Le niveau de la communication financière est satisfaisant par rapport aux pays à capitalisation similaire. Une société qui publie ses résultats la veille du deadline ne peut atteindre l'objectif ultime, qui est la transparence, et son titre sera pénalisé par le marché. Le point de vue de Ouadie Drissi, Directeur développement à Six Telekurs, sur la communication financière au Maroc. -Finances News Hebdo : Quelle appréciation faites-vous du niveau de la communication financière au Maroc en comparaison avec les pays à capitalisation ou poids similaire comme la Tunisie d'une part, et avec les pays développés tels que les marchés européens en général, d'autre part? -Ouadie Drissi : En termes d'obligations réglementaires et même sur le plan du suivi de ces obligations, je peux dire que le niveau est globalement satisfaisant comparativement à des pays similaires. On est même en avance sur un certain nombre de volets. Maintenant, si nous souhaitons nous comparer aux standards internationaux, il y a encore du chemin à faire. Mais n'oublions pas que nous avons un marché assez simple aussi bien au niveau des instruments échangés que des secteurs représentés et des acteurs de la place. Quand on atteindra le niveau de complexité des marchés étrangers, on pourra à ce moment-là devenir plus regardant. -F.N.H. : Dans ce cadre, quelles seraient, selon vous, les informations complémentaires que les sociétés devraient dorénavant communiquer? -O. D. : Le CDVM et la SMAF ont déjà fait un travail intéressant à ce niveau et ont émis des recommandations aux émetteurs. Je pense que leurs souhaits sont plus que jamais d'actualité. Il s'agit surtout de raccourcir les délais de publication (qu'elle soit périodique ou permanente), d'adapter le contenu et de multiplier les occasions et les canaux de communication. En effet, si l'entreprise se limite à une insertion dans un journal d'annonces légales, effectuée de surcroît à la veille du deadline officiel, l'objectif de transparence ne peut être atteint et les incertitudes enfleront et impacteront négativement la vie du titre. Par contre, des initiés pourront profiter de la situation et réaliser des gains au détriment de la masse des investisseurs. Dans un monde idéal, les comptes seront publiés le plus tôt possible après la clôture de l'exercice. Ils seront adaptés aux spécificités du secteur (l'analyse d'une compagnie d'assurance est diamétralement opposée à celle d'une entreprise industrielle ou du crédit à la consommation par exemple) et consolidés en IFRS s'il y a lieu. Ces comptes seront parfaitement comparables avec ce qui a été publié au titre de l'exercice précédent et tout changement de périmètre, méthode de consolidation… sera explicitement mentionné avec un contact disposé à répondre aux interrogations éventuelles. Les comptes seront accompagnés de commentaires précis intégrant des éléments stratégiques et extracomptables et des attestations nécessaires des CACs. Le tout en plusieurs langues. Ils seront suivis par des rencontres volontaristes avec la presse spécialisée et les analystes financiers, locaux et internationaux, présents physiquement ou virtuellement grâce aux nouvelles technologies. Ces derniers auront préalablement reçu –directement sur leurs boîtes mail ou à travers les rediffuseurs d'informations financières – l'ensemble des documents nécessaires à l'analyse des réalisations historiques, des risques et du potentiel de croissance, et ce afin de préparer les questions pertinentes à l'adresse du top management. Les réponses seront aussi franches que précises et la langue de bois n'aura pas de place. Cela se fait naturellement sous d'autres cieux et même par quelques émetteurs locaux exposés aux investisseurs étrangers. Mais cette pratique gagnerait à être promue et généralisée. -F.N.H. : En tant que rediffuseur d'informations, quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face quant à la collecte de l'information financière? -O.D. : Pour nous, les difficultés et les enjeux n'ont pas uniquement trait à la «communication» financière, mais plus globalement à «l'information» financière. Ceci concerne un champ infiniment plus important qui va de la donnée sur les cours (prix, événements de cotation, volumes échangés, statistiques…) à la donnée fondamentale (résultats, dividende, ratios…) en passant par les données de référence (caractéristiques, événements de société, dépositaire/clearing, numéros d'identification et système de transcodification, conditions d'émission, rating …). SIX Telekurs est un fournisseur de données spécialisé dans l'acquisition, le traitement et la diffusion d'informations financières internationales. A ce titre, nous collectons des informations boursières à la source et en temps réel, sur 220 Bourses et récupérons des prix auprès de 850 sources, sans parler des agences de news et d'analyses techniques et fondamentales… Ceci nous permet aujourd'hui d'avoir une base de données contenant plus de 7 millions d'instruments financiers et qui est unique en son genre en termes de profondeur et de couverture. On parle ici d'actions, obligations, OPCVM, indices, warrants, produits structurés, options, futures, taux d'intérêts, devises… La difficulté se situe ainsi au niveau de la gestion de cette base et l'infrastructure hautement technologique qui est indispensable pour la rendre exploitable dans les meilleures conditions par nos clients worldwide. -F.N.H. : Comment jugez-vous les moyens de diffusion des informations financières ? Les sociétés cotées se limitent-elles aux supports journalistiques on existe-t-il d'autres moyens ? -O.D. : Aujourd'hui, la liste est effectivement longue. Si le support journalistique reste –à juste titre-obligatoire, l'émetteur qui ne compte pas se limiter aux obligations légales, dispose d'une panoplie d'outils pour diffuser ses informations financières. Nous sommes bien placés pour justifier la pertinence de passer par un rediffuseur professionnel pour communiquer autour de ses réalisations, tant négatives que positives. Un rediffusuer s'adresse à tous les métiers financiers (wealth management, asset management, trésorerie et risque, back office, trading, analyse et recherche…) aussi bien locaux qu'internationaux et cela permet de réduire les risques de distorsion et de filtrage de l'information. Il y a également l'Internet, les forums spécialisés… -F.N.H. : Vous arrive-t-il d'être dans l'incapacité de fournir un client une information précise sur une société en raison d'un manque d'information de cette dernière? -O.D. : Oui. Nous ne créons pas l'information à la place de la société. C'est le cas par exemple des chiffres trimestriels, de commentaires détaillés sur des points précis relatifs à la stratégie d'une société, à un dividende non annoncé, à des notes de recherche non produites... Notre métier est la rediffusion de l'information. Cela sous-entend qu'elle existe et qu'à travers nous, notamment, elle parviendra à la cible ! Nous la valorisons certes, mais elle doit exister à la base. -F.N.H. : A votre avis, l'amélioration le la communication financière doit-elle impérativement passer par des obligations légales, ou peut-on motiver les émetteurs à renforcer leur dispositif de diffusion d'information à travers d'autres moyens? -O.D. : Vous-même, en tant que journaliste vous le constatez… Des conférences de présentation de résultat sont organisées, mais la pertinence du contenu peut être très différente en fonction de la personne qui vous fait face. La qualité de la communication financière est évidemment une affaire d'obligation légale jusqu'à un niveau minimum et notamment pour les informations périodiques ou permanentes, mais si la culture d'entreprise ne la favorise pas, on restera toujours sur sa faim. A contrario, des émetteurs vont, volontiers, au-delà de ce qui est exigé par la réglementation en la matière et cela a un impact positif sur le marché. A mon avis, la motivation doit venir de l'entreprise elle-même. Propos recueillis W. M. & I.Ben (stagiaire)