Dans les provinces de Taounate et Chefchaouen, des douars entiers vivent une situation critique. La combinaison d'une canicule persistante et de l'absence de solutions concrètes a plongé de nombreux villages dans une crise hydrique aiguë. Confrontés à une pénurie d'eau persistante, les habitants, excédés, ont décidé de faire entendre leur voix en lançant des appels de détresse à l'adresse des autorités locales et régionales, en particulier aux gouverneurs des provinces concernées. Ces régions, connues pour être des zones de culture du cannabis, font face à un phénomène de manque d'eau inquiétant. Selon des témoignages locaux, des réseaux illégaux détournent les eaux des sources naturelles au moyen de conduites clandestines pour irriguer des plantations de cannabis, aggravant ainsi la pénurie pour les habitants. La colère gronde parmi les villageois. Dans une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux, un résident de la commune de Taounate alerte sur la dureté du quotidien. « Nous portons des bouteilles et parcourons des kilomètres à pied. Il n'y a ni camion-citerne, ni fontaines, ni solution provisoire. Les femmes et les enfants souffrent. Nous appelons monsieur le gouverneur à intervenir rapidement », a-t-il lancé. Un autre habitant partage ce constat alarmant : « On nous a fait beaucoup de promesses, mais la situation reste inchangée. Certains douars n'ont pas reçu une goutte d'eau depuis plusieurs semaines. Avec cette chaleur accablante et des conditions de vie déjà difficiles, la situation devient insoutenable ». Interrogé par Hespress, Abdellah El Jout, membre de la Coordination des zones historiques du kif, dénonce une contradiction flagrante. « Chefchaouen est la province où il pleut le plus au Maroc, mais elle connaît aujourd'hui une sécheresse semblable à celle des régions désertiques. Le problème ne réside pas dans le manque de ressources hydriques, mais dans leur mauvaise gestion. C'est un enjeu politique que nous avons déjà signalé à plusieurs reprises », a-t-il précisé. Selon lui, « dans les zones de culture du kif, l'accaparement de l'eau par des personnes influentes est massif, et cette situation s'est normalisée au fil du temps ». Il ajoute cependant que « la situation à Taounate est encore plus paradoxale. Ce territoire possède la plus grande concentration de barrages du pays, dont le plus important à l'échelle nationale, voire continentale. Pourtant, chaque été, la population y endure des souffrances extrêmes liées au manque d'eau ». Pour El Jout, Taounate incarne un paradoxe : « Cette province est un immense réservoir d'eau dont profitent certains investisseurs, tandis que les habitants en sont réduits à des portions congrues. Le modèle de répartition ne change pas, malgré les transformations du pays. L'eau de Taounate est utilisée ailleurs pour irriguer des cultures qui génèrent des richesses pour d'autres. Ce territoire est généreux envers le Maroc, mais avare envers ses propres citoyens ». Face à cette réalité, les appels se multiplient. Les habitants de plusieurs douars demandent la mise en œuvre urgente de solutions, même temporaires, telles que la mobilisation de camions-citernes pour approvisionner les zones sinistrées, en attendant l'achèvement de projets de raccordement en eau, dont les travaux sont aujourd'hui en suspens. Pourtant, la région de Taounate a connu récemment une embellie sur le plan hydrique. Les précipitations importantes enregistrées au mois de mars dernier ont permis une remontée notable du niveau du barrage Al Wahda, situé dans la province. Le taux de remplissage du barrage est passé de 38 % au début du mois à 57,1 % à la fin mars. Le barrage Al Wahda, édifié sur l'oued Ouergha – un affluent du Sebou – à une quarantaine de kilomètres de Ouezzane et à 60 kilomètres de Fès, est le plus grand du Maroc et l'un des plus imposants d'Afrique. Il peut stocker jusqu'à 3,5 milliards de mètres cubes d'eau. Sa structure comprend une digue principale et une secondaire, d'une longueur totale de 2.600 mètres, et un mur de retenue haut de 88 mètres. Ce gigantesque ouvrage hydraulique alimente en eau potable plus de 20 communes rurales réparties entre les provinces de Taounate, Ouezzane et Chefchaouen. Il permet également l'irrigation de vastes étendues agricoles, atteignant 115.000 hectares, dont 100.000 hectares situés dans la plaine du Gharb et 15.000 hectares dans le bas bassin de l'Ouergha. En outre, le barrage joue un rôle crucial dans la prévention des inondations qui menaçaient autrefois cette partie du pays. Malgré ces atouts hydrauliques indéniables, la population locale, elle, continue de vivre au rythme des restrictions, des files d'attente autour des rares points d'eau disponibles, et des espoirs déçus. L'heure est à l'action concrète, martèlent les voix locales. Sans une gestion équitable et responsable des ressources, la soif risque de devenir un fardeau permanent.