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Prison centrale de Kénitra : Tant qu'il y aura des femmes
Publié dans La Gazette du Maroc le 31 - 07 - 2006

Lahcen s'est résolu à l'idée que pour tout crime il y a un châtiment. Depuis plus de dix ans qu'il habite dans le pavillon B du couloir de la mort de la prison centrale de Kénitra, il a eu suffisamment de temps pour se faire une idée sur son sort. Tout a débuté pour lui lorsqu'il avait un soir, après une bonne cuite avec sa dulcinée, entamé sa ronde cruelle d'homme violent. Il massacre presque sa compagne et s'en sort avec quelques mois de prison. À sa sortie, il remet le couvert et s'en va dans une croisade contre toutes celles qui lui ouvraient les portes du plaisir. Après chaque jouissance, l'homme devait sévir. La violence physique allant croissant, Lahcen finit par tuer. Et pas une seule fois. Coups, cassage de gueule, boucherie, dissimulation de cadavres… Mais un jour, il loupe son coup et se fait prendre. Il passe à table, et raconte tout, dans les détails. Lahcen vit aujourd'hui avec ces visages de femmes qui viennent le hanter chaque nuit pour lui demander des comptes. Mais, lui, n'a rien à leur dire. Il ne sait toujours pas pourquoi, à chaque fois, qu'il couchait avec une femme, il fallait l'anéantir.
L'amour qui tue. Cela existe. Lahcen en est la parfaite manifestation. Et n'allez pas demander à Lahcen pourquoi. Lui-même ne le sait pas encore. À moins qu'il ne le sache et se le cache à lui-même, et, par ricochet, à nous aussi. Quoi qu'il en soit, Lahcen est perdu dans ce tumulte de cadavres et de visages qui lui demandent des comptes tous les jours. «Je ne sais pas, mais j'ai été très violent avec les femmes. Pourtant, au début, quand j'étais plus jeune, je n'avais jamais porté la main sur une fille. Ce n'est que plus tard, après vingt ans, que j'ai fait ce que j'ai fait.» Inutile de faire de la psychanalyse de pacotille dans de tels cas humains. Il est clair que Lahcen a traversé des moments très durs dans sa vie. Comme il est évident que le bonhomme en voulait à quelqu'un, et amèrement. Qui pourrait être ce quelqu'un ? Lahcen ne le désigne pas. Du moins pas à nous. Mais il sait. Il doit savoir. Il serait aisé pour nous de pointer du doigt sa mère, mais cela serait trop facile. On ne sait pas de quoi était faite la prime enfance de Lahcen, pas plus que nous ne savons quels rapports avait-il avec sa mère. Alors gardons-nous de donner des analyses simplistes par souci de facilité. Lahcen a son histoire qu'il nous a confiée, et nous la racontons avec tout le respect que l'on doit à la vie d'un être humain.
L'homme, cet inconnu
L'homme qui a fait courir la police derrière lui, lors de l'une des plus grandes enquêtes policières du pays, ne paye pas de mine. Il est de premier abord semblable à un petit rigolo qui se prend au jeu et se voit au centre d'une foule, le soir, à écouter toutes ces histoires de prisonniers qui meublent le vide intérieur et font chasser la peur qui vous prend aux tripes quand les verrous claquent et font leur bruit de fin du monde. Oui, il aime toutes ces histoires à dormir debout, vu que le sommeil est une denrée très prisée dans ces couloirs et qu'il faut user de tant de stratagèmes pour qu'il daigne vous visiter entre deux cauchemars.
Cet homme apparaît tout à coup comme un autre homme, différent de celui dont les péripéties avaient plongé le pays dans une peur bleue. «Je ne suis pas méchant. J'ai commis des crimes, mais je suis ici pour payer pour ce que j'ai fait. Ne pensez pas que je saute sur tout le monde comme un chien enragé. Je vous dis que je ne sais pas pourquoi cela est arrivé ». Quand Lahcen insiste, on a du mal à ne pas le croire. La réalité paraît soudain tout autre. Nous ne sommes plus devant un homme que l'on a décrit comme un malade mental et un fou à lier. C'est d'ailleurs avec ce type d'idées préconçues que nous avons abordé Lahcen. Nous étions sûrs de rencontrer un homme terrible, un horrible personnage, un monstre vivant, une horreur incarnée. Mais ce qui nous a été donné à voir est différent. Du moins en apparence. Pourtant en prison, à l'exception de quelques grincheux, les autres copains d'infortune témoignent d'un personnage plutôt sympathique, souvent gai, très disposé à faire causette avec tout le monde, un peu loufoque aussi à ses heures et surtout un type calme et serein. Nous sommes déroutés par cette dualité du personnage ? Le calme plat qui cache le grand ouragan qui va tout souffler sur son passage ? On ne sait pas, mais il semble que depuis que Lahcen n'a pas touché une femme, sa violence n'a pas eu d'occasion de faire surface.
