Défense : L'Inde livre les premiers blindés WhAP 8×8 produits à Berrechid pour les FAR    EUWEN TEXTILES : 2,3 MMDH à Fès et Skhirate pour une chaîne textile intégrée    Le Burundi s'attaque à la corruption    Palestine : Poursuites des attaques israéliennes    USA-UE : Washington sanctionne des personnalités européens    Gymnastique : Marrakech accueille l'Assemblée générale de la Fédération Royale Marocaine et trace une nouvelle feuille de route pour le développement de la discipline    (CAN 2025 / Retransmission TV) De la description à l'incitation : Quand le commentaire sportif perd sa neutralité    Essaouira: Une destination Nikel pour passer des vacances magiques !    Fortes pluies, chutes de neige et temps froid, de mercredi à samedi, dans plusieurs provinces du Royaume (Bulletin d'alerte)    Ali Mhadi, nommé nouveau chef de la police judiciaire à El Jadida    Sidi Bennour: Visites de terrain du directeur provincial de l'éducation pour prioriser la réhabilitation d'écoles    Essaouira. « Jazz sous l'arganier » revient pour une 9ème édition    La vigilance « grand froid » déclenchée en France    Russie : 7 Marocains condamnés pour tentative de migration vers la Finlande    Etats-Unis : la Cour suprême bloque le déploiement de la Garde nationale à Chicago    La Chambre des conseillers adopte à l'unanimité la loi réorganisant le Conseil national de la presse    Le secteur des assurances continue d'afficher des fondamentaux solides (CCSRS)    Investissement touristique : 2025, l'année du tournant stratégique    Coupe d'Afrique des Nations Maroc-2025 : Agenda du mercredi 24 décembre 2025    La CAN 2025 à l'épreuve du marché noir de la billetterie    Zakia Driouich : les marchés de gros de poissons ont renforcé la concurrence et freiné la spéculation    Cœurs en dialogue, Espoirs en partage : Des journalistes africains décryptent les relations sino-africaines et l'Année des échanges humains et culturels Chine-Afrique 2026    Moroccan judiciary institutions join national portal for access to information    Températures prévues pour jeudi 25 décembre 2025    Double consécration en France pour le neurobiologiste marocain Aziz Moqrich    Descubren nueva especie de araña mariquita en Marruecos llamada Eresus rubrocephalus    Protection de l'enfance : Le Maroc accélère la réforme avec le projet de loi n° 29.24    Système électoral : vers un renforcement de la représentation des jeunes, des personnes en situation de handicap et des MRE    RedOne: Je porte le Maroc dans mon cœur, partout où je vais    La Ville de Salé inaugure son musée des instruments de musique    CAN 2025 : Un grand Mahrez permet à l'Algérie de s'imposer face au Soudan    Fiorentina : Amir Richardson place l'OGC Nice au sommet de ses choix    Tanger-Tétouan-Al Hoceima: les retenues des barrages dépassent 1 milliard de m3    L'or franchit pour la première fois le seuil des 4.500 dollars l'once    Palestiniens et amérindiens : Comparer, oui, mais pas n'importe comment    Zelensky : Kiev s'attend à une réponse mercredi de la Russie sur le plan américain    Réduction de la pauvreté à la chinoise par les industries vertes : expériences et inspirations globales    Vie privée et liberté d'expression : Ouahbi reconnaît une faille législative du gouvernement    Réforme de la profession d'avocat : Ouahbi se heurte à nouveau au refus des barreaux    Province de Midelt: Un hôpital militaire de campagne à Tounfite au profit des populations affectées par le froid    Maroc-Japon: signature d'un Échange de Notes et d'un Accord de don supplémentaire pour le port de Souiria K'dima    Lesieur Cristal : Inauguration d'une centrale photovoltaïque en autoconsommation à Aïn Harrouda    CAN 2025 : le Burkina Faso arrache une victoire renversante face à la Guinée équatoriale    Revitaliser la culture populaire à travers les trains : la Chine lance une expérience hivernale innovante    Interview avec Dr Guila Clara Kessous : « L'inscription du caftan marocain à l'UNESCO est un moment de justice culturelle »    Cinéma : les projets retenus à l'avance sur recettes (3e session 2025)    Au MACAAL, Abdelkébir Rabi' explore l'infini du geste intérieur    Jazz under the Argan Tree returns from December 27 to 29 in Essaouira    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Ni vie, ni mort : L'entre-deux du prince dormant
Publié dans Maroc Diplomatique le 22 - 07 - 2025

Le prince Walid ben Khaled ben Talal Al Saoud a quitté ce monde une seconde fois, vingt ans après l'avoir quitté une première sans vraiment partir. Ce samedi 19 juillet 2025, le cœur d'un homme figé dans le silence depuis deux décennies s'est enfin tu. À 35 ans, Walid s'est éteint comme une flamme qu'on croyait déjà soufflée, mais qui persistait, vacillante, dans le creux du mystère. Il n'avait ni parlé, ni bougé, ni vécu comme vous et moi. Mais il avait été aimé comme peu le sont.
