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L'ETE ET VACANCES SCOLAIRES : Les As de la débroulle
Publié dans La Gazette du Maroc le 23 - 07 - 2007

Quand arrivent les grandes vacances de l'été, certains enfants ont déjà des projets pour en profiter au maximum, en changeant de lieu, partant en voyage avec leurs parents, en colonie de vacances, jouissant des joies de la plage et de liberté, loin des contraintes de la scolarité. D'autres entament un cycle de travail, pour aider les leurs, économiser pour acheter les fournitures scolaires, quelques habits en prévision de la rentrée de septembre. Bref, ce sont là des forçats qui ne baissent pas les bras, se prennent en main, apprennent de quoi est faite la vraie vie, participent à l'économie de la famille et se retroussent les manches pour manger.
Ce n'est pas du tout un phénomène nouveau. Qu'on ne s'y trompe pas, le travail des gosses durant les vacances est un rite qui date de très loin. Pour certaines familles, c'est une façon comme une autre d'éduquer leurs enfants en leur apprenant comment se prendre en main et devenir responsables. Même très tôt, certains parents plient devant les dures conditions de vie et ont besoin de deux autres mains, voire plus encore, pour faire face, arrondir les difficiles fins de mois. Que l'enfant soit privé de vacances, qu'il soit éreinté, épuisé, harassé, esquinté par une année où on leur demande déjà trop, ce n'est pas là un souci à prendre en compte pour certaines familles : «Je ne peux pas me permettre le luxe de penser à cela. Moi, non plus, je n'ai jamais eu de vacances, mes parents me demandaient de travailler. Et j'ai fait plusieurs petits boulots, et j'en suis fier. Vous dites que je répète le même schéma avec mon enfant. Oui, c'est vrai, mais je n'ai vraiment pas le choix. Il faut qu'il apprenne à compter sur lui-même, très tôt. C'est très important. C'est de cette façon que je me suis engagé dans la vie, moi-même, et aujourd'hui, je dis un grand merci à mes parents qui m'ont mis sur la bonne voie, puisque j'ai très vite su ce qu'était la vie, la responsabilité. Aujourd'hui, je suis paré à tout, grâce à ce travail que j'ai fait quand j'avais six ans ». Pour ce père de famille, le travail est une hygiène de vie et un apprentissage. Son fils ne le voit pas de cet œil : «Je sais que j'ai besoin de vendre des croissants dans la rue pour aider mes parents et mes frères et sœurs, mais je veux aussi pouvoir aller à la plage, jouer au foot, profiter de mes vacances. Mais je ne peux pas. Je travaille presque toute la journée.»
Adil est amer. On le comprend. A douze ans, il est scotché à son plateau de croissants faits maison, par les bons soins de sa mère, Zahra, qui, elle n'a pas d'état d'âme : «Il n'est pas le seul à travailler et à vendre des choses dans la rue pour vivre. Il n'y a que les hommes qui triment. Et mon fils sera un homme, un vrai ».
Le métier de la vie
Pourtant Adil est gêné de voir sa mère insister sur la nécessité de son travail. «J'ai deux frères plus âgés que moi et une sœur. Eux, ils sont dans la rue, ils jouent, ils vont à la plage. Ma sœur reçoit ses copines, sort pour faire un tour dans la médina et moi, je sors le matin à huit heures pour vendre mes croissants à Bab Marrakech et quand j'ai fini, je rentre pour déjeuner. Des fois, je déjeune sur place, avec un ou deux croissants et un verre de thé. Et le soir, il m'arrive de rester dans la rue, près de Souk Djayjiya, jusqu'à neuf heures. Je rentre avec mon plateau, je donne l'argent à ma mère, je vais me laver et je regarde un peu la télévision avant d'aller dormir ». Le matin, je remets le plateau sur l'asphalte sous le soleil du Bon Dieu, loin des joies de l'enfance. Adil travaille à raison de dix heures par jour et il n'a pas de salaire. Il est nourri et logé par ses parents. En contrepartie, il doit ramener son pécule chaque soir. Un accord tacite conclu entre lui et les siens qui va encore durer quelques années, jusqu'à ce qu'un jour Adil décide de jeter l'éponge. Ses deux frères ont déjà fait les frais de cette technique familiale de participation tous azimuts, pour décocher un bon direct dans les flancs de la vie. Brahim a dix-neuf ans, et il a dû travailler dans un four public de la médina durant plusieurs étés. Il en garde un mauvais souvenir, qu'il décrit de « merdique ». Il dit aussi qu'il s'est fait avoir par son père, jusqu'au jour où il dit stop, si je travaille, c'est pour ma poire. L'autre frère a dix-sept ans. Lui, a bossé au port avec un voisin qu'il l'a pris sous son aile de poissonnier pendant cinq ans. Chaque vacance, il retroussait ses manches, mettait des sandales en caoutchouc et plongeait dans la sardine. Il a tellement mis le nez dans le poisson, qu'il l'a pris en grippe. Et lui aussi a été affranchi le jour où il s'est révolté devant ce père omnipotent, qui ne parle qu'au nom de la responsabilité.