Hermétique monsieur Lahcen
Lahcen est un personnage étrange aussi. Il est à la fois énigmatique et très ouvert. Il parle avec aisance de ce qu'il a fait, mais il donne cette impression d'un homme qui en garde sous le manteau… au cas où. Il n'est pas le stéréotype de ce que l'on connaît du criminel récidiviste ni du truand qui torture ses proies et y prend un plaisir fou. Non, rien de tel dans la psychologie d'un homme qui est resté plutôt très proche de l'enfant qu'il n'a jamais cessé d'être. Cet homme vous donne la nette certitude dès les premières minutes de conversation que c'est un loup doublé d'un agneau. Il joue sur les deux tableaux. Il a cette audace de vous servir ce que vous voulez, mais en contrepartie, il attend le retour d'ascenseur. Il peut vous travailler au corps à l'aide d'une phrase très bien construite mais doublée d'une grande naïveté étudiée pour vous désarmer. Il vous laisse les rênes de la conversation, suit votre logique sans jamais se heurter à quoi que ce soit qui puisse éveiller votre doute, puis ramène le cheminement des idées vers lui, s'en saisit et fait sa route. « Quand j'étais à l'école, parce que j'y suis resté jusqu'au brevet, je travaillais très bien. Mais très vite, j'ai dû arrêter pour travailler. Mon père venait de mourir et ma mère avait besoin d'aide. Et comme nous étions deux frères avec une sœur, nous avons, mon frère et moi trouvé des places dans des usines pour ramener de l'argent à la maison ». Lahcen alterne le sourire avec la mine grave, le regard tendre et innocent avec la profonde introspection. Il est à la fois lui-même et son propre personnage. Un acteur au faîte de son art qui sait qui il est, ce qu'il veut, ce qu'il attend et ce que les autres veulent de lui. « Ma mère était plongée dans la vie de tous les jours, et nous, nous essayions de gagner notre vie comme on le pouvait. Seule, ma sœur a continué ses études et a eu son baccalauréat ». Lahcen vous sert la salade que vous voulez pour peu que vous lui montriez quel assaisonnement vous convient. «J'ai beaucoup réfléchi. Je n'ai que cela à faire ici. Ces femmes ne m'avaient rien fait de mal. C'étaient des rencontres comme tout le monde en fait. Mais, une fois la fête finie, j'étais perdu et elles aussi. Je ne sais pas si je suis malade, mais je n'ai jamais été devant un médecin pour me dire ce que j'avais réellement. » Le but de cette tirade était clair : je suis malade et je dois me faire soigner, donc, pourquoi suis-je en prison ? Mais quelques minutes plus tard, il revient sur sa maladie et dit que c'était le destin. Et là, il passe toute la panoplie mystico-religieuse sur ce qui devait arriver arriva et d'autres adages du même acabit. Et ce n'est pas fini. Il remet le tout en question et assène : «peut-être que ces femmes devaient mourir. Je n'étais que le moyen».
Quand les femmes tombent
«J'étais très bien avec une fille. On sortait ensemble et on avait un endroit que j'avais loué pour pas cher où nous allions pour faire ce que tu sais. Un soir, après le dîner et le reste, je l'ai frappée très fort. Elle saignait et j'ai cru qu'elle était morte. On m'a arrêté et j'ai dû passer quelques mois en prison pour prostitution, coups et blessures. Quand je suis sorti, la vie a repris sans problèmes. J'ai trouvé du travail et j'ai rencontré une fille qui travaillait dans une usine. Un soir j'ai failli la tuer, mais elle n'a pas porté plainte ». C'étaient les débuts des cercles de l'enfer que Lahcen allait traverser un à un sans répit. De cette première nuit de violence, il garde de vifs souvenirs. C'était le déclenchement de quelque chose qu'il ne pourra plus arrêter. Le mal avait pris possession de l'homme. Les démons du passé avaient finalement trouvé la brèche pour entrer en jeu. Et Lahcen était, dans un sens, captif de tout ce qui le dépassait. «Après, il y a eu un moment très calme. J'ai rencontré des femmes, on faisait ce qu'on devait faire, mais je n'ai pas eu à les frapper. Jusqu'à un soir où j'ai fait la fête avec une femme plus âgée que moi. Elle avait au moins quarante ans. Là, après coup, je l'ai frappée et je l'ai tuée.» Des coups à ne plus pouvoir en donner, et le coup de grâce à l'aide d'un couteau pour achever le travail. La suite est simple. Il découpe le corps, nettoie ce qu'il avait à nettoyer et jette les restes de la femme dans un terrain vague. Des mois passent, l'affaire est close, dossier classé. Pas de meurtrier. Lahcen remet le couvert avec une autre femme. Le même procédé et il s'en tire encore une fois. Pas d'indice, pas de meurtrier. Mais la police cherche et attend un faux-pas de la part de l'assassin. Lahcen aura tué au moins quatre fois avant de prendre un moment de pause. «Je ne sais pas, mais j'ai eu d'autres femmes, mais je ne leur ai rien fait. On couchait ensemble et elles partaient chez elles.»
