Il y a un sentiment de déjà-vu au sujet de la frénésie actuelle des acquisitions. Il y a une différence par rapport aux fusions des années 1980, mais seulement jusqu'à un certain point. L'année dernière, comme l'activité des fusions dans le monde a ouvert une brèche dans l'ère du point.com, la fête a repris sur les marchés comme en 1999. Les banquiers et les avocats qui travaillent sur ces affaires s'étaient préparés psychologiquement à des gueules de bois. Mais au lieu de cela, on a sablé le champagne, remis la musique et prié les invités de danser toute la nuit durant. Environ 2000 milliards de dollars de transaction ont été déjà annoncés cette année, prédisant de casser le record établi en 2006, avec 60% de plus. Cela excéderait même les prévisions les plus optimistes de Wall Street. Cette semaine, l'esprit de conquête a refait surface. A mesure que la bataille pour le contrôle de la banque hollandaise, ABN AMRO, prenait une nouvelle tournure, Alcoa, le géant américain de l'aluminium, a lancé une offre publique d'achat (OPA) hostile sur Alcan, son rival canadien. Dans le sillage de l'offre de 5 milliards de dollars lancée par Rupert Murdoch pour Dow Jones, Thomson a raffermi son OPA de 8,8 milliards de livres sterling, soit 17,5 milliards de dollars sur Reuters, un concurrent dans le fil d'information et en matière d'information financière. Et les rumeurs ont fait état d'une possible acquisition de Rio Tinto par BHP Billiton, son plus grand concurrent, pour créer la plus grande compagnie d'exploitation minière du monde. De telles incursions ont été encouragées par les marchés boursiers en forte croissance. Les valeurs industrielles du Dow Jones atteignent de nouveaux sommets avec une fréquence inhabituelle. Les marchés chinois ont progressé avec des volumes d'échange record, en dépit des efforts des responsables publics d'apaiser l'euphorie. L'agitation de fin février relève déjà de l'histoire : la vigueur des marchés suscite plus de transactions. L'ambiance est tellement euphorique que même les acquéreurs, habituellement pénalisés par le fait de payer des surprimes, voient le cours de leurs actions effectuer des bonds importants: Alcoa a augmenté de 8% le jour de son offre. Pour tout couvrir, Warren Buffett, qui ne suit pas habituellement la foule, promet de dépenser jusqu'à 60 milliards de dollars, soit beaucoup plus qu'il n'a jamais dépensé dans une acquisition. Ceci a inévitablement mené aux comparaisons avec le boom des fusions des années 1990. Mais il y a plusieurs grandes différences. Le plus évident est que les années 90 ont été dopées par le marché actions, tandis que la frénésie d'aujourd'hui fonctionne grâce au crédit. Avec des taux d'intérêt bas, il est devenu plus facile pour les entreprises de se financer par l'endettement plutôt qu'avec des capitaux propres. Peu amical La trésorerie est la principale nouveauté. Cette tendance a joué pour les fonds d'investissement privés, qui expliquent à présent 20% de la valeur des acquisitions. Ils ont toujours d'énormes trésors de guerre à dépenser, ce qu'ils font à un rythme record; les plus grands fonds s'approchent de 20 milliards de dollars en taille. Avec de telles ressources en main, ils deviennent plus audacieux, certains diront moins regardants. La moyenne des rachats a triplé en taille depuis 2005, à 1,3 milliard de dollars. Et les tabous tombent, comme l'a montré l'acquisition récente d'une société de services et d'une banque, deux secteurs considérés auparavant immunisés contre les capitaux des fonds d'investissement privés. Une autre différence c'est que le boom actuel a une base plus large que le précédent, aussi bien en termes de secteurs que de zone géographique. Aucun secteur n'est épargné, comme l'étaient les télécoms et l'Internet, L'euphorie s'empare des services financiers, des métaux et des mines, de la production d'électricité, de la propriété et des biens de consommation. Et tandis que les transactions des années 1990 étaient concentrées aux Etats-Unis, cette fois elles sont mieux réparties. En avril, il a été dépensé autant en Europe qu'aux Etats-Unis. D'ailleurs, la vague de fusions actuelle est conduite non pas par enthousiasme d'une nébuleuse d'un «nouveau paradigme», mais par les tendances internationales, telles que la demande des produits, la mondialisation des marchés financiers et l'émergence de bouillonnantes multinationales dans les pays en voie de développement. Les entreprises emploient le placement bon marché comme une opportunité de se développer dans de nouveaux marchés, d'où l'augmentation de 46% de la part des fusions transfrontalières, durant les quatre premiers mois à fin avril. D'une autre manière également, les fusions actuelles ressemblent davantage à celles des années 1980 qu'à celles des années 1990. Il s'agit de l'hostilité des acheteurs. Il y a comme un confort écoeurant dans l'ère du point.com, avec seulement 4% des transactions réalisées en 2000 considérées comme hostiles ou non sollicitées. Cette année, ce chiffre s'approche de 20%. L'une des raisons, c'est l'influence croissante des actionnaires, notamment les fonds spéculatifs, dont la patience est limitée. Avec cette nouvelle race de propriétaires-agitateurs, les dirigeants des sociétés ciblées «ne creusent pas des tranchées pour y attendre leur sort», explique Victor Lewkow, un avocat spécialiste des fusions chez Cleary Gottlieb. Les fonds de pension de retraite et les autres actionnaires institutionnels deviennent également plus disposés à lancer des offres pendant qu'ils essaient d'augmenter les profits. Traduction : Mar Bassine Ndiaye The Economist Newspaper Limited, London, 2007.