Chamiya Al Alamiya
Redouane, lui, a choisi son métier estival. C'est la sixième année qu'il met une chaise devant chez lui et une assiette en fonte remplie de farine grillée, mélangée au sucre, qu'il vend sous le nom, ô combien célèbre dans certains milieux, de Chamiya. Sous l'assiette, il a déposé des morceaux de papier coupés en quatre qu'il enroule pour en faire des cornets, où il verse à l'aide d'une cuillère, la quantité de chamiya demandée. Les feuilles coupées en quatre proviennent des cahiers scolaires de l'année. Une manière judicieuse de recycler les fournitures scolaires avant d'en acheter de nouvelles en septembre. «C'est ma soeur qui me prépare la chamiya tous les jours. Ca me plaît beaucoup. Et ce n'est pas un travail, c'est un plaisir. Je passe la journée avec tous mes amis qui viennent me tenir compagnie. On parle, on se raconte des blagues, on joue. Et je ne me sens jamais seul. Je ne gagne pas beaucoup, mais le peu que je mets de côté chaque soir me sert pour acheter des choses. Je vais acheter un ballon et une tenue du Barça.» Redouane est un mordu du foot. Sa star c'est Samuel Eto'o, le Camerounais du club catalan. «Je le préfère à Ronaldinho pour deux raisons : D'abord, tout le monde ne parle que du Brésilien, ensuite parce que Eto'o est plus vif, il marque plus et il m'a l'air plus gentil ». À Aïn Chock où il vit avec ses parents et quatre frères et sœurs, Redouane est le benjamin. Il est drôle, joueur, l'air enjoué d'un gamin qui est heureux chez lui. D'ailleurs, ses parents ne veulent pas qu'ils passent la journée devant son assiette de chamiya, mais ils ont dû accepter parce que « cela lui fait tellement plaisir ». Samedi et dimanche, c'est congé. Pas de chamiya dans la rue. Redouane est de sortie. Il va à la plage avec son frère aîné Si Mohamed, il joue au foot toute la journée, mange des sandwichs faits maison, préparés par cette sœur qui l'aime tant et qui prend soin de son petit frangin : «Redouane, c'est comme un fils pour moi. Je le trouve tellement sensible et gentil que je ne peux rien lui refuser. Je fais attention à lui, je travaille avec lui pour les examens, je lui donne des conseils, et quand il y a un pépin avec mes parents, c'est toujours moi qui règle l'affaire. Lui, de son côté, me fait beaucoup confiance et m'écoute. Non, Redouane est un bon gars». Et Redouane affiche de bons résultats à l'école, arrive parmi les premiers et rêve de partir un jour en Espagne pour serrer la main de son héros d'Eto'o : «ma sœur m' a promis de le faire un jour, et je sais qu'elle va y arriver. Mais j'ai juste peur qu'Eto'o ne soit plus au Barça ou qu'il arrête de jouer au foot».
Entre Adil et Redouane, il y a les forçats de la vie au grand jour, où aucune brise légère ne vient atténuer la canicule ou effacer la douleur, quand le soir on pose une tête sur un oreiller pour fuir dans les limbes du sommeil. Rabia est une fille qui a dix ans. Elle n'est pas ce que l'on peut appeler une bonne élève, mais elle s'accroche, fait l'élastique, et chaque année, elle arrive à sauver les meubles. In extremis, mais elle passe d'un échelon à l'autre. Et quand elle a fini de ramer durant toute une année scolaire, elle doit travailler comme bonne à tout faire chez des familles que sa mère connaît. La mère est aussi femme de ménage, alors elle arrive toujours à se débrouiller une place pour la petite Rabia.
