Dans les deux précédents numéros, la Gazette du Maroc a publié deux articles sur les origines de ce quartier phare de la ville de Casablanca, de sa naissance aux premiers plans d'aménagement. Dans cet article, nous nous penchons sur la vie du quartier, le volet social et humain, les religions qui y ont cohabité et qui y cohabitent toujours. Décrit comme un exemple d'intégration et de tolérance, le quartier réussit son pari de melting pot culturel. C'est en somme une colonie d'immigrés qui est à l'origine du quartier Maârif. Comme on l'a vu dans les précédents numéros, le tissu social était composé d'Italiens, d'Espagnols et de Français. Les Marocains ont élu domicile à la périphérie, dans le quartier connu aujourd'hui sous le nom de Derb Ghallef. Ce qui a étonné les analystes de l'époque fut le brassage immédiat et surtout la spontanéité avec laquelle les différentes populations ont pu cohabiter dans une entente quasi idéaliste. Certains sociologues français, appuyés par les travaux de grands urbanistes, ont affirmé que « c'est l'origine sociale des immigrés qui a favorisé le métissage du tissu urbain du quartier ». Tous pauvres, la vie dans une communauté en construction a favorisé, entre eux, l'entraide et l'entente. L'autre point important à prendre en considération, c'est la loi française de l'époque. En effet, les lois françaises du Protectorat tendaient à favoriser et intégrer les ressortissants des pays européens du fait que les Français de souche étaient peu nombreux, ainsi les petits-fils d'émigrés, nés au Maroc, avaient le droit automatiquement à la nationalité Française et sans aucune démarche ni formalité. Ce qui était un privilège considérable à l'époque dans ce sens que les flux vers le quartier ont été ordonnés, et surtout soumis à un plan de peuplement voulu par les autorités françaises. Par contre, il n y avait pas de lois sociales ni de retraite obligatoire car seuls les fonctionnaires et employés Français de grandes sociétés y avaient droit. La Sécurité Sociale Marocaine fût instaurée en 1961, après l'indépendance du royaume en 1956. La Caisse d´Aide Social était embryonnaire, et les patrons pouvaient faire la loi, avec les travailleurs Marocains et étrangers. Aux sources de la tolérance Le Père Le Caer fit construire une nouvelle église dans les années 50. Le paroissien était une figure très importante de l'époque. La construction coïncidait avec l'effervescence occasionnée par les grands tournois de Football dont le quartier fut le terrain de jeu. Les équipes qui s'illustraient à cette période étaient : l´Atlas, le Tajarapis, Canigoux, etc... ensuite arrive le Galia Sport Maârifien. Les équipes étaient mixtes et le sens de la tolérance prenait ici tout son sens. L'amour du jeu unissait les sportifs faisant fi des distinctions de confession, de rang social ou de nationalité. L'autre lieu de fraternité entre les populations étaient les écoles. Toutes construites en bois et baptisées « Ecole des Babalouches » (Bappouch veut dire escargot en Arabe). L'un des sites majeurs de cette époque fut derrière l'église, qui fût remplacée par l‘école du Maârif, rue Fabre d´Eglantine. L'autre grande école de l'histoire du quartier fut l'école Dominique Savio tenue par les Salésiens, que Mme la Maréchale Lyautey a honoré de son Parrainage en posant la première pierre. L'histoire retient que la cour de cette école fut le cadre de joyeuses kermesses et patronages où la fête réunissait toutes les souches sociales. La religion a joué un rôle capital Quand on se penche sur les statistiques de l'époque, de la naissance du quartier Maârif à l'indépendance et même plus tard dans les années 60, on se rend compte que la population du Maârif était à 90% Catholique, et plus des 2/3 pratiquante, les fêtes religieuses, Nöel, Pâques etc... étaient très pompeusement célébrées, mais surtout la Saint Jean qui concernait la population d'origine Alicantine, venue d'Espagne et qui était parmi les premières à s'installer au Maârif. Il y avait aussi la fête de Notre Dame de Trapani, célébrée tous les 15 Août par la population sicilienne. Sans oublier les feux de Saint Jean et les Processions du 15 Août au Maârif qui méritent à elles seule un chapitre complet pour les décrire. Il existe d'ailleurs dans les archives françaises de l'église de nombreux documents sur les festivités religieuses qui marquaient les évènements les plus importants de la vie sociale de l'époque. «Aujourd'hui, les premiers Maârifiens se souviennent certainement des marmites de fèves au cumin, et des feux de la Saint Jean où la joie et les débordements battaient tous les records. Mais aussi les chants des grandes processions où l'on sortait la Vierge avec clairons et fanfares, enfants et pénitents qui suivent, des trottoirs bondés de monde sans la moindre discordance.» Par ailleurs, on apprend aussi, selon les mêmes archives que les fagots de chardons étaient cueillis dès le début du mois de mai et bien gardés. Ce qu'il faut signaler ici, c'est que les prêtres étaient des Autorités notables, avec leurs soutanes noires, bien reçus et respectés, bien que dans l‘après-guerre les troubles sociaux firent progresser quelques groupes anti-cléricaux et certains plaisantins les taquinaient en sifflant le fer à leur passage. («pitaferro» est une expression italienne qui désignait bien ce geste et les véritables Maârifiens connaissent l'expression).