Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris. La rupture entre Paris et Alger a pris un tournant sans précédent après la reconnaissance officielle par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, qualifiée par les autorités algériennes de «tabou ultime». Cet acte, présenté par le journal comme l'élément déclencheur d'une crise ouverte, s'ajoute à deux motifs de tension déjà majeurs : la détention jugée «scandaleuse» de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, emprisonné depuis huit mois et la condamnation à sept années de prison du journaliste français Christophe Gleizes. Toujours selon Libération, le ministre français de l'intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les prises de position accusatoires, désignant explicitement Alger comme responsable et adoptant, selon les termes du journal, des «coups de menton» destinés à le placer comme figure présidentielle potentielle – «il se rêve en président». Dans ce climat tendu, Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, financée par le régime d'Abdelmadjid Tebboune, est désigné par Libération comme «l'ultime recours quand plus rien ne passe entre Alger et Paris» et même «le véritable ambassadeur d'Alger», selon des propos rapportés par l'Elysée et le Quai d'Orsay. L'organe de presse note qu'il «a l'oreille d'Emmanuel Macron» tout en étant «la voix du président Abdelmadjid Tebboune». Chems-Eddine Hafiz, relais officieux fragilisé Selon Libération, M. Hafiz est un proche des deux présidents, décoré par M. Macron de la Légion d'honneur. Sur le plan personnel, des diplomates décrivent un profil séduisant – «Sur le papier, il est formidable, fin, ouvert, un discours républicain impeccable mais...» – mais insistent sur une dimension ambivalente : «C'est un personnage double. Méfiance.» Un témoin cité ajoute : «Ici, tout est aux ordres d'Alger. [...] On est dans l'arrière-cour d'Alger.» Le quotidien rapporte que son bras droit à la mosquée, Mohammed Louanougui, est un «ancien de la DRS», les services de renseignement algériens. Mais «quelque chose s'est cassé», observe Libération, notamment en raison du temps jugé excessif mis par M. Hafiz pour condamner l'attaque terroriste du 7 octobre, ce qui a affaibli son statut d'intermédiaire privilégié. Dans le même article, Libération indique que M. Macron a annoncé un «durcissement des mesures diplomatiques et économiques». Parmi elles figure la «suspension officielle» de l'accord bilatéral de 2013 prévoyant des exemptions de visa pour les détenteurs de passeports officiels et diplomatiques algériens. Le président français a également appelé les partenaires européens à procéder au «rappel des diplomates algériens» accusés de contourner les règles de l'espace Schengen. Répliques algériennes et lettres officielles Toujours d'après Libération, Alger a réagi en imposant des visas aux diplomates français «au nom du principe de réciprocité». Le ministère algérien des affaires étrangères, dans une lettre adressée à François Bayrou, a accusé M. Macron d'«exonérer la France de l'intégralité de ses responsabilités» et de faire porter «tous les torts à la partie algérienne», qualifiant cette lecture de «rien n'est plus éloigné de la vérité et de la réalité». Le quotidien précise également que les autorités algériennes ont mis fin à la gratuité des biens immobiliers mis à disposition de l'ambassade de France à Alger. Citant l'agence officielle APS, Libération note que le loyer versé ne couvrirait même pas «le prix d'une modeste chambre de bonne à Paris». Les baux des institutions françaises installées en Algérie ont été révisés. Ces mesures, selon les observateurs interrogés par Libération, visent à signifier que la crise s'étend au domaine économique et institutionnel. Analyse stratégique et isolement français Dans son analyse, Libération observe que M. Macron rompt avec sa prudence initiale et s'aligne sur la «riposte graduelle» prônée par M. Retailleau. Pour le politologue Hasni Abidi, réputé proche des cercles algériens et cité par le journal, ce «haussement de ton d'Emmanuel Macron est à la fois maladroit et contre-productif», car il «réduit les marges de négociation» tout en «fragilisant les intérêts français en Algérie». Le quotidien rappelle qu'en choisissant cette ligne dure, M. Macron «renonce à un atout majeur», lui qui était jusque-là «le seul interlocuteur que le président algérien [...] considérait comme équilibré et crédible». Selon M. Abidi, cette stratégie «réduit les possibilités de sortie de crise» au moment où Alger mène des négociations actives avec l'Union européenne.