La société de gestion déléguée d'eau et d'électricité à Rabat/Salé a été épinglée par le fisc. En cause, une lettre de saisie conservatoire qui aurait été adressée fin novembre 2007 aux banques qui abritent les comptes de la société. Une affaire à laquelle viendrait s'ajouter une ancienne ardoise, datant du temps de la prise de contrôle de la Redal par Vivendi. La nouvelle est pour le moins surprenante. Comment une filiale d'une multinationale de l'envergure de Veolia Environnement, et avec tout le savoir-faire et l'expérience cumulés depuis plus d'un siècle, peut-elle faire l'objet d'un redressement fiscal? Une source proche du dossier requérant l'anonymat nous confie les raisons de ce redressement. «En réalité, au moins trois raisons ont poussé le fisc à procéder à ce redressement. Tout d'abord, la Redal procède chaque année à la restructuration de la société via un reclassement des actions. Ce qui permet de brouiller les pistes au niveau des comptes. Cette année, l'entreprise se nomme Veolia Water, l'année précédente c'était CGE CMSE, etc… Ensuite, elle annonce des gains qui n'apparaissent pas sur les comptes. Enfin, les transferts à l'étranger ne sont signalés ni au Ministère des Finances ni à l'Office des changes. D'ailleurs souvenez-vous, la presse l'avait évoqué, l'Office des changes a annulé l'équivalent de 110 millions de DH de transferts à l'étranger en 2006». Des informations pour le moins invraisemblables, si ce n'était l'existence de cette fameuse lettre de saisie adressée aux banques. C'est alors qu'on est en droit de se demander pourquoi le fisc a attendu 2007 pour s'en rendre compte et procéder au redressement… Ce qu'en dit la Redal Enfin, cette même source ajoute que selon l'article 36 du contrat signé entre l'autorité délégante et la Redal, les comptes de la société devraient être publiés et accessibles au public. «Chose qui n'a jamais été faite, si l'on ne tient pas compte de la publication (mais une seule et unique fois) d'un bilan succinct dans l'un des grands quotidiens économiques de la place», certifie-t-elle. Contacté à ce sujet, Veolia Environnement Maroc répond clairement et sans détour. «Il ne s'agit nullement d'un redressement fiscal, mais d'une imposition d'office. Il y a donc à l'origine de cette rumeur une incompréhension de disposition fiscale», nous déclare une source autorisée au sein de Veolia Environnement. Mais la lettre de saisie conservatoire sur les comptes de la Redal, elle, n'est pas contestée par la multinationale. Il est précisé que l'imposition d'office concerne les avoirs des autorités délégantes, autrement dit les taxes et redevances encaissées par le délégataire, mais qui en réalité appartiennent à l'autorité délégante, à savoir aux 13 communes qui constituent l'agglomération de Rabat-Salé. C'est-à-dire que cette imposition ne concerne pas directement le chiffre d'affaires généré par l'activité de la Redal, mais les taxes récoltées pour le compte de l'autorité délégante donc. «Ensuite, la différence entre une imposition d'office et un redressement fiscal est grande. On parle de redressement fiscal lorsque le Fisc procède à un contrôle sur place et qu'il conteste l'assiette retenue par le contribuable. Une imposition d'office, c'est lorsque le contribuable n'a carrément pas déposé de déclaration, et qu'il n'y a pas eu de réaction malgré les rappels de la loi», explique un fiscaliste de renom. En réalité, cette réaction du fisc entre dans le cadre de la Loi de finances de 2006 qui a introduit l'imposition des fonds gérés pour le compte d'autrui. «Le domaine de définition «des fonds gérés pour compte d'autrui » a probablement été modifié depuis, et désormais les taxes récoltées pour l'autorité délégante en font partie», poursuit le fiscaliste. Toujours est-il que la Redal devait 28 millions de DH au Fisc à fin novembre 2007, «même si en toute logique, ce sont les autorités délégantes qui auraient dû supporter ce coût. En tout cas, ce cas pratique pose un sérieux problème de visibilité aux