Vingt ans plus tôt, en avril 2005, il n'était encore qu'un adolescent, 15 ans à peine, élève studieux dans une académie militaire de Londres. L'avenir s'ouvrait devant lui comme une mer tranquille, et son sang, bleu et ardent, portait en lui l'écho des ancêtres et la promesse des lendemains. Puis, soudain, l'éclair. Une voiture dérape. Le choc. Le temps se brise. La trajectoire d'une vie entière chavire dans une seconde de trop. L'accident est brutal, l'hémorragie cérébrale, implacable. Le verdict médical tombe, sec et froid : coma profond. Etat végétatif.
Dès lors, Walid entre dans un sommeil dont il ne sortira plus jamais. Branché aux machines, il respire, mais ne vit plus. Le corps résiste, soutenu par l'artifice, mais l'âme semble suspendue, quelque part entre deux mondes, ni tout à fait ici, ni tout à fait ailleurs. La médecine, dans son impuissance majestueuse, réussit l'exploit étrange de contenir la mort sans redonner la vie. Et pourtant, ce silence devient présence. Ce corps immobile devient symbole. Walid, dans son lit d'hôpital, devient ce qu'aucun prince ne fut avant lui : le plus célèbre des absents.
On l'appellera « le prince dormant ». Titre cruel, presque féerique, mais qui dit bien la douleur et la foi mêlées. Vingt ans durant, sa famille a veillé, prié, espéré, envers et contre tout. Le coma ne faisait pas de bruit, mais il occupait l'espace comme une prière suspendue. On murmurait qu'un jour peut-être... un battement de cil, une lueur dans le regard... Mais le miracle ne vint jamais.
LIRE AUSSI : Des chercheurs français réalisent de nouvelles avancées contre l'Alzheimer
Aujourd'hui, le rideau tombe sur cette longue veille. Le souffle artificiel s'est tu. Le cœur, si longtemps fidèle à l'espoir, a choisi de partir. Walid n'aura vécu qu'un tiers de vie, mais il aura habité les cœurs bien au-delà de sa chair. Et dans le silence qu'il laisse, il y a plus de mots que dans bien des existences parlées.
L'amour d'un père, l'acharnement du cœur
Mais il y a eu un père, un homme qui n'a jamais cédé. Le prince Khaled ben Talal n'a pas abandonné, il n'a pas permis qu'on débranche. Il n'a pas laissé mourir ce souffle fragile, même s'il venait d'une machine. Car pour lui, chaque respiration de son fils était un acte d'amour, un serment silencieux qu'il refusait de trahir.
Durant vingt ans, il a transformé cette chambre d'hôpital en sanctuaire. Non pas un lieu de résignation, mais de présence. Il a parlé à Walid comme on parle à un vivant, avec la certitude têtue de celui qui croit plus fort que le monde entier. Il lui a tenu la main, il a guetté les moindres frémissements d'un doigt, le plus léger clignement d'un œil, ces signes presque imperceptibles que d'autres auraient balayés comme des réflexes sans âme. Pas lui. Lui, il y voyait des miracles. Et il partageait ces instants. Il les filmait, les offrait au monde comme on dépose une chandelle dans l'obscurité. Ces vidéos, ces fragments de vie, nourrissaient l'espérance de tout un peuple. Elles disaient : il est là.
Le prince Khaled, son père, a fait de cette veille un acte de foi. Il a refusé l'issue que la raison proposait. Et ce refus était une révolte. Mais une révolte sacrée, non pas contre Dieu, mais avec Dieu. Il a vu, dans chaque frémissement du doigt de son fils, une trace de présence, une résistance à l'effacement. Là où le regard médical ne voyait que spasme, le regard paternel voyait miracle.
Dans ce combat, la médecine s'est effacée. Ce n'était plus affaire de science. C'était un autre langage, plus ancien, plus vaste : celui de la foi. « Allah seul donne et reprend la vie. Mon fils respire. Il est là. » Ainsi parlait le prince Khaled, sur les écrans saoudiens, en 2019. Une déclaration simple, mais qui portait le poids d'un amour inébranlable, d'une conviction sans fissure. Et alors, un pays entier s'est mis à croire avec lui.
En Arabie saoudite, on appelait Walid avec tendresse al-Amir al-Na'im, « le prince dormant ». Il était devenu plus qu'un nom. Plus qu'un destin figé. Il était une légende vivante, un conte vrai que les mères murmuraient aux enfants, une prière qui traversait les années. Il ne bougeait pas, mais il habitait les cœurs, il ne parlait pas pourtant il inspirait.
Un dernier souffle, dans le silence
Et puis, le 19 juillet 2025, les machines se sont tues. Comme un orchestre qui s'arrête d'un coup, sans fracas, juste un souffle suspendu. Le cœur du prince Walid, ce cœur vaillant qui tenait encore par-delà toute logique, s'est enfin rendu. Il avait 35 ans. Vingt années d'un sommeil sans rêves. Vingt années d'une présence sans paroles. Vingt années à exister dans les marges du monde, comme un murmure, comme une veille.
