Le 3 octobre, le Maroc et l'Union européenne (UE) ont signé l'échange de lettres amendant l'accord agricole liant les deux parties. Le texte est entré immédiatement en application provisoire, en attendant la finalisation des procédures internes des deux parties. En vertu de cet accord, les produits agricoles des provinces du Sud bénéficient des mêmes conditions d'accès préférentiel au marché européen que ceux du reste du Royaume, conformément à l'accord d'association Maroc-UE. Ces produits seront identifiés par un étiquetage mentionnant les régions d'origine : Laâyoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Eddahab. Cet accord se substitue à celui qui a été invalidé en 2024 par la CJUE au motif qu'il avait été appliqué aux produits originaires d'un territoire non autonome et sans consultation de la population concernée. Les juristes de l'UE ont ainsi trouvé le moyen de concilier deux impératifs contradictoires : maintenir le partenariat stratégique avec Rabat, tout en évitant une violation frontale de la jurisprudence de la CJUE. Le polisario a rejeté l'accord du 3 octobre 2025 et annoncé le recours à «toutes les voies de droit appropriées». Exigences juridiques Dans ses arrêts antérieurs, la CJUE a établi une série d'exigences juridiques majeures qu'il convient d'analyser. Distinction territoriale Sur le point de la distinction territoriale, l'UE a ajusté son dispositif pour se conformer à la lettre de la jurisprudence : mentionner la provenance est une modalité qui répond directement à la requête de la Cour. La distinction territoriale étant désormais actée, le nœud réel du contentieux à venir sera la nature et la source du «consentement» au sens du droit international et européen. Consentement La Cour, dans ses arrêts de 2016 et de 2024, a jugé que les accords UE–Maroc ne peuvent s'appliquer au Sahara occidental qu'avec le consentement de la population du territoire. Mais la Cour n'a pas tranché la question de savoir qui représente légitimement la population, ni défini juridiquement les modalités pratiques d'obtention de ce consentement. Elle s'est bornée à admettre la qualité pour agir du polisario, non à en faire le représentant exclusif comme il le prétend. En d'autres termes : le polisario a qualité procédurale (il peut ester en justice), mais la CJUE n'a pas dit qu'il détenait l'exclusivité de la représentation politique de la population. Or, cette population sahraouie est fractionnée, ce qui rend la mise en œuvre concrète du consentement quasi insoluble : une majorité vit aujourd'hui dans les provinces du Sud ; une minorité demeure dans les camps de Tindouf, en Algérie, sous autorité administrative du polisario et contrôle de l'armée algérienne. Dès lors, se pose la question de savoir qui peut, de manière incontestable, consentir au nom de l'ensemble de la population. La Commission européenne affirme avoir pris des «mesures raisonnables et faisables» pour impliquer les populations concernées, à travers des consultations locales et des programmes de bénéfices économiques (aides, financements ciblés, projets de développement). Elle en déduit une présomption de consentement fondée sur le dialogue et le partage des retombées. Le désaccord central porte sur la valeur juridique et la représentativité de ces consultations. L'Union européenne estime que l'implication des «populations locales» suffit à établir un consentement implicite, tandis que le polisario soutient que seul le représentant reconnu du «peuple sahraoui» peut valablement donner ce consentement. Dilemme insoluble Il s'agit là d'un dilemme juridique structurel, insoluble dans les circonstances actuelles. La question du consentement sera donc au cœur de la prochaine bataille : la Commission fera valoir qu'il est impossible d'obtenir l'accord unanime d'une population dispersée et qu'elle a agi de manière juridiquement raisonnable en menant des consultations larges et publiques. Les avocats de la Commission disposent d'arguments solides pour affaiblir la prétention du polisario à être «l'unique représentant légitime». Aucun Etat membre de l'Union, ni l'Union elle-même, ne lui reconnaît cette qualité. Cela permet de soutenir que, même si le polisario est partie au processus onusien, il n'est pas le représentant légal de la population pour les besoins du droit de l'Union. Le Maroc peut produire des éléments de représentativité alternative : élus régionaux, parlementaires, chambres professionnelles, associations locales. Ces structures fournissent à la Commission la preuve que le consentement des populations concernées a été «recherché», selon la procédure générale que l'Union doit suivre pour négocier et conclure des accords internationaux avec des pays tiers ou des organisations internationales. La CJUE statue en droit de l'Union, non en droit de décolonisation de l'ONU. Donc, dès lors que les exigences procédurales du droit de l'Union (consultation, motivation, transparence) sont respectées, la Cour ne devrait pas exiger la démonstration d'un consentement politique impossible. L'Union invoquera la stabilité régionale, la lutte contre la migration irrégulière et les bénéfices pour les populations locales comme éléments d'intérêt général justifiant l'application provisoire. Exercice du droit à l'autodétermination La Cour a mis l'accent sur la nécessité d'évaluer si l'application de l'accord affecte, directement ou indirectement, le droit à l'autodétermination. Elle a, de ce fait, outrepassé son rôle et s'est érigée en tribunal de décolonisation. Sur ce point également, le désaccord entre l'Union et la Cour est substantiel. Le polisario saisira vraisemblablement la CJUE pour contester la validité de l'échange de lettres et ses avocats multiplieront les recours procéduraux et les demandes de mesures conservatoires. Parallèlement, une campagne sera menée auprès de certains Etats membres pour demander le réexamen avant ratification. Les instances onusiennes seront saisies et une campagne sera lancée par les ONG qui soutiennent le polisario. L'élan pourrait cependant être brisé par une évolution au Conseil de sécurité de l'ONU.