Le port d'Algésiras, quatrième d'Europe pour le trafic de marchandises, traverse une épreuve sans précédent. La décision du gouvernement espagnol d'interdire en novembre 2024 l'accès à deux navires de la compagnie Maersk soupçonnés (sans preuve) de transporter des armes vers Israël, a provoqué une réaction en chaîne aux conséquences majeures pour la place portuaire andalouse. Selon les observateurs, «aucune preuve n'a été fournie pour étayer ces accusations, mais la mesure a déclenché immédiatement une riposte internationale». La Commission maritime fédérale des Etats-Unis (CMF), organisme indépendant chargé de veiller aux conditions de la navigation et du commerce extérieur, a ouvert une enquête formelle qui a débouché sur un veto inédit : «les navires battant pavillon américain ou transportant des marchandises à destination des Etats-Unis ne peuvent plus opérer à Algésiras». Maersk transfère ses routes vers Tanger Med Le premier effet de cette sanction a été la décision de Maersk de retirer Algésiras de sa ligne reliant l'Inde et le Moyen-Orient à la côte Est américaine, pour établir son escale principale à Tanger Med. Les experts notent que «le port marocain dispose d'atouts compétitifs face à ses homologues européens, notamment des coûts réglementaires et salariaux plus faibles et une souplesse normative accrue». Ce déplacement stratégique prive l'Espagne d'un maillon essentiel dans les échanges intercontinentaux. Les analystes avertissent que «si d'autres compagnies imitent Maersk, Algésiras se verra réduit à un rôle marginal, avec de lourdes répercussions économiques et sociales, qu'il s'agisse de pertes d'emplois, de désaffection des investisseurs ou d'affaiblissement de la compétitivité». La politique espagnole sous le regard américain Dans son avis publié au Registre fédéral, la CMF a fait savoir qu'elle avait été informée dès le 19 novembre 2024 que l'Espagne refusait l'accès à des navires, y compris ceux inscrits au programme américain de sécurité maritime, qui doit protéger les armateurs contre toute mesure «restrictive ou discriminatoire». L'organisme précise que «cette pratique est jugée de nature à créer des conditions défavorables à la navigation dans le commerce extérieur» et que des amendes allant jusqu'à 2,3 millions de dollars par voyage pourraient être infligées si l'ingérence espagnole était confirmée. Deux des incidents mentionnés par la CMF concernaient des bâtiments opérés par Maersk en novembre 2024, tandis qu'un autre cas remontait à mai de la même année. Les déclarations des responsables espagnols Le ministre des transports, Óscar Puente, avait déclaré en mai que le ministère des affaires étrangères avait refusé l'accostage au navire Marianne Danica, battant pavillon danois, au motif qu'il transportait des armes à destination d'Israël. Le lendemain, le ministre des affaires étrangères, José Manuel Albares, affirmait à la télévision publique que «c'était la première fois qu'un navire transportant des armes vers Israël se voyait refuser l'accès à un port espagnol». Il ajoutait : «nous ne contribuerons pas à l'arrivée de nouvelles armes au Proche-Orient, une région qui a besoin de paix. C'est pourquoi ce premier refus d'autorisation ouvrira la voie à une politique systématique concernant tout bâtiment transportant des armes vers Israël». Un avenir incertain pour Algésiras La situation du port andalou contraste avec l'essor de Tanger Med, qui accroît sa position dans le détroit de Gibraltar et menace de supplanter définitivement Algésiras comme tête de pont méditerranéenne. Les représentants patronaux et syndicaux du secteur alertent : «si la décision politique n'est pas révisée, la dégradation des services sera inévitable, avec moins d'escales, une réduction des investissements et, à terme, une perte massive d'emplois». Le port d'Algésiras, nœud essentiel reliant l'Europe, l'Afrique et les Amériques, pourrait voir son avenir compromis par ce que nombre de professionnels qualifient de choix «improvisés et idéologiques».