Ils sont guérisseurs, marabouts, cheikhs ou encore guides spirituels. Les uns s'adonnent allégrement à la pratique de la magie, les autres guérissent le cancer par simple crachat dans la bouche quand d'autres se mettent dans la tête de devenir calife à la place du calife. Skhirat, Agadir, Berkane, Salé, Tafraout, les guérisseurs, marabouts, cheikhs ou autres guides spirituels, ont pignon sur rue. A les en croire, ces pseudos «saints» détenteurs d'une baraka se borneraient à mettre leurs dons, au service d'autrui. Pour soulager les âmes meurtries et les corps terrassés par la maladie, ces devins thaumaturges se font un plaisir de recueillir les âmes tourmentées, semant ainsi, selon la demande, la paix mentale ou la guérison physique. On raconte qu'il peut prolonger des mois durant, sans boire ni manger, dans un état de «méditation profonde», un jeûne commandé par l'au-delà. Mieux, il leur suffit d'effleurer une main pour en connaître le contenu des coeurs et de trouver remède au mal. De là à savoir si ce jeûne existe réellement, les adeptes et autres victimes ne se posent pas de question. Un charlatan est toujours un mythomane en puissance. L'ascèse a ses limites. Si des charlatans comme Mekki prennent quand même la précaution de ne pas laisser paraître les signes de richesse subite, d'autres gourous ne cachent même pas leur attrait démesuré pour l'argent, le maître mot de la question. Pour ne retenir que le cas Mekki, largement médiatisé. Selon des sources locales, l'homme a réussi en l'espace de quelques années à se faire une fortune considérable. Vendeurs de pains de sucre et de bouteilles d'eau minérale, indispensables à une guérison programmée, avaient élu domicile à proximité de sa ferme. Douze dirhams à quinze dirhams le pain de sucre, contre dix dans le commerce. Si on fait le calcul élémentaire résultant des 4000 à 8000 visiteurs qui faisaient la queue devant sa porte, on imagine aisément ce que représente cette cagnotte. Comme les pains de sucre se retrouvent dans le même circuit, l'argent récupéré par des membres de la famille du gourou va certainement dans la poche du «guérisseur». Le cas Yassine est également significatif à cet égard, puisque contrairement à ce que l'on croit, Al Adl Wal Ihssane, c'est aussi une question de gros sous. Jusqu'à présent, Yassine se reposait sur un matelas d'argent confortable. La mouvance qui vit une crise existentielle et financière sans précédent, est en risque d'implosion réel. Au centre de cette bataille à couteaux tirés : le patrimoine financier de la Jamaâ. Le patrimoine foncier et l'argent sont éparpillés dans les comptes du Cheikh et de ses proches. L'argent provient essentiellement des cotisations et des dons ( pas toujours volontaires ) par les membres du Mouvement. Même topo pour le patron de la boutchichiya dont les adeptes sont tenus de passer à la caisse en fonction de leurs revenus. Dérive sectaire Une manne dont on ne connaît d'ailleurs jamais ni l'ampleur, ni la destination finale, les comptes des gourous ne faisant pas partie des préoccupations les plus immédiates des inspecteurs de finances. Pourquoi les gourous et autres guérisseurs à la petite semaine sévissent-ils toujours autant ? L'explication est à chercher dans les profondeurs de l'inconscient, mais selon la plupart des psy consultés, «de plus en plus de marocains vivent mal la transition d'une société traditionnelle à un mode de vie à l'occidentale qui n'a pas apporté les miracles escomptés. Beaucoup de ces marocains et marocaines ne conçoivent pas que les progrès de la médecine n'empêchent pas cette science de se déclarer impuissante à guérir bien des maux. Ce qui les rend sensibles aux discours et aux promesses de miracles». Car il faut reconnaître que les charlatans et autres faux guides spirituels, sont souvent de grands psychologues. La plupart des rescapés de mouvements comme Al Adl Wal Ihsane ou encore des anciens de la boutchichiya, reconnaissent avoir eu du mal à sortir de l'emprise du «cheikh» , de ce besoin de se soumettre à un maître reconnu comme «Grand» comme détenteur de «la Vérité absolue». «Au début, je me sentais valorisé par la relation qui me liait au cheikh. Je me sentais même puissant et je voulais conserver à tout prix ce lien privilégié. Tout ce que le leader exigeait de nous, on était prêt à le faire» rappelle un cadre Casablancais qui a récemment quitté la boutchichiya. « Quand on posait des questions embarrassantes, la réponse était toujours la même», «les initiés sont à l'intérieur du groupe et les non initiés dans le monde extérieur, chez les non élus. Ceux qui doutent, doivent être exclus et je fais partie de ceux-là, puisqu'on m'a signifié mon congé ». Pour désamorcer tout soupçon de dérive sectaire, la plupart des boutchichis comme les adlistes, avancent l'argument que les adeptes choisissent eux-mêmes de partir quand ils veulent. Comme personne ne leur a demandé d'adhérer au groupe. Mais l'argument massue, c'est que les fidèles sont sensibles aux pouvoirs occultes du patron du mouvement, à ses dons, ses prodiges reconnus par tous. Quant aux prodiges pieusement consignés par la garde rapprochée, les disciples n'en ont pas vu grand chose. «En cinq ans de vie commune avec les frères, je n'ai jamais constaté un seul miracle ou une seule manifestation extralucide, liés au cheikh. Par contre, j'entends souvent parler autour de moi de compagnons qui avancent avoir vu Yassine en songe et avoir reçu de lui des recommandations. Apparemment, les femmes sont plus l'objet de ces manifestations que les hommes”, rapporte un ex-adliste. De fait, pour Yassine comme pour bon nombre de gourous, les adeptes et surtout la garde rapprochée du cheikh, se plaisent à enjoliver ces histoires où le rêve se mêle à la réalité, où le songe sert souvent de canal de communication. Ce qui ajoute du piment à toutes ces histoires, c'est la fréquentation assidue de grosses pointures politiques que l'on sait d'ailleurs friandes de marabouts. Pour se protéger,le gourou a besoin d'un ennemi extérieur permanent, en clair la menace la plus forte à l'équilibre de la mouvance provient de l'extérieur. Pour Yassine et ses affidés, le makhzen représente la figure idéale de l'ennemi extérieur.