Le prince Walid ben Khaled ben Talal Al Saoud a quitté ce monde une seconde fois, vingt ans après l'avoir quitté une première sans vraiment partir. Ce samedi 19 juillet 2025, le cœur d'un homme figé dans le silence depuis deux décennies s'est enfin tu. À 35 ans, Walid s'est éteint comme une flamme qu'on croyait déjà soufflée, mais qui persistait, vacillante, dans le creux du mystère. Il n'avait ni parlé, ni bougé, ni vécu comme vous et moi. Mais il avait été aimé comme peu le sont. Vingt ans plus tôt, en avril 2005, il n'était encore qu'un adolescent, 15 ans à peine, élève studieux dans une académie militaire de Londres. L'avenir s'ouvrait devant lui comme une mer tranquille, et son sang, bleu et ardent, portait en lui l'écho des ancêtres et la promesse des lendemains. Puis, soudain, l'éclair. Une voiture dérape. Le choc. Le temps se brise. La trajectoire d'une vie entière chavire dans une seconde de trop. L'accident est brutal, l'hémorragie cérébrale, implacable. Le verdict médical tombe, sec et froid : coma profond. Etat végétatif. Dès lors, Walid entre dans un sommeil dont il ne sortira plus jamais. Branché aux machines, il respire, mais ne vit plus. Le corps résiste, soutenu par l'artifice, mais l'âme semble suspendue, quelque part entre deux mondes, ni tout à fait ici, ni tout à fait ailleurs. La médecine, dans son impuissance majestueuse, réussit l'exploit étrange de contenir la mort sans redonner la vie. Et pourtant, ce silence devient présence. Ce corps immobile devient symbole. Walid, dans son lit d'hôpital, devient ce qu'aucun prince ne fut avant lui : le plus célèbre des absents. On l'appellera « le prince dormant ». Titre cruel, presque féerique, mais qui dit bien la douleur et la foi mêlées. Vingt ans durant, sa famille a veillé, prié, espéré, envers et contre tout. Le coma ne faisait pas de bruit, mais il occupait l'espace comme une prière suspendue. On murmurait qu'un jour peut-être... un battement de cil, une lueur dans le regard... Mais le miracle ne vint jamais. LIRE AUSSI : Des chercheurs français réalisent de nouvelles avancées contre l'Alzheimer Aujourd'hui, le rideau tombe sur cette longue veille. Le souffle artificiel s'est tu. Le cœur, si longtemps fidèle à l'espoir, a choisi de partir. Walid n'aura vécu qu'un tiers de vie, mais il aura habité les cœurs bien au-delà de sa chair. Et dans le silence qu'il laisse, il y a plus de mots que dans bien des existences parlées. L'amour d'un père, l'acharnement du cœur Mais il y a eu un père, un homme qui n'a jamais cédé. Le prince Khaled ben Talal n'a pas abandonné, il n'a pas permis qu'on débranche. Il n'a pas laissé mourir ce souffle fragile, même s'il venait d'une machine. Car pour lui, chaque respiration de son fils était un acte d'amour, un serment silencieux qu'il refusait de trahir. Durant vingt ans, il a transformé cette chambre d'hôpital en sanctuaire. Non pas un lieu de résignation, mais de présence. Il a parlé à Walid comme on parle à un vivant, avec la certitude têtue de celui qui croit plus fort que le monde entier. Il lui a tenu la main, il a guetté les moindres frémissements d'un doigt, le plus léger clignement d'un œil, ces signes presque imperceptibles que d'autres auraient balayés comme des réflexes sans âme. Pas lui. Lui, il y voyait des miracles. Et il partageait ces instants. Il les filmait, les offrait au monde comme on dépose une chandelle dans l'obscurité. Ces vidéos, ces fragments de vie, nourrissaient l'espérance de tout un peuple. Elles disaient : il est là. Le prince Khaled, son père, a fait de cette veille un acte de foi. Il a refusé l'issue que la raison proposait. Et ce refus était une révolte. Mais une révolte sacrée, non pas contre Dieu, mais avec Dieu. Il a vu, dans chaque frémissement du doigt de son fils, une trace de présence, une résistance à l'effacement. Là où le regard médical ne voyait que spasme, le regard paternel voyait miracle. Dans ce combat, la médecine s'est effacée. Ce n'était plus affaire de science. C'était un autre langage, plus ancien, plus vaste : celui de la foi. « Allah seul donne et reprend la vie. Mon fils respire. Il est là. » Ainsi parlait le prince Khaled, sur les écrans saoudiens, en 2019. Une déclaration simple, mais qui portait le poids d'un amour inébranlable, d'une conviction sans fissure. Et alors, un pays entier s'est mis à croire avec lui. En Arabie saoudite, on appelait Walid avec tendresse al-Amir al-Na'im, « le prince dormant ». Il était devenu plus qu'un nom. Plus qu'un destin figé. Il était une légende vivante, un conte vrai que les mères murmuraient aux enfants, une prière qui traversait les années. Il ne bougeait pas, mais il habitait les cœurs, il ne parlait pas pourtant il inspirait. Un dernier souffle, dans le silence Et puis, le 19 juillet 2025, les machines se sont tues. Comme un orchestre qui s'arrête d'un coup, sans fracas, juste un souffle suspendu. Le cœur du prince Walid, ce cœur vaillant qui tenait encore par-delà toute logique, s'est enfin rendu. Il avait 35 ans. Vingt années d'un sommeil sans rêves. Vingt années d'une présence sans paroles. Vingt années à exister dans les marges du monde, comme un murmure, comme une veille. La nouvelle est tombée sur Riyad comme une rosée noire. Le prince Khaled, son père, a posté un simple message : « Inna lillahi