Avenue Mohammed VI le 30 octobre. Il est 1h30 du matin. Le wali Mounir Chraïbi est toujours debout. Il supervise les derniers préparatifs du Festival International du Film de Marrakech : des dizaines d'ouvriers s'activent autour du Palais des Congrès. Les derniers coups de marteau sont assénés sur les estrades et les escaliers en bois recouverts de moquette rouge. Plus loin, les pelles déversent la caillasse autour des jets d'eau et de la verdure fraîchement plantée sur la promenade centrale de l'avenue Mohammed VI. La journée du wali a été dure. Malgré sa singularité, elle ressemble à toutes les journées de l'année. Les investisseurs, les porteurs de grands et petits projets, les promoteurs et les partenaires publics et privés ne laissent point de répit au Représentant du Roi dans la Ville et dans la Région. Mme Boukhrissi, la directrice de cabinet, ne sait plus où placer les rendez-vous sur l'agenda du wali. L'homme respire le briefing, le débriefing, le coaching, les comptes-rendus, les rapports d'avancement des travaux, la lecture des cartes et des plans…etc. Difficile pour la lourde administration préfectorale et régionale de tenir un tel rythme. Des walis de choc Mohamed Hassad, son prédécesseur, officie sur un site qui verra la naissance du plus grand port – en tous cas le plus moderne – de la Méditerranée. Son cahier des charges est volumineux : restaurer la légalité, booster une région longtemps accroupie devant l'argent sale et mettre au travail une population lassée par les promesses non tenues. A Casablanca, Mohamed Kabbaj doit conduire la requalification urbaine d'un environnement devenu quasiment invivable : transports, oxygénation, culture, sports, emploi…etc. doivent être mis à niveau. A Meknès, Hassan Aourid doit restituer la ville ismaélite à elle-même, l'arrachant à la délinquance, au non-destin et à l'oubli. A Oujda, Mohamed Brahimi est en train de sortir l'Oriental de l'exil politique et, par conséquent, économique, social et culturel. A Laâyoune, M'hamed Driyef gère une situation historique et territoriale des plus délicates. Cette génération de walis semble avoir saisi l'empressement royal à extraire le Royaume à l'imbécillité enracinée par les errances d'antan. Décidément, la fonction wilayale, qui a vu le jour au temps de feu Hassan II et qui a commencé par épouser un statut hybride, a cumulé, depuis l'avènement du règne de Mohamed VI, des pouvoirs multidimensionnels. Au Maroc, les walis ont reçu des délégations de la quasi-totalité des départements ministériels dans les secteurs les plus vitaux des régions marocaines. Walis au service de la justice Lors des dernières élections sénatoriales, des walis ont instruit des dossiers relatifs à l'utilisation de l'argent sale et à l'achet de voix des grands électeurs. En cela, ils ont démontré leur capacité à traquer non seulement les dysfonctionnements structurels et les dérives qui sévissent au sein de l'ensemble des administrations d'une région, mais surtout les réflexes népotiques et les mœurs corruptives. Le rôle du wali, représentant du Roi, peut donc être corsé pour répondre aux impératifs de la construction démocratique et de la marche vers une modernité. Jeudi dernier, le Conseil de gouvernement a adopté plusieurs projets de loi et de décret portant sur la moralisation de la vie publique et la lutte contre la corruption. « Le Conseil a adopté trois projets de loi relatifs au statut des magistrats, à la déclaration obligatoire du patrimoine pour certains élus locaux et catégories de fonctionnaires et d'agents publics, ainsi qu'au code des tribunaux financiers. Trois projets de loi complétant la loi organique du Conseil constitutionnel et des deux Chambres du Parlement ont été aussi adoptés,» a déclaré le porte-parole du gouvernement, Nabil Benabdellah, à l'issue du Conseil. « Il s'agit également d'un projet de décret portant sur la définition des conditions et formes de passation des marchés publics et certaines règles afférentes à leur gestion et contrôle, et d'un autre relatif à la création de l'Instance nationale de prévention de la corruption». Les dispositions juridiques et organiques contenues dans ces projets, a souligné le ministre, concernent les magistrats, les présidents des Conseils régionaux, préfectoraux, provinciaux