Aziz Akhannouch paraissait déjà auréolé d'un triomphalisme prématuré, comme si la réélection était acquise d'avance. Ses lieutenants ne cessaient de vanter, depuis mai, les prétendus succès du gouvernement, multipliant les proclamations flatteuses tandis que la réalité sociale, plus tenace, venait rappeler l'ampleur des tensions dans le royaume. Les discours de M. Akhannouch peinent à masquer le malaise persistant : chômage, précarité, inégalités et insatisfaction généralisée semblent résister à toutes les mesures mises en avant par l'exécutif. Dans ce contexte, les tentatives pour museler les corps intermédiaires – associations, syndicats, collectifs citoyens et mêmes institutions royales – se heurtent à l'irrépressible vitalité de la contestation. Les manifestations se multiplient dans les grandes villes et des groupes de jeunes continuent à faire entendre leurs revendications sur l'éducation, la santé et la lutte contre la corruption. Le gouvernement met en avant ses programmes sociaux et ses projets de reconstruction, mais ces efforts se révèlent insuffisants face à la défiance populaire et à l'exaspération grandissante des couches défavorisées. Tandis que le silence du chef du gouvernement semble prolonger l'illusion d'un contrôle absolu, la tension sociale s'accumule, transformant le quinquennat rêvé en un exercice délicat et douloureux. Des centaines de jeunes ont entamé des manifestations réclamant une réforme en profondeur du système éducatif et des services de santé publique. Ces rassemblements, convoqués par un collectif se présentant sous le nom de Gen Z 212, ont pour départ la plate-forme Discord et matérialisent de graves préoccupations «autour de questions comme la santé, l'éducation et la lutte contre la corruption» tout en affirmant «un attachement envers la patrie». Les protestations se déroulent sur fond d'inégalités sociales persistantes, frappant particulièrement les jeunes et les femmes. La colère a été exacerbée par le mort inexpliquée de huit femmes enceintes admises pour des césariennes à l'hôpital public d'Agadir, selon la presse locale. À la suite de ce drame, le directeur de l'établissement et plusieurs responsables locaux ont été limogés, une enquête interne a été enclenchée et des réparations promises, mais la fin du quinquennat d'Aziz Akhannouch s'avère périlleuse. Une des critiques avancées par les jeunes est que le gouvernement d'Aziz Akhannouch semble s'être constitué en une oligarchie où le pouvoir et les privilèges se concentrent au sein d'un cercle restreint, quasi-hermétique aux aspirations populaires. Chaque nomination, chaque décision stratégique paraît mûrie pour préserver les intérêts d'un petit groupe de fidèles au mépris des institutions représentatives. Les associations, les forces citoyennes et les syndicats, censés jouer un rôle de contrepoids et d'expertise, se voient marginalisés, entravés par des interdictions arbitraires ou des pressions implicites, alors même que leurs actions œuvrent à pallier des carences criantes dans l'éducation, la santé et la protection sociale. La mise en avant de subventions massives ou de projets pharaoniques ne dissimule ni la persistance des inégalités, ni le chômage structurel, ni la défiance populaire croissante. Aziz Akhannouch a verrouillé les leviers de décision en maintenant un ordre social où l'accès aux ressources, à la reconnaissance et au pouvoir reste strictement circonscrit à une élite choisie qui lutte désormais pour gérer le pays jusqu'en 2030. Ce cloisonnement systématique accentue la fracture entre les discours officiels et le quotidien des citoyens, alimentant un ressentiment latent et une défiance qui ne cessent de croître. Faiblesses structurelles du bilan gouvernemental Ces troubles surviennent alors que le bilan d'Aziz Akhannouch est examiné à la loupe. Si le gouvernement revendique certains progrès macroéconomiques, de nombreux indicateurs révèlent une fragilité persistante. Le produit intérieur brut (PIB) a progressé de 3,8 % en 2024 après 3,7 % en 2023, mais les critiques rappellent qu'il n'avait augmenté que de 1,3 % en 2022 et de 2,9 % en 2023, des rythmes jugés insuffisants pour absorber la pression sociale. L'exécutif met en avant une inflation retombée sous 1 % fin 2024 après avoir culminé à 6,6 % en 2022 et 6,1 % en 2023, grâce à des subventions colossales. Le gouvernement a consacré 88,2 milliards de dirhams (MMDH) entre 2022 et 2024 au soutien du pouvoir d'achat, dont 53,6 MMDH pour le gaz butane, 17,5 MMDH pour le sucre et 16,8 MMDH pour la farine. Malgré cet effort budgétaire, les ménages demeurent exposés à la volatilité des prix internationaux. Sur le front de l'emploi, les statistiques divergent. L'exécutif revendique plus de 600 000 postes créés depuis 2021, dont 351 000 sur le seul secteur non-agricole entre 2024 et 2025. Mais selon des analyses indépendantes, environ 181 000 emplois nets auraient disparu au milieu du mandat, portant le taux de chômage à près de 13 %. La participation des femmes au marché du travail stagne autour de 19 %, loin de l'objectif fixé à 30 %. Les investissements étrangers directs (IED) offrent un tableau contrasté. Ils atteignaient 43,2 MMDH en 2024 contre 26 MMDH en 2020, mais leur évolution reste erratique : entre 2022 et 2023, ils avaient chuté de plus de moitié. Dans le même temps, les faillites d'entreprises ont augmenté de 15 % en un an, signe d'un tissu économique fragilisé. Données sociales et perception populaire Le registre social unifié (RSU) recense aujourd'hui environ 3,5 millions de ménages, permettant à quatre millions de foyers de bénéficier d'aides financières directes, mais les critères de ce dispositif restent erratiques. Dans le domaine éducatif, le gouvernement a multiplié les «écoles pionnières», passées de 600 à 4 600 en 2025, avec un objectif de 6 600 en 2026, sauf que les classements mondiaux du Maroc restent catastrophiques. Quelque 8,3 millions d'élèves ont rejoint la rentrée scolaire 2025 dans des conditions jugées améliorées. Le programme de reconstruction après le séisme d'Al Haouz a permis la réhabilitation ou la reconstruction de 51 000 logements, la remise en état de 300 écoles et d'une centaine de centres de santé. Près de 6,9 MMDH d'aides financières ont déjà été versés aux familles sinistrées. Malgré ces réalisations, la défiance citoyenne s'accroît. Selon l'Afrobaromètre publié en mai 2025, 61 % des Marocains désapprouvent l'action d'Aziz Akhannouch, dont un tiers «totalement». Près de 66 % déclarent avoir peu ou pas de confiance en lui, contre à peine 32 % exprimant une confiance relative. Ces protestations urbaines, les dérèglements sanitaires révélés à Agadir et la défiance populaire illustrée par les sondages s'agrègent désormais dans une même critique : celle d'un gouvernement accusé de privilégier les équilibres budgétaires au détriment de l'urgence sociale.