wa inna ilayhi raji'un. Mon fils Walid est revenu à Dieu.» Aucune plainte. Aucune longue phrase. Juste la vérité nue, tendue comme un fil entre résignation et foi. Comme une page qu'on referme lentement, du bout des doigts, de peur qu'elle ne s'efface trop vite. Le lendemain, Riyad s'est arrêtée. Devant la Grande Mosquée Imam Turki bin Abdullah, des centaines d'âmes se sont rassemblées. Anonymes silencieux, dignitaires au regard bas, membres de la famille royale. Aucun faste. Pas de discours. Pas de caméras intrusives. Seulement des larmes. Des prières. Des silences plus lourds que des hommages. L'émotion planait, palpable comme une brume. Quelque chose s'est arrêté dans Riyad ce jour-là. Et quelque chose, aussi, s'est transmis. Un souffle, une mémoire, une foi. Le prince Walid n'aura été ni roi, ni soldat, ni diplomate. Il n'aura jamais marché dans les couloirs du pouvoir, ni prononcé un discours d'Etat. Mais il aura été une flamme, une énigme vivante, un rappel, chaque jour, que l'amour d'un père peut défier les lois du temps et que la vie, parfois, ne tient pas à la conscience mais à la fidélité. Le prince dormant est parti. Mais il ne s'est pas éteint, il a rejoint le silence des légendes. Le prince qui vécut sans vivre Ce jeune homme devenu figure. Cette figure devenue mythe. Ce mythe devenu question. Ainsi s'est éteint Walid, sans jamais vraiment s'être éveillé. Et ce qui aurait pu n'être qu'un fait divers tragique est devenu, au fil des ans, une méditation collective sur l'attente, l'espérance, et le refus de l'oubli. Il est devenu ce que l'on pourrait appeler une présence en creux, un être dont la valeur n'était plus dans l'action, mais dans la résonance qu'il provoquait chez ceux qui continuaient à le regarder, à y croire, à l'aimer. Son histoire ne fut pas celle d'un miracle, ni celle d'une guérison. C'était autre chose. Quelque chose de plus lent, de plus grave, de plus vrai. C'était une question posée pendant vingt ans. Une question qui, aujourd'hui encore, nous reste dans la gorge comme une prière inachevée : Qu'est-ce qu'une vie ? Le prince est mort, mais pas l'énigme Aujourd'hui, le prince dormant repose enfin. La boucle est bouclée. Le corps rendu à la terre. Le silence rendu à lui-même. Et pourtant, ce n'est pas une fin. C'est une transmutation. Son histoire quitte désormais les chroniques du présent pour entrer dans ce que l'on pourrait appeler le trésor tragique de l'humanité, ces récits rares où la douleur devient connaissance, et le mystère, héritage. Le prince Walid n'aura pas été roi, ni soldat, ni diplomate. Il aura été le rappel, constant, que l'amour filial peut traverser les murs du réel. Que parfois, la vie continue dans un souffle artificiel, mais portée par une chaleur authentique. Il aura incarné la persévérance d'un père, la ferveur d'un peuple, et l'étrange pouvoir qu'ont les absents de nous rassembler. Il dort à présent pour de bon. Mais peut-on vraiment parler de mort, pour celui qui n'a jamais pleinement vécu, ni quitté ce monde ? Le « prince dormant » est parti, mais il ne s'est pas éteint. Il est devenu légende. L'histoire du prince Walid ben Khaled ben Talal n'est pas seulement celle d'un jeune homme royalement né, accidentellement brisé, médicalement maintenu en vie, puis finalement rendu à la mort. Elle est aussi, surtout, un prisme à travers lequel se laisse entrevoir notre inconfort le plus profond : celui d'une humanité confrontée à ses propres limites – biologiques, morales, métaphysiques. Le coma n'est ni la vie, ni la mort. Il est une zone grise, un entre-deux où l'être est là sans être là. Ce non-lieu échappe à nos catégories. Et dans cette fuite, il nous dérange. Car il démasque ce que la pensée contemporaine cherche à refouler : l'ambiguïté irréductible de notre condition. La modernité, avec ses prouesses technologiques, a permis au corps du prince de survivre. Mais cette survie est-elle encore « vie » ? Car la médecine ne maintient pas l'âme, elle prolonge l'organisme. Le souffle devient mécanique, le cœur obéit à l'électricité. Le corps devient machine, mais reste mystérieusement habité. Par quoi ? Par qui ? Cela, nul ne le sait. Ainsi, le prince dormant est aussi le prince du paradoxe moderne : nous savons comment faire battre un cœur, mais nous ne savons plus ce qui fait qu'un homme est un homme. La résilience d'un père : foi ou obstination ? Face à cela, le père, Khaled ben Talal, incarne l'autre versant de l'humain : le refus du renoncement. Pendant vingt ans, il a tenu bon. Il a veillé. Il a cru. Croire contre les faits. Croire contre les diagnostics. Croire que l'amour pouvait, à lui seul, tenir en éveil une flamme vacillante. On pourrait y voir un aveuglement. On pourrait, aussi, y voir l'acte d'amour le plus pur : aimer un être même lorsque cet être ne vous répond plus. Il n'y a pas de conclusion simple à tirer. Pas de morale à asséner. Seulement cette sensation étrange qu'un homme, sans dire un mot, a parlé pour nous tous. Dans un monde pressé, il nous a invités à patienter. Dans une époque saturée de bruit, il nous a imposé le silence. Dans une société qui chiffre et classe, il nous a ramenés à la tendresse nue, à la fidélité sans logique. Et dans son sommeil, le prince Walid nous a rappelé ce que nous oublions trop souvent : l'essentiel.