et municipaux, ainsi que les ordonnateurs, les percepteurs des douanes et des impôts, les fonctionnaires chargés de la gestion et du contrôle des marchés publics, des collectivités locales et des organismes publics. Dans la foulée, le ministre a insisté sur la volonté gouvernementale de criminaliser et punir le blanchiment de l'argent sale. Un chantier stratégique Voilà donc un chantier essentiel quant à l'édification de l'Etat de droit, c'est-à-dire le «déminage éthique» des institutions et des instruments du pouvoir. Les walis disposent de l'ensemble des outils d'investigation permettant de pointer les dérives avant que les procureurs ne les qualifient et que les juges ne les punissent. D'aucuns ont décrié les attributions massives dévolues aux walis, arguant, notamment, du contournement des prérogatives ministérielles. «Les walis sont missionnés directement par le cabinet royal dans le but de préserver et fructifier les privilèges du «makhzen économique». C'est une pratique contraire à la lettre et à l'esprit de la constitution «, écrivit un redresseur de torts déguisé en éditorialiste. Ce «grand esprit» a dû zapper une longue période où les ministres étaient réduits à l'indigence autoritaire du fait de l'interfaçage organique de Driss Basri. Faut-il préserver une tradition aussi anachronique à l'heure où le pays est mobilisé sur tous les fronts de la dignité socioéconomique, géostratégique et territoriale ? Nommés en Conseil de ministres dûment présidé par le président de la république, les préfets de département et de région français veillent à la mise en musique de la loi. Les ministres font de la politique ; les préfets sont des gestionnaires. Pourquoi veut-on que les préfets et les walis marocains ne soient pas mobilisés par l'exécutif en vue d'atteindre les objectifs préalablement débattus, délibérés et validés ? Or, à notre connaissance, la constitution actuelle n'expurge nullement le Roi des responsabilités exécutives. Ce dernier y fait figure, au contraire, de premier responsable de la conduite des affaires. Il a, par conséquent, toute latitude de déléguer ses pouvoirs à ceux-là mêmes qui gèrent la chose publique déconcentrée. Des carences de l'outil préfectoral Par ailleurs, les délégations ministérielles dûment accordées aux préfets, aux gouverneurs et aux walis de régions sont explicites quant à l'objet, le ciblage et la portée. Le Roi n'est donc pas seul à se servir de l'outil préfectoral pour initier et mettre en œuvre les projets, de quelque taille qu'ils puissent être. La fonction de wali doit donc être consolidée. Ce dernier doit pouvoir disposer des moyens logistiques, financiers, institutionnels et administratifs pour s'acquitter de responsabilités allant crescendo, au même rythme que la construction démocratique et le développement socioéconomique. Investir les walis de tâches éminemment éthiques est une idée moderne. Naguère, la grande majorité des gouverneurs rivalisaient dans la collecte des «offrandes» destinées à leurs supérieurs, sans oublier de se servir au passage. Louons donc la Providence d'avoir un outil wilayal qui est souvent dépourvu de moyens adéquats et qui, malgré cela, accomplit des prouesses remarquables, notamment au chapitre de la prospection et la conduite des grands chantiers et des projets d'envergure. Sait-on seulement que le wali est incapable de recruter ses collaborateurs, se contentant de «ce qui existe». Un ministre dispose de la latitude de recruter l'ensemble de son staff. Même un président de commune dispose de la possibilité de recruter. Pas le wali dont la liberté en la matière se limite au redéploiement des effectifs. Au lieu de crier au loup dès que le Roi confie des missions prioritaires à Ses représentants dans les différentes contrées du pays, il vaudrait mieux réfléchir aux moyens nouveaux qu'il faut accorder en temps et en heure aux malheureux walis. Critiquer des choix, des politiques, des comportements publics douteux, est salutaire. Critiquer à-tout-va les «agents de développement» et les dépositaires de la tranquillité publique que sont les walis, souvent pour leur volontarisme avéré, est ridicule. Nous n'avons pas la réputation de flatter les puissants. Mais ici, nous disons: «Bon courage, messieurs les walis de Sa Majesté !»