Expert en sciences de l'agriculture et professeur à la Faculté pluridisciplinaire de Nador (Université Mohammed Ier) Face à un taux de remplissage national des barrages de 31% et des niveaux critiques dans certains bassins, le Projet de loi de finances 2026 renforce l'orientation budgétaire en faveur des infrastructures hydrauliques, priorisant le stockage, l'interconnexion des bassins et le dessalement. Le Projet de loi de finances 2026 arrive dans un contexte de sécheresse sévère. Les mesures annoncées relèvent-elles d'une gestion d'urgence ou s'inscrivent-elles dans une stratégie proactive planifiée ? La situation est complexe et relève des deux approches. La sonnette d'alarme a été tirée il y a environ trois ans, notamment lors du discours royal d'octobre 2022. La préparation a donc commencé. Le Maroc est engagé dans une stratégie nationale visant la sécurité hydrique avant 2030. Le Projet de loi de finances actuel est une tranche budgétaire qui s'inscrit dans cet effort pour équiper le pays. Parallèlement, nous sommes dans une gestion de crise pour l'année en cours. Il faut gérer l'irrigation avec les faibles réserves actuelles (31%) tout en gagnant du temps pour finaliser les grands équipements, comme les barrages et les usines de dessalement. Le dessalement fonctionne comme un «backup» stratégique pour les moments où les barrages tomberaient à des niveaux très bas, par exemple 15%. L'investissement dans le dessalement agricole semble freiné par le coût de l'eau pour les producteurs. Comment peut-on résoudre ce dilemme économique où les agriculteurs hésitent à s'engager et les investisseurs privés attendent des garanties ? C'est un défi central. L'Etat ouvre les marchés, mais l'engagement des producteurs est difficile à obtenir. En tant que président d'une association de producteurs dans la région de Nador, j'ai constaté cette hésitation. Les agriculteurs sont effrayés à l'idée de s'engager sur un prix fixe élevé, par exemple plus de 3 DH le mètre cube. Les compagnies, de leur côté, ne peuvent investir sans clients garantis. La solution dépendra de scénarios. Si les barrages sont vides, le producteur sera obligé d'acheter l'eau, même à 10 dirhams. Si les barrages sont pleins, il paiera le prix normal de l'eau de pluie, plus des frais de maintenance (peut-être 0,50 à 1 dirham) pour l'usine de dessalement. L'Etat étudie actuellement ces scénarios, notant que la régionalisation avancée pourrait aussi aider, en permettant à une région de subventionner l'eau si elle juge le secteur agricole prioritaire. Le Projet de loi de finances met l'accent sur les équipements (barrages, stations, interconnexions). Ces infrastructures sont-elles suffisantes pour faire face à la crise hydrique structurelle ? Les équipements sont nécessaires mais ne sont pas suffisants. Il faut aussi investir dans d'autres alternatives. Je pense aux bonnes pratiques agricoles, aux méthodes innovantes, à l'utilisation de la génétique pour développer des variétés plus résistantes à la sécheresse, au digital, ou encore aux biostimulants. Il est aussi impératif de revoir les cycles de production et de substituer les cultures qui consomment beaucoup d'eau. Il faut changer la mentalité de production. Nous ne sommes plus en 2010. Ces pratiques, que certains peuvent juger secondaires, peuvent avoir un impact très important sur la bonne gestion de l'eau d'irrigation. L'investissement doit couvrir les équipements, mais aussi ces méthodes innovantes. Mehdi Idrissi / Les Inspirations ECO