La nouvelle est tombée sur Riyad comme une rosée noire. Le prince Khaled, son père, a posté un simple message : « Inna lillahi wa inna ilayhi raji'un. Mon fils Walid est revenu à Dieu.» Aucune plainte. Aucune longue phrase. Juste la vérité nue, tendue comme un fil entre résignation et foi. Comme une page qu'on referme lentement, du bout des doigts, de peur qu'elle ne s'efface trop vite.
Le lendemain, Riyad s'est arrêtée. Devant la Grande Mosquée Imam Turki bin Abdullah, des centaines d'âmes se sont rassemblées. Anonymes silencieux, dignitaires au regard bas, membres de la famille royale. Aucun faste. Pas de discours. Pas de caméras intrusives. Seulement des larmes. Des prières. Des silences plus lourds que des hommages. L'émotion planait, palpable comme une brume. Quelque chose s'est arrêté dans Riyad ce jour-là. Et quelque chose, aussi, s'est transmis. Un souffle, une mémoire, une foi.
Le prince Walid n'aura été ni roi, ni soldat, ni diplomate. Il n'aura jamais marché dans les couloirs du pouvoir, ni prononcé un discours d'Etat. Mais il aura été une flamme, une énigme vivante, un rappel, chaque jour, que l'amour d'un père peut défier les lois du temps et que la vie, parfois, ne tient pas à la conscience mais à la fidélité. Le prince dormant est parti. Mais il ne s'est pas éteint, il a rejoint le silence des légendes.
Le prince qui vécut sans vivre
Ce jeune homme devenu figure. Cette figure devenue mythe. Ce mythe devenu question. Ainsi s'est éteint Walid, sans jamais vraiment s'être éveillé. Et ce qui aurait pu n'être qu'un fait divers tragique est devenu, au fil des ans, une méditation collective sur l'attente, l'espérance, et le refus de l'oubli.
Il est devenu ce que l'on pourrait appeler une présence en creux, un être dont la valeur n'était plus dans l'action, mais dans la résonance qu'il provoquait chez ceux qui continuaient à le regarder, à y croire, à l'aimer. Son histoire ne fut pas celle d'un miracle, ni celle d'une guérison. C'était autre chose. Quelque chose de plus lent, de plus grave, de plus vrai. C'était une question posée pendant vingt ans. Une question qui, aujourd'hui encore, nous reste dans la gorge comme une prière inachevée : Qu'est-ce qu'une vie ?
Le prince est mort, mais pas l'énigme
Aujourd'hui, le prince dormant repose enfin. La boucle est bouclée. Le corps rendu à la terre. Le silence rendu à lui-même. Et pourtant, ce n'est pas une fin. C'est une transmutation. Son histoire quitte désormais les chroniques du présent pour entrer dans ce que l'on pourrait appeler le trésor tragique de l'humanité, ces récits rares où la douleur devient connaissance, et le mystère, héritage.
Le prince Walid n'aura pas été roi, ni soldat, ni diplomate. Il aura été le rappel, constant, que l'amour filial peut traverser les murs du réel. Que parfois, la vie continue dans un souffle artificiel, mais portée par une chaleur authentique. Il aura incarné la persévérance d'un père, la ferveur d'un peuple, et l'étrange pouvoir qu'ont les absents de nous rassembler. Il dort à présent pour de bon. Mais peut-on vraiment parler de mort, pour celui qui n'a jamais pleinement vécu, ni quitté ce monde ? Le « prince dormant » est parti, mais il ne s'est pas éteint. Il est devenu légende.
L'histoire du prince Walid ben Khaled ben Talal n'est pas seulement celle d'un jeune homme royalement né, accidentellement brisé, médicalement maintenu en vie, puis finalement rendu à la mort. Elle est aussi, surtout, un prisme à travers lequel se laisse entrevoir notre inconfort le plus profond : celui d'une humanité confrontée à ses propres limites – biologiques, morales, métaphysiques. Le coma n'est ni la vie, ni la mort. Il est une zone grise, un entre-deux où l'être est là sans être là. Ce non-lieu échappe à nos catégories. Et dans cette fuite, il nous dérange. Car il démasque ce que la pensée contemporaine cherche à refouler : l'ambiguïté irréductible de notre condition.
La modernité, avec ses prouesses technologiques, a permis au corps du prince de survivre. Mais cette survie est-elle encore « vie » ? Car la médecine ne maintient pas l'âme, elle prolonge l'organisme. Le souffle devient mécanique, le cœur obéit à l'électricité. Le corps devient machine, mais reste mystérieusement habité. Par quoi ? Par qui ? Cela, nul ne le sait. Ainsi, le prince dormant est aussi le prince du paradoxe moderne : nous savons comment faire