concessionnaires de manière générale», conclut l'expert comptable. Aujourd'hui, le problème semble dépassé. «Nous avons été surpris par la saisie conservatoire, car nous étions en négociation avec le Fisc depuis janvier 2007. Cela dit, nous sommes revenus vers eux et le Fisc a rectifié les rôles en revoyant significativement à la baisse la somme exigée, qui était au départ de 28 millions de DH. Fin décembre, les rôles étaient payés, et la saisie conservatoire levée», annonce notre source autorisée de Veolia Environnement. Mais ce n'est pas tout !!! Au-delà de l'imposition fiscale dont a fait l'objet la Redal, un autre contentieux, qui remonte à la reprise de la Redal par Vivendi à l'époque, aurait pu rendre la facture plus importante, bien au-delà des 28 millions de DH exigés par le Fisc. Un contrat tacite non honoré par Veolia Environnement Pour bien définir les contours de la délicate situation dans laquelle pourrait se retrouver Veolia, il faut remonter à 2002, date à laquelle la Redal est passée des mains des actionnaires espagnols et portugais à celles des Français. «A la veille de la signature du contrat de vente, les anciens délégataires devaient une ardoise, autrement dit un passif, de 900 millions de DH à l'autorité délégante», explique notre source. Ce montant comprenait 139 millions de DH qui correspondaient à des avoirs de l'autorité délégante (redevances et autres taxes). Le reste devait entre autres compenser les retards enregistrés en matière d'investissement. Les deux parties, à savoir Vivendi d'une part et les actionnaires espagnols et portugais d'autre part, étant conscientes et d'accord sur le fait que d'une manière ou d'une autre les 900 millions de DH devaient être reversés à l'autorité délégante, ont alors proposé la signature d'un protocole d'accord. Ce protocole, qui réunissait les autorités, Vivendi et les anciens actionnaires, portait sur le mode de règlement de la somme due: il devait y être clairement mentionné que Vivendi ne réglerait que les 139 millions de DH correspondants aux avoirs des autorités délégantes. Pour le reste, les Espagnols et les Portugais devaient s'en charger. Seulement entre temps, Vivendi, ou plus exactement la CGE -Compagnie générale des eaux-, aurait conclu un accord tacite avec les anciens délégataires, mais ne correspondant à aucune clause écrite dans le protocole d'accord. Que prévoyait cette entente? Vivendi devait retrancher au prix de la transaction (130 millions d'euros) les 900 millions de DH que devaient les Espagnols, plus un droit de réserve d'environ 5 millions d'euros, le temps de vérifier la «véracité» des comptes de la Redal. Depuis, les anciens actionnaires sont partis, et Vivendi (devenue Veolia Environnement entre temps) n'aurait réglé qu'une partie du montant dû au titre du protocole d'accord. «Et je souhaiterais ajouter que ces 100 millions de DH payés aux autorités ont été facturés par la suite au client final!», poursuit notre contact. Ce à quoi Veolia répond : «faux, nous n'avons pas répercuté cette somme sur les clients ». Et c'est bien là la seule réponse que nous avons obtenue de la multinationale. Pour le reste (protocole d'accord, montant de la transaction,…), Veolia Environnement Maroc avance un droit de réserve au titre du pacte d'actionnaire contenu dans le contrat de vente. Depuis, les Espagnols et Vivendi ont été en conflit et sont allés en arbitrage à l'international. Vivendi a remporté la partie, et les autorités délégantes n'ont toujours rien encaissé… et constatent toujours un trou béant dans leur caisse d'environ 800 millions de DH! Cela dit, d'un point de vue strictement juridique, rien n'impose à Veolia Environnement de régler la différence. Etrangement, la révision quinquennale, prévue par le contrat qui devait avoir lieu en 2007, a été soigneusement évitée. Peut-être pour que cette affaire ne remonte pas à la surface… Cependant, interrogé sur cette question, Veolia assure que la révision a peut-être eu du retard, mais qu'elle est en cours actuellement…