Alors que l'Alliance des Etats du Sahel (AES) redéfinit les équilibres politiques et économiques de la région, de nouveaux acteurs s'invitent à la table des affaires. Parmi eux, Kamlesh Pattni, un homme d'affaires kényan au passé sulfureux, étend discrètement son influence sur le marché de l'or nigérien. Opportunité géopolitique, stratégie d'Etat et ambitions personnelles se croisent dans un jeu d'échecs régional où l'or devient une arme de pouvoir. Depuis quelques années, l'instauration de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) ne redessine pas uniquement les cartes géopolitiques de l'Afrique de l'Ouest : elle ouvre aussi un nouveau chapitre économique, où certains hommes d'affaires avancent leurs pions dans ce nouvel ensemble. À la faveur du retrait des anciennes puissances occidentales, notamment les grands groupes français, un vide s'installe – rapidement comblé. C'est dans cette nouvelle reconfiguration que s'illustre désormais Kamlesh Pattni, célèbre homme d'affaires kényan. Comme récemment au Mali, où TotalEnergies, avec ses 4 700 points de vente répartis dans 35 pays du continent, a conclu un accord pour céder son réseau de 80 stations-service, ainsi que ses opérations de distribution aux sociétés minières et à l'aviation, à Coly Energy Mali, une société liée au groupe béninois Bénin Petro – le Niger décide de se tourner vers le Kenya. Lire aussi | SM le Roi reçoit les ministres des Affaires étrangères des trois pays de l'Alliance des Etats du Sahel Rappelons d'ailleurs que le Niger, depuis la prise de pouvoir du CNSP en 2023, réoriente son économie sous contrainte : enclavement diplomatique, sanctions régionales. Kamlesh Pattni ne débarque donc pas par hasard à Niamey. Il apporte avec lui une expertise bien rodée en matière de commerce aurifère. Grâce à sa société Glamour Gold, déjà active à Dubaï, il s'impose en quelques mois comme un acteur clé du nouveau dispositif nigérien d'exportation d'or, à travers un partenariat officiellement annoncé. Cette initiative, baptisée Royal Gold Niger SA, est un partenariat entre le ministère des Mines et Suvarna Royal Gold Trading LLC, une société basée à Dubaï et dont Kamlesh Pattni est le PDG. Kamlesh Pattni, une grande famille qui fait dans l'or... Né en 1965 à Mombasa, au Kenya, Kamlesh Pattni a baigné toute son enfance dans une famille de négociants d'or. À 25 ans, il rejoint son frère à Nairobi pour diriger une bijouterie, Manorama Limited, qui vendait des ornements en or et en argent. Informé du programme du Trésor national pour promouvoir la réexportation de minerais du Kenya grâce à des incitations attrayantes, le jeune businessman de l'époque profite de l'occasion pour tisser sa toile. En homme de réseau, il était l'ami de Mouammar Kadhafi, de l'ancien président zimbabwéen Robert Mugabe et très proche de l'élite de son pays. Dans le gotha mondial, ce dernier traîne par contre une image sulfureuse. Depuis le mois de décembre dernier, il fait notamment l'objet de sanctions aux Etats-Unis et au Royaume-Uni pour son implication dans une affaire de commerce illicite d'or au Zimbabwe. Auparavant, au Kenya, dans les années 1990, il avait également trempé dans le scandale Goldenberg, une affaire de détournement massif de fonds publics par l'intermédiaire d'incitations frauduleuses à l'exportation d'or et de diamants, qui l'avait contraint à fuir le pays. Lire aussi | Initiative Atlantique: les pays du Sahel réaffirment leur alliance avec le Maroc Selon le Bureau des affaires publiques du Trésor américain, Kamlesh Pattni possède 21 sociétés réparties en Asie et en Afrique – au Kenya, au Zimbabwe, à Singapour, au Royaume-Uni, aux Emirats arabes unis et au Kirghizstan. Le nationalisme des ressources, une stratégie en priorité Le souverainisme minier, en d'autres termes « nationalisme des ressources », n'a pas émergé pour la première fois dans le Sahel. Sur le continent, ce concept a commencé à résonner avec John Magufuli, président de Tanzanie de 2015 à 2021, qui déclarait à l'époque la « guerre économique » aux opérateurs miniers, qu'il accusait de piller le pays. Dans un schéma similaire à celui du Mali, ce dernier adopte trois lois en 2017 et engage un bras de fer avec Acacia Mining, filiale de Barrick Gold. Le gouvernement révoque aussi plusieurs permis miniers, ce qui entraîne des arbitrages internationaux. Pas sans conséquences : ces décisions ont fait entrer le pays dans la liste des « no go zones ». Orano au Niger, Total sous pression au Mali et au Burkina... les sirènes du souverainisme minier sont en marche.