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Le Sahara révèle la métamorphose du réalisme diplomatique marocain en stratégie de projection, écrit le prestigieux journal international "The Conversation"
Le conflit du Sahara, qui oppose le Maroc aux indépendantistes du Front Polisario appuyés par l'Algérie, ne saurait, selon l'universitaire Azeddine Hannoun de l'université Ibn Tofaïl, être analysé sous l'angle exclusif de la puissance et de la sécurité. Dans un entretien accordé à The Conversation Africa, il souligne que «la question du Sahara ne se réduit plus à une simple rivalité géopolitique». Elle s'inscrit, poursuit-il, «dans une dimension identitaire, historique et civilisationnelle». M. Hannoun précise que «le réalisme classique échoue à saisir la portée symbolique de la question saharienne», car il se limite à une lecture matérialiste des relations internationales. Or, ajoute-t-il, le Sahara engage des éléments immatériels comme le lien d'allégeance (Beia), la centralité de la souveraineté et l'articulation entre légitimité interne et projection externe. C'est en ce sens que le néoréalisme permet d'éclairer la stratégie marocaine comme une diplomatie de projection alliant développement et rayonnement. D'une politique de retrait à une diplomatie offensive L'analyste rappelle que le Maroc a longtemps adopté une position de retrait, marquée par la politique dite de la «chaise vide» au sein de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), refusant de siéger dans une enceinte où la «RASD» était reconnue. «Cette posture dogmatique de la politique étrangère consistait à sacrifier toute autre dimension au profit exclusif de la question du Sahara», écrit-il. Ce paradigme a profondément évolué depuis le début des années 2000, sous la direction du Roi Mohammed VI. Le Maroc a mis en place une approche pragmatique, fondée sur la complémentarité entre l'intégrité territoriale et le développement économique. M. Hannoun observe que «le pays a créé des convergences entre son objectif prioritaire et d'autres ambitions stratégiques». Ce redéploiement diplomatique se traduit par la réintégration de l'Union africaine (UA), la mise en valeur géoéconomique du Sahara à travers le modèle de développement des provinces du Sud et la construction du port atlantique de Dakhla, ainsi que par une politique de partenariats élargis avec les Brics et les puissances régionales. Une diplomatie fonctionnelle et adaptative L'universitaire insiste sur le caractère payant de cette mutation. «Des dizaines de pays ont ouvert des représentations diplomatiques dans les villes de Laâyoune et Dakhla», souligne-t-il, rappelant que même les soutiens traditionnels du Maroc préféraient autrefois cantonner la question saharienne au cadre des Nations unies. Le plan d'autonomie marocain bénéficie désormais d'un appui sur plusieurs continents. Cette politique étrangère n'est plus seulement réactive. Elle est, selon M. Hannoun, «structurée par une vision historique, un récit national et une quête de continuité étatique». L'intérêt national n'est donc pas défini de manière strictement utilitariste, mais à travers des valeurs civilisationnelles et un projet collectif. Dans ce cadre, l'universitaire décrit un réalisme «éthique», ouvert à la coopération Sud-Sud, à l'intégration africaine et à la stabilité régionale. Ce réalisme, dit-il, est «à vocation transformationnelle», non plus limité à la survie ou à la défense mais capable de «construire un ordre régional plus stable, interconnecté et équitable». Le Sahara, pivot d'une projection géostratégique L'étude souligne enfin que le Sahara constitue désormais un levier géostratégique. «L'Initiative Atlantique lancée par le roi Mohammed VI transforme le Sahara en atout majeur», affirme M. Hannoun. Grâce au port de Dakhla, il devient possible d'offrir aux pays sahélo-sahariens un accès maritime à l'océan atlantique. Ce choix permet au Maroc, selon l'universitaire, de «joindre l'utile à l'agréable», en associant intégrité territoriale et coopération régionale. Il illustre une volonté d'ériger le Maroc en relais géostratégique entre l'Europe et l'Afrique, et en acteur d'un dialogue civilisations-religions. En conclusion, M. Hannoun estime que le Maroc façonne un réalisme inédit, non plus hérité de la froideur stratégique occidentale, mais adapté à son histoire et à sa vision africaine, lui permettant d'affirmer une diplomatie à la fois pragmatique et porteuse d'un projet civilisationnel.