«Là, je travaille à Moulay Driss 1er, chez une grande famille. Je commence à huit heures du matin et je finis à 18heures. La femme me donne 40 dhs par jour pour le ménage, la vaisselle, le linge et le repassage. Une autre femme s'occupe des repas. Je ne sais pas combien elle est payée, mais elle doit bien gagner sa vie. Je vais travailler avec eux durant tout l'été et des fois, ma mère me trouve des petits boulots, toujours chez des gens, même en période scolaire quand j'ai des après-midi libres ou le soir après l'école. C'est toujours ça de gagné.»
Rabia ne se rappelle pas avoir eu une seule journée de vacance. Aujourd'hui à quatorze ans, elle ne pense pas profiter des journées libres comme toutes les filles de son âge qui sortent, se promènent, jouent, écoutent de la musique et se laissent aller à la joie de vivre. «Chacun son lot dans la vie. Moi, je dois aider ma mère qui, elle, a toujours trimé pour nous. Je suis malheureuse, parce que je ne fais rien d'autre que le ménage à longueur de journée, mais bon, c'est mon destin, et je ne peux rien faire pour le changer ».
Bien malin qui mange la sardine
Saïd est, lui, très futé. Il a décroché un boulot au port comme aide vendeur. Il fait de tout. Nettoie, ramasse les ordures, va chercher le thé et le café, vend quelques cigarettes au détail, prépare des sandwichs, et avant midi, il rentre chez lui avec un sachet en plastique noir, rempli de sardines. «Ca y est, j'ai fait ma place ici. C'est ma quatrième année avec Lahbib. C'est un voisin. Un type bien. Je fais tout ici. Et lui il me nourrit dans la journée, me donne des kilos de sardines à ramener à la maison, et m'apprend le métier de pêcheur aussi. L'année prochaine, il sera sur un bateau, il m'a promis de me faire travailler avec lui. » Ce qu'il faut dire, c'est que Saïd est un malin. Il a ce sourire rivé aux lèvres, cet air innocent de celui qui peut couler dans n'importe quelle ambiance, juste par la grâce de sa présence. Toujours disponible, des compliments par-ci et par là pour attendrir ses aînés au port et surtout une énergie tout terrain. Saïd ne rechigne pas à la tâche. Travail, travail et encore travail. Et l'après-midi, c'est près de Labhira qu'il va vendre le reste de poissons que son patron n'a pas pu écouler au port dans la matinée. «J'ai vu d'autres gamins ne pas tenir plus de deux jours ici. Le travail est dur et les hommes sont durs aussi. Mais moi, je suis avec Lahbib, il me protège comme son petit frère. En septembre, je vais reprendre l'école, mais j'ai hâte aussi de pouvoir travailler dans ce bateau avec Lahbib. Mon rêve est de sortir en mer et de travailler comme pêcheur. Les études, c'est juste pour un temps, après j'arrête et je me fais une belle place dans ce port».
Et à voir ce bout de choux parler de ses projets d'avenir, il faut bien se résoudre à l'évidence : ce môme a du coffre, il sait encaisser, il est rusé et il ira loin dans un monde où il a déjà appris plusieurs rouages de ce dur et tortueux métier de poissonnier.
Pour d'autres gosses, ce sont d'autres petits boulots sur la plage. Alors que leurs semblables barbotent dans l'eau, eux, ils sont là à cramer sous le soleil, vendant des beignets chauds, des Kleenex, des sucettes, du Chewing Gum, des figues de Barbarie (El Karmouss El Hindi), des œufs durs, des briouates, des sandwichs de thon… Bref, il suffit d'un tour sur la corniche à Aïn Diab ou sur les plages d'Aïn Sebâa, pour rencontrer toute cette enfance qui se recycle durant les vacances scolaires pour gagner un peu d'argent. Et comme pour toute l'humanité, il y a ceux qui se la coulent douce et ceux qui boivent la tasse. Ceux qui sont sur la crête de la vague, ceux qui naviguent dans le creux.


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