Sans espoir d'oubli
Mais Lahcen ne peut se résoudre à oublier les femmes mortes assassinées. Il en est encore à ruminer les histoires de telle compagne d'une nuit le crâne fracassé avec une barre de fer, telle autre poignardée alors qu'elle était en train de préparer le dîner ou encore celle qui a succombé à des coups à répétition par un type décidé à en découdre avec le destin, le sien et celui des autres. Mais pourquoi Lahcen a-t-il refroidi toutes ces femmes ? La question est lancinante, et il n'y a aucun moyen de démêler le vrai du faux, tant que l'homme lui-même n'a pas décidé de clarifier les choses. Des histoires d'amour inachevées qui le rendaient fou, malade, violent ? Des crises de jalousie de la part d'un habitué des femmes qui ne peut plus voir la fille qu'il aime, dont il est fou amoureux, offrir son corps à d'autres, jouer de ses sentiments, le narguer, attiser sa haine et sa colère ? Ou était-ce la folie d'un homme qui avait entamé son cycle d‘horreur ? Lahcen affiche soudain sa mine grise passée à la couleur de la prison, cette pâleur qui rend les hommes blafards, le teint terne, éteint et les yeux secs. Il semble résigné, n'en veut à personne. Il accepte en quelque sorte ce qui se passe, sa vie d'aujourd'hui. Mais comment s'arrange-t-il avec les cadavres des femmes ? Soutient-il leurs regards apeurés, coléreux et noirs ? Peut-il entendre leurs voix suppliantes, leurs sanglots, leurs cris de douleur ? Comment s'arrange-t-il la nuit tombée ? Quel pacte a-t-il concédé pour avoir un soupçon de calme de temps à autre. L'homme semble meurtri, pris à la gorge par les spectres du passé. Il regrette tout, sans le dire, il l'affirme à chaque phrase et se mêle les pinceaux parce qu'il sait qu'il n'a plus de prise sur la réalité. Ses crimes l'ont surpassé, l'ont dépassé, l'ont submergé. Son existence est tributaire de la leur, son rappel coule de ces moments où des corps ont touché le sol, inertes et exsangues. Dans sa cellule, il s'applique aujourd'hui à livrer d'autres ébats. Il tue le temps. Il le tue à coups de vent, à coups de rire, à coups de silence. Il essaye de vivre, de respirer malgré l'odeur du sang qui remplit ses narines et son œil gorgé de visions noires.
Le jour du seigneur
«J'ai été donné par une voisine qui m'avait surpris sortant deux grands sacs très tôt le matin. Elle s'est douté de quelque chose, surtout qu'il y avait beaucoup de bruit autour des femmes trouvées mortes. Deux jours plus tard, les policiers sont venus me voir. Là, j'ai très vite compris que j'étais pris. Il n'y avait rien d'autre à faire ». Les interrogatoires n'étaient pas très longs. Lahcen ne jouait pas les durs. Il s'est attablé devant les enquêteurs et a tout déballé. Il a raconté le premier crime, le deuxième et il s'est arrêté au moment où il n'avait plus rien à décrire. Le dernier cadavre fut découvert et Lahcen avait mis un nom sur un corps mutilé. La suite est des plus classiques. Un homme en perdition qui réalise, dans un sens, qu'il a été très loin dans l'inhumain. Alors, ce qui compte en ce moment, c'est de penser à l'après condamnation. Quand les portes de la prison se ferment. Quand les gardiens vous donnent des ordres. Quand le soleil vous manque, et que vous ne pouvez qu'espérer une sortie le lendemain. Lahcen tente encore de résoudre son énigme. Pourquoi a-t-il tué ? Il le saura un jour et surtout il se le dira de façon claire et sans détours. Là, peut-être, il pourra regarder le soleil en face et se dire, que l'espoir est dans le pardon.


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