Dans une interview accordée à Challenge, Rabii El Bacha, Docteur en droit des énergies, met le curseur sur les différents aspects importants de l'Offre Maroc de l'hydrogène vert à l'export et appelle à une stratégie coordonnée, entre acteurs publics et privés, pour sécuriser la place du Maroc dans le futur marché européen du H2. L'heure n'est plus à la planification, mais à la compatibilité. À mesure que l'Europe accélère l'activation de ses mécanismes d'achat public d'hydrogène vert, à l'image de H2Global opéré par Hintco, le Maroc doit davantage affiner davantage sa compétitivité. L'enjeu est d'ancrer l'Offre Maroc dans les standards européens, si l'on veut capter une part des 484 millions d'euros dédiés au continent. Par ailleurs, cela ne se limite pas seulement à une simple question de conformité technique. Il est aussi profondément juridique et commercial. Qu'est-ce que les mécanismes d'enchères internationales comme celui de Hintco/H2Global ? Si nous prenons l'exemple du principal mécanisme Hinto soutenu par H2Global. C'est un des mécanismes « offtake » qui est d'ores et déjà opérationnel. Ces mécanismes sont qualifiés techniquement en droit d'«agrégateur d'achats soutenus par l'Etat», en l'occurrence l'Etat allemand et hollandais. Se conformer à ce mécanisme est bien plus complexe que de suivre un cahier des charges technique. La Commission élabore la conception de la composante internationale de la Banque européenne de l'hydrogène, qui vise à attirer les importations d'hydrogène renouvelable sur le marché de l'UE. Aujourd'hui, le Maroc est concerné au premier chef par ces mécanismes d'enchères internationales. Comment fonctionne concrètement le mécanisme H2Global, et les investisseurs de l'Offre Maroc peuvent-ils y prétendre ? D'un côté, Hintco lance un appel d'offres auprès des producteurs internationaux – dont ceux du Maroc. Les producteurs soumettent un prix fixe garanti sur 10 ans. C'est le contrat HPA (Hydrogen Purchase Agreement). D'un autre côté, Hintco revend cette molécule verte sur le marché européen via une deuxième enchère concurrentielle, à des prix souvent inférieurs. C'est le contrat HSA(Hydrogen Supply Agreement). La différence est couverte par une subvention publique. C'est un business model qui s'inspire des mécanismes des « CfD – Contract for diffenrce » qui émergent dans la filière hydrogène et du carbone (CCfD). Lire aussi | Offre Maroc: Six projets d'hydrogène vert sélectionnés pour 319 MMDH dans le Sahara Pour participer à l'appel d'offres H2Global, il est impératif que la décision finale d'investissement « FID » ne soit pas encore prise au moment de la soumission. À l'heure des résultats de l'Offre Maroc, le processus de sélection des investisseurs ouvrira la voie aux négociations en vue de la conclusion du contrat préliminaire de réservation du foncier. La décision de financement, quant à elle, n'interviendra qu'en toute dernière étape — à condition que l'investisseur respecte les engagements fixés dans la convention d'études avancées. En d'autres termes, les investisseurs retenus dans les trois régions du sud du Royaume sont pleinement éligibles. Hintco se situe sur une phase de pré-achèvement et cela à l'avantage des producteurs de l'offre. C'est pourquoi, ignorer le fonctionnement de ces mécanismes, c'est risquer de structurer des projets non éligibles sur l'ensemble de la chaîne de valeur — des molécules qui ne seront pas valorisables notamment de l'ammoniac vert sur les marchés cibles européens. Ignorer, c'est aussi tourner le dos à des subventions essentielles pour propulser ce marché naissant. On rappellera ici que Fertiglobe (producteur d'engrais azotés et de solutions d'ammoniac propre) basée à Abou Dhabi et lauréate de la première enchère pilote H2Globa. La FID pour le projet d'hydrogène vert de Scatec en Egypte, qui fournira de l'hydrogène destiné à la production d'ammoniac sur le site existant de Fertiglobe à Aïn Sokhna, est attendue au cours du premier semestre 2025. Quels sont les principaux défis en commerce international auxquels les producteurs marocains doivent faire face pour exporter ? Le risque réglementaire est indiscutable. L'hydrogène est une marchandise... mais une marchandise atypique qui soulève des incertitudes juridiques et la liste est longue. Les conventions internationales ne donnent pas toujours de réponse claire sur le statut du Power-to-X. En effet, la convention des Nations Unis sur les contrats de vente internationale de marchandise ne précise pas si les gaz sont couverts. L'accord général sur les tarifs douaniers, le commerce et le Système harmonisé et les codes SH classent différemment les dérivés tel que l'ammoniac, le méthanol, etc. Lire aussi | Saïd Guemra : « L'intégration industrielle est une composante de l'offre hydrogène Maroc » L'accord sur les obstacles techniques au commerce soulève des interrogations ou encore l'accord sur les subventions de l'OMC définit les subventions interdites qui remet en question la légalité des subventions liée à l'exportation. Enfin, comme vous le savez dès 2026, l'hydrogène et l'ammoniac exportés (et donc les fertilisants en d'autres termes les engrais azotés) vers l'Union européenne seront également soumis au CBAM./MACF. Quel est l'enjeu juridique majeur des enchères européennes dans le secteur de l'hydrogène vert ? Les enchères européennes ne sont pas neutres juridiquement. Les actes délégués de la directive européenne RED II / RED III font aujourd'hui jurisprudence. En matière d'enchères, Hintco précise clairement que les soumissionnaires les mieux classés doivent fournir une pré-certification valide pour leur projet par le biais de ce que l'on appelle les « schémas volontaires » reconnus. Ces schémas exigent de l'opérateur de l'installation une agilité dans la traçabilité des émissions liées à la production du carburant vert, depuis l'entrée des intrants jusqu'à la sortie du produit fini. Cela implique que tout opérateur logistique, marocain ou international, qui manipule le produit doit être certifié pour que le statut durable soit conservé – les schémas volontaires certifient un opérateur économique et non un produit. En financement de projet, les projets PtX comprennent des phases d'avancement multiples faisant intervenir de nombreuses entreprises spécialisées ; le risque d'interface sur la durabilité existe, car cet engagement sur la durabilité n'est pas alloué à une seule partie. Lire aussi | Badr Ikken: «Le Maroc pourrait capter entre 2 et 4% de la demande mondiale en hydrogène vert d'ici 2030» Toujours sur la conformité européenne, les enchères imposent aussi un alignement avec les normes internationales des bailleurs de fonds. Les projets intégrés au Maroc ont déjà démontré leur capacité à s'aligner sur ces exigences (SIA, IFC, OIT, ODD). En définitive, le véritable défi réside dans notre capacité à anticiper et à traduire juridiquement des complexités extraterritoriales, et à promouvoir un dialogue politique urgent avec le partenaire. Une démarche juridique proactive de reconnaissance des schémas en matière de traçabilité s'impose ici par les organismes privés, en l'absence de cadre légal sur le sujet.