Khalid Rouggani, professeur d'économie à l'Université Hassan 1er, nous livre son appréciation de la composante économique accompagnant les programmes électoraux des partis politiques à l'occasion des législatives du 7 octobre prochain. Finances News Hebdo: Sur la forme d'abord, comment trouvez-vous l'offre économique dans les programmes électoraux des partis politiques ? Khalid Rouggani: Tout d'abord, il faut essayer de comprendre les contraintes qui s'imposent à l'élaboration et l'exécution d'un programme électoral d'ordre économique que sont : La dichotomie qui existe entre le temps politique (court et lié au mandat électoral) et le temps économique (long afin de pouvoir récolter les effets des politiques économiques au moins celles structurelles); L'environnement économique international et surtout celui des principaux partenaires économiques et financiers du Maroc (prévisions des taux de croissance, investissement, crises éventuelles...); Les contraintes en liaison avec la structure de l'économie nationale (dépendance à la pluie, structure du PIB, syndrome de la stabilisation macroéconomique...); L'existence de plusieurs domaines et champs d'actions économiques qui échappent à la pratique gouvernementale et qui enregistrent l'intervention directe d'autres institutions ou organismes à forts impacts sur le quotidien économique. Une lecture diagonale sur la forme fait ressortir que beaucoup de points se ressemblent dans les différents programmes proposés aux élections du 7 octobre prochain, ceci est tout à fait normal et ce n'est pas une particularité marocaine, vu qu'il s'agit de programmes préparés pour et dans le même contexte. Cela étant, et au moins pour les programmes des deux principaux partis qui se présentent à ces élections, à savoir le PJD qui représente la majorité sortante, et le PAM représentant de l'opposition, on retrouve les mêmes principes généraux, en l'occurrence : la consolidation de la transition vers de nouvelles sources de croissance; le renforcement de la compétitivité de l'économie nationale; la valorisation du capital humain et le renforcement de la justice sociale; la consolidation de l'industrialisation de l'économie nationale, et enfin, la bonne gouvernance à travers l'accélération des réformes structurelles. F.N.H.: Certains partis politiques ont confié la confection de leurs programmes économiques à des cabinets conseil. Qu'en pensez-vous ? Kh. R.: Premièrement, il faut mentionner que certains partis politiques ont les compétences nécessaires et font confectionner leurs programmes par leurs propres experts et ressources. Ceci dit, personnellement, je ne vois pas de mal à ce que les partis politiques aient recours aux cabinets et experts externes pour préparer leurs programmes économiques, mais à condition que ces derniers soient colorés par les mêmes orientations politiques et les grands principes défendus par la formation politique en question. Certes, l'idéal aurait été que chaque parti puisse disposer des cadres nécessaires pour ce type de tâches, mais comme vous le savez, cela renvoie à un autre problème lié à la nature et au niveau des compétences de la classe politique dont dispose notre pays. F.N.H.: Maintenant sur le fond des programmes économiques. Globalement, quelle évaluation en faites-vous ? Kh. R.: Il faut bien noter sur ce point que certains partis ont essayé de revoir et le contenu et le contenant de leurs programmes par rapport aux élections précédentes, suite à leur passage pour la première fois à l'action gouvernementale (PJD). Egalement, certaines propositions dans certains programmes restent à mon avis irréalisables et totalement conçues pour des raisons purement électorales. Ainsi en est l'exemple de ce que le PAM propose comme révision et parfois même retour en arrière à propos de certaines réformes menées ou au moins entamées par le gouvernement sortant (l'exemple de celle de la caisse de compensation ou bien celle des régimes de retraite). Et ce, à un moment où Sa Majesté le Roi en personne a salué ces réformes dans son dernier message adressé aux participants à la 40ème session du Conseil des gouverneurs des Banques centrales et des Instituts d'émission arabes, qui s'est ouverte jeudi 22 septembre à Rabat; et au moment même où toute la communauté économique nationale et internationale a salué ces réformes et le courage du gouvernement sortant dans ce domaine. Par ailleurs, parmi les objectifs qui me semblent trop volontaristes, et qu'on ne retrouve pas souvent dans des programmes électoraux, même dans les pays développés, celui annoncé par le PJD de vouloir «renouveler le modèle de développement». En fait, nous savons tous qu'on ne renouvelle pas un modèle de développement en 5 ans et qu'au Maroc, un objectif pareil dépasse le périmètre du champ de l'action gouvernementale. Parmi les nouveautés dans les programmes de ces élections, on peut mentionner également le renforcement des propositions de mesures consacrées au développement durable, à l'image de la proposition faite par le PJD qui veut élaborer une «stratégie intégrée de l'eau» à l'horizon 2050 et la mise en place de «mécanismes de subvention de l'utilisation des énergies renouvelables par les citoyens et les entreprises». F.N.H.: Les promesses chiffrées avancées par-ci par-là (croissance, emploi, etc.) sont-elles à votre avis réalisables ? Kh. R.: Même les promesses des plus grandes institutions de prévision risquent de ne pas être réalisables. Cela dépend principalement de la pertinence des modèles économétriques et des hypothèses à la base de ces chiffres. Au niveau de la croissance économique par exemple, les deux formations tablent sur une moyenne de 5,5% (PAM) et 5% (PJD) dans le scénario moyen, ce qui me semble irréalisable dans les conditions actuelles du marché, alors que la moyenne durant le mandat 2012-2016 était de 3,2%. Nonobstant le réalisme ou non des chiffres avancés, ce qui rassure les partis politiques sur ce point, et ce qui ne leur pose d'ailleurs pas de contraintes dans leurs propositions chiffrées et peut être dans le contenu global de leurs programmes électoraux, c'est surtout la nature du mode de scrutin au Maroc ainsi que le profil de l'électeur marocain qui vote plus pour la personne que pour le parti politique porteur dudit programme.