Le 12 décembre dernier, le soleil brillait dans le cœur de Betty Batoul. Récompensée pour son combat auprès des victimes par le titre de « Femmes de Paix 2011 », elle se confie aujourd'hui et nous parle de ses actions et futurs projets. H.A : Pouvez-vous nous parler de ce titre que vous avez reçu le 12 décembre dernier ? Betty : Le 31 octobre 2000, le Conseil de Sécurité de l'ONU a adopté la Résolution 1325. Elle porte une attention particulière au rôle joué par les femmes en tant qu'actrices de paix. La mise en œuvre de cette Résolution 1325 est assurée par le Plan d'Action National (PAN) et a été approuvé par le gouvernement belge en mars 2009 et l'une de ces actions est la campagne « Cherchez votre femme de paix 1325 » dont le but est d'honorer les femmes qui œuvrent pour la paix, la réconciliation et les droits de la femme. Le public propose des candidates, un jury sélectionne les lauréates. La remise de ces titres à une vingtaine de femmes a eu lieu le 12 décembre dernier au Palais d'Egmont à Bruxelles et j'ai l'immense plaisir de faire partie de ces femmes. H.A : Comment avez-vous accueilli ce nouveau titre ? Betty : Avec beaucoup d'émotion. Savoir que toutes les actions menées au quotidien sont reconnues est tellement gratifiant et me donne des ailes. Je voudrais dédier ce titre à toutes les victimes que je rencontre, qui m'aident aussi à grandir. Cependant, je me sentais tellement petite à côtés de certains parcours évoqués. J'ai encore beaucoup de chemin à parcourir mais je ferai tout pour honorer ce titre et poursuivre mon action de paix en Belgique et au Maroc. D'autant que le trophée remis à cette occasion n'est autre qu'un coquelicot blanc, un symbole fort pour moi. H.A : Parlez-nous de vos actions Betty : Ecoutez, il y a tant à dire… depuis un peu plus d'un an, je suis sur le terrain et je vous avoue que je n'ai pas une minute à moi. Conférences tout public, visites dans les foyers de femmes battues mais aussi rencontres avec des jeunes dans les lycées et collèges. Car la lutte contre toute forme de violence passe aussi par la prévention. Et ces moments sont souvent d'une grande émotion, une écoute des élèves qui prouvent que le respect n'est pas un mot en voie de disparition. D'autres anciennes victimes de l'association Succès m'accompagnent désormais pour témoigner que la violence n'est pas une fatalité, qu'on peut l'éviter ou la vaincre. Nous disons aux jeunes qu'ils doivent encore rêver et croire en eux. Nous disons aux femmes qu'elles sont capables de grandes choses et nous écoutons les hommes nous parler de leurs frustrations. Nous aidons les victimes à se libérer de leurs peurs pour oser exister. Le monde a besoin de tout son potentiel humain. Nous organisons également des activités avec les membres de l'association, pour la plupart victimes ou anciennes victimes. Par exemple, lors du premier anniversaire de l'association, le 16 octobre dernier, nous avons présenté un spectacle « Et si on cultivait le bonheur » entièrement réalisé par les gens de l'association : chants, lectures de texte, sketches, … un grand moment. Il y a aussi les réunions mensuelles afin de partager nos expériences. C'est un peu comme une grande famille dans laquelle les souffrances que nous avons vécues sont le lien entre chaque personne. Pas besoin de parler beaucoup pour se comprendre ou savoir ce que l'on ressent. Le fait d'être compris, écouté, respecté dans son histoire difficile est probablement la cause de notre succès puisqu'à chaque réunion, le nombre ne faiblit pas, bien au contraire. Près de 20 personnes se retrouvent chaque mois autour de la table pour parler de projets, de bonnes nouvelles, rires et pleurs parfois mais toujours dans un total respect. Outre les rencontres dans les foyers d'accueil, avec les jeunes et le public, nous soutenons aussi les victimes dans leurs démarches. Comme Christine Colin dernièrement, défigurée par un jet d'acide au visage en 2007. Son agresseur, condamné en 2008 à 10 ans de prison, avait demandé sa libération anticipée. Nous nous sommes mobilisés via une pétition sur internet Nous avons organisé une marche rouge pour dire « NON à la libération du vitrioleur » et avons accompagné la victime lors de la comparution. Notre appel, largement diffusé par les médias, a été entendu et le condamné restera en prison. H.A : Comment votre association fonctionne-t-elle ? Quelles sont les aides financières qui vous permettent de réaliser toutes vos actions ? Betty : Hélas, malgré la demande réelle et l'envie de faire toujours plus, les moyens et les aides sont réduits. Depuis la création en octobre 2010, les seules sources de financement extérieures sont un subside de 2000€ octroyée par Joëlle Milquet, anciennement ministre de l'Egalité des chances, qui croyait en ce projet et un don de 1000€ de Jean Charles Luperto, Président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui nous soutient depuis le début de l'aventure en mettant gracieusement à notre disposition une salle pour nos réunions. J'ai quitté mon emploi de cadre chez Alstom en septembre dernier pour m'occuper à temps plein de mon association sans aucun subside. Mon travail est totalement bénévole, réalisé à partir de chez moi et pourtant, que de chemin parcouru. Nous espérons un jour être reconnus d'utilité publique, être une référence en matière d'aide aux victimes et recevoir une aide financière pour mener à bien tous nos projets. En attendant, la bonne volonté et la solidarité des gens via quelques dons sont les moteurs de l'association. H.A : Le Maroc reste-t-il un lieu privilégié où vous souhaitez étendre vos actions ? Betty : Le besoin de revenir régulièrement au Maroc est dicté par mes racines, qui ne demandent qu'à être arrosées pour être plus fortes. L'accueil que je reçois et notamment le soutien de Mouâad Jamaï, Gouverneur de la province d'El Jadida, ville de mon enfance, me donne l'envie de poursuivre dans cette voie et c'est toujours avec beaucoup de bonheur que je pose les pieds sur le sol marocain. En effet, plusieurs fois par an, je rencontre des jeunes pour leur parler d'espoir et de prévention contre la violence. Au travers de mon parcours, je leur prouve qu'on peut sortir du brouillard. Même si la vie est remplie d'obstacles, il appartient à chacun de construire son bonheur et d'y croire envers et contre tout. Que leur eldorado est ici, en eux, qu'il n'est nul besoin d'aller à l'étranger pour être heureux. En octobre, lors de ma dernière visite au Maroc, je suis allée à la faculté Polydisciplinaire, au Lycée Charcot en compagnie du gouverneur, et au Collège Sidi Mohamed Ben Abdallâh. Je me suis aussi rendue à l'école primaire Khadija Al Oum Mouminine et une rencontre avec le public à la bibliothèque Kadiri a également été organisée. Un grand moment d'émotion aussi avec la visite au centre Dar Alamal, dont la présidente, Bouchra Elouriaghli et toute son équipe s'investissent au quotidien pour que la vie de ces enfants en difficulté soit plus douce. Une petite visite sur les ondes de Radio Aswat avant le retour en Belgique pour parler de tous les projets de l'association mais aussi, diffuser en avant première, la chanson « Un coquelicot en hiver » écrite spécialement pour notre association. Je garde toujours de merveilleux souvenirs de mes passages au Maroc. Le prochain sera vraisemblablement durant le salon du livre 2012. H.A : Avez-vous de nouveaux projets littéraires ? Betty : Les ventes de mon premier roman restent stables, ce qui laisse présager que ce livre a encore du chemin à parcourir. J'assure la distribution en Belgique et Sochepress se charge du Maroc depuis le mois dernier. En ce qui concerne la France, j'ai obtenu le référencement à la Fnac, ce qui me permet également d'envahir la France avec ces petites fleurs rouges pleines d'espoir. C'est que du bonheur. Il y aussi des projets de traduction en arabe et en anglais. Et pourquoi pas un film… Mais je ne veux pas m'arrêter en si bon chemin, j'aime écrire et c'est un moyen formidable de transmettre un message. J'écris en ce moment mon second roman, un peu comme une suite du premier. Mais aussi pour dire que la vie des victimes est loin d'être un long fleuve tranquille, qu'il faut se battre au quotidien pour être écoutée. Et même quand on veut les aider, la route est longue et semée d'embûches. Je suis d'ailleurs tombée en mai dernier car j'ai voulu aller trop vite… mais je n'en dis pas plus, la suite sera dans le tome 2 des coquelicots. J'espère le terminer pour le prochain salon du livre car mes journées sont déjà bien remplies avec le travail de terrain de l'association. H.A : De quoi êtes-vous le plus fière lorsque vous regardez votre parcours Betty : Je ne serais rien sans ma famille, mon mari qui me soutient au quotidien. Je suis heureuse d'avoir osé raconter mon histoire dans « Un coquelicot en hiver ? Pourquoi pas… », un roman autobiographique qui continue à semer ses graines d'espoir. Mais le plus beau des cadeaux est certainement de voir les victimes se relever et croire à nouveau au bonheur. Les opérations solidarité me procurent également beaucoup de bonheur comme le sourire de ces enfants au Maroc (école primaire Khadija Al Oum Mouminine d'El Jadida) lors de l'opération « Livres pour le Maroc ». Nous avions récolté en Belgique des dictionnaires, encyclopédies, livres scolaires,… pour cette école publique à El Jadida. Un transporteur a accepté d'acheminer ces livres gracieusement au Maroc. Lors de ma dernière visite, j'ai rencontré ces élèves, ils étaient tellement heureux… Et puis, aujourd'hui, recevoir ce titre de femmes de paix est un grand défi que je souhaite relever. Mais ce sera avec mon cœur, comme je l'ai toujours fait. Interview réalisée par HAJ ABDELMAJID