La presse et la politique ne font pas, depuis toujours, bon ménage. La première est en quête «d'affaires», de révélations et de scandales. La deuxième n'est plus l'enclos infranchissable, le temple secret. Cette semaine est dominée par le procès du Mouvement populaire, et bien entendu par le projet de trois plaintes que ce parti compte déposer au parquet, suite à sa mise en cause par certains organes qui mettent le doigt sur la plaie de pots-de-vin et d'accusations graves... Ce qui semble constituer une campagne d'accusations contre le Mouvement populaire tient-il du dénigrement ou dissimule-t-il une crise profonde ? Relève-t-il de l'intoxication ou révèle-t-il, au contraire, la face cachée de l'iceberg ? En réalité, il s'agit de poupées gigognes, à plusieurs dimensions, elles s'emboîtent les unes aux autres. Du scandale «Ruby», sobriquet donné à la jeune marocaine qui a coûté sa carrière à Berlusconi, aux «pots-de-vin» dont Mohamed Moubdie, membre influent du parti, aurait fait bénéficier Halima Assali, une députée du même parti, non moins influente et égérie adulée, pour le faire accéder au poste de ministre de la Fonction publique, il n'y a qu'un pas à franchir... et l'accusation de corruption, de concussion et de prévarication se met en branle comme un rouleau compresseur. On a aussi mis en scène l'histoire du chocolat qu'un Abdeladim Guerrouj, ci-devant ministre de la Fonction publique, aurait acheté sur le compte de son département, comme aussi les accusations graves lancées à l'encontre du ministre de la Jeunesse et des Sports, Mohamed Ouzine, accusé, quant à lui, d'avoir mis à profit l'organisation de la Coupe du monde des clubs en décembre à Marrakech pour s'enrichir à travers des sociétés écran, créées pour la circonstance. Rien n'est moins sûr, en effet, parce jusqu'à présent, nulle preuve n'a été fournie pour appuyer ce qui s'apparente à un procès en sorcellerie, sorti du chapeau de quelques commentateurs en mal de sensationnalisme. Une certaine presse arabophone, à travers ses titres divers et en concurrence exacerbée entre eux, s'en donne à cœur joie. Les mis en cause du Mouvement populaire, notamment Halima Assali et Mohamed Moubdie, saisissent le parquet par trois plaintes, la leur et celle du parti, la députée exigeant – et le déclarant même – la coquette somme de 5 millions de dirhams, arguant que la diffamation dont elle est victime dépasse de loin le montant d'indemnisation du préjudice moral porté à sa réputation et à sa personne. «Je n'accepterai pas d'excuses. J'avais déjà renoncé à ma plainte déposée contre Tel Quel, mais cette fois, j'exigerai 500 millions de centimes comme dommages et intérêts...», déclare-t-elle sur un ton qui ne sacrifie à aucun esprit de compromis. La menace proférée par celle que l'on dénomme par la «Dame de fer» du MP, a valeur de symbole : elle démontre en effet que la peur a changé de camp. Alors que la presse, notamment écrite et arabophone, attend que son sempiternel Code sorte des calendes grecques dans lesquelles l'ont jeté les gouvernements successifs précédents, et tandis que l'on agite de plus le projet d'un Conseil national de la presse, œuvre commune de la FMEJ ( Fédération marocaine des éditeurs de journaux) et du SNPM ( Syndicat national de la presse marocaine), voilà que la hache de guerre semble resurgir entre le pouvoir et la presse, ou plus particulièrement entre celle-ci et les partis politiques. Rien n'est plus expressif qu'une crise de ressentiment entre les hommes politiques et les hommes de presse, entendu que ces derniers sont à l'affût des éventuelles fautes des premiers, qu'ils n'hésitent à monter en mayonnaise. Un latent malentendu oppose depuis toujours l'échiquier politique marocain et la presse, de plus en plus indocile et insoumise, rebelle en tout cas aux séductions dont elle fait l'objet. Dès lors, une règle floue s'est instaurée «sui generis» entre l'une et l'autre partie de l'échiquier, elle constitue le fil conducteur d'une non-compréhension, transformé en malaise, versant dans le désenchantement ensuite. La chasse au sensationnel, au scoop n'est que le versant officiel de cette confrontation qui les place sur le qui vive...D'une affaire l'autre, traitée à longueur de colonnes, avec un acharnement à peine dissimulé, l'actualité de nos jours se résume à un répertoire de scandales ciblés, mettant en cause des personnalités qui, plus elles sont «importantes» et emblématiques, plus le public en est alléché... On ne compte plus les «affaires», à commencer par celle qui a secoué le landerneau après avoir éclaboussé Yasmina Baddou... Les dirigeants du Mouvement populaire ressentent comme une injustice que leur parti soit la cible privilégiée des attaques d'une certaine presse. Ils ont décidé de saisir la justice par trois plaintes simultanées. Les journaux qui ont cru porter le fer dans la plaie, en affirmant tout de go que certains ministres ont payé des pots-de-vin pour figurer sur la liste gouvernementale ou que des «lobbyeurs» ont servi d'intermédiaires influents pour les faire nommer, vont devoir en principe répondre de leurs extravagances ! Et cela promet d'être d'autant plus long que la Justice n'est pas aussi diligente - et pour cause ! - qu'on le pense. L'absence d'un code laisse vacant le champ de réglementation de la presse, livrée à elle-même, obnubilée par le sensationnalisme qui est à l'information ce que le chancre est à un corps. Lacordaire disait il y a plus d'un siècle à l'Assemblée nationale française que «la liberté opprime et la loi libère» ! On ne saurait mieux dire, au Maroc, à un moment où, entre une presse numérique et une presse papier encline à défendre ses conquêtes, le champ politique demeure fragilisé, exposé et soumis au journaliste populiste.