J'ai cherché pendant un long moment un intitulé à cette chronique qui s'adapterait aux circonstances que nous vivons. Sans pour autant céder à quelque facilité de juger ou sacrifier à la mode des titrailles accrocheuses. Le but est tout simplement de respecter la tradition d'un journalisme clair, limpide et simple. Par une abondance affolante, un flux envahissant et sa cadence palpitante, l'information en plus d'être à la portée de toutes et tous, est devenue paradoxalement un luxueux exercice. Outre une inébranlable volonté, il requiert cette qualité première qui est l'envie, ou la curiosité pendue au nez des lectrices et lecteurs. Or la lecture devient d'autant plus rare, voire de plus en plus involontaire que le développement des réseaux sociaux, des sites et autres titres électroniques semblent prendre le relais de la presse traditionnelle. Le grand philosophe allemand Hegel disait que « la lecture du journal est le pain quotidien du philosophe » ! Or, ce « pain quotidien » n'était pas vraiment le lot de tous et toutes. Néanmoins Hegel ne croyait pas si bien dire ! A son époque, la lecture de la gazette qui faisait office de journal, constituait évidemment un luxe. Il a fallu plus de trois mois pour que l'opinion publique européenne fût informée de la mort de Napoléon exilé sur l'île d'Elbe après que de rares et simples échos fussent rapportés par des voyageurs et donc sur la base des « oui-dire ». A présent l'information n'est ni rare, ni sélective. De plus en plus, elle développe cette caractéristique de devenir le relais des réseaux sociaux qui s'y substituent voire la détrônent. Au point, et là nous reprendrons volontiers un propos critique d'Umberto Ecco, philosophe italien bien connu qui disait : « Les réseaux sociaux ont donné le droit à des légions d'imbéciles qui, avant, ne parlaient qu'au bar (...) et ne causaient aucun tort à la Collectivité, ...alors qu'aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un Prix Nobel... ». Lire aussi : Le Roi Hassan II il y a 50 ans : « Osman en avant... » La démocratisation de nos sociétés, résultat d'un long et douloureux effort de l'Humanité, fait en sorte que l'information devienne bon gré, mal gré accessible à de larges opinions. Et les réseaux sociaux, à la fois leur arme et leur ventre mou. Encore que de nos jours, et ce n'est qu'un début, la propension est si grande de se contenter de la lecture des réseaux sociaux qu'elle éclipse celle des journaux. Avec cette conséquence dramatique qu'elle détruit tout effort, annihile l'intelligence et la curiosité intellectuelle et, surtout, nous incline à une redoutable paresse. N'est-ce pas que l'envahissement des réseaux sociaux devient équivalent à un avachissement spectaculaire des esprits ? Parce qu'il incarne ce qu'on appelle la parole unique, tout simplement avant même d'être une pensée unique ! Parce que l'exercice comparatif de lectures s'efface et nous réduit à être esclaves d'un reflexe paresseux, d'autant plus avéré qu'il devient une facilité dangereuse. Et puis cette caractéristique inédite que chaque message consulté sur un site – dans nos téléphones portables notamment – s'efface aussi vite aussitôt lu pour laisser place à un autre flot, aussi urgent, aussi rapide, en somme à des dizaines ou centaines d'autres texto aussi prenants et accrocheurs ! Cette dimension de l'urgence est bien évidemment antinomique, le contraire cruel du temps laissé au temps pour la lecture posée et calme. Celui aussi de la réflexion et de l'analyse éventuellement. C'est un paradoxe que plus l'envie quotidienne de lire est grande, moins les journaux – notamment quotidiens – sont achetés, laissant place évidemment aux sites, eux-mêmes soumis de plus en plus à une cruelle concurrence. Et surtout tentés à offrir des promotions alléchantes pour y résister. Une dématérialisation horrible est en cours ! Elle est ravageuse, d'autant plus que n'importe qui peut désormais, à loisir, lancer son propre site, diffuser des nouvelles à sa guise, n'obéir à aucun critère professionnel et déontologique, tout cela au nom et sous le signe de ce qu'on appelle la Révolution numérique. Or, celle-ci finalement pourrait ne pas être – comme on a tendance à le penser quelque fois – nuisible ou malsain. Ne serait-ce que parce que cette révolution du Net multiplie, outre les supports en tout genre, les chances et le volume des lecteurs. C'est à nous autres journalistes, ouvriers des textes, bâtisseurs des rêves de nous inscrire dans cette perspective, de proposer des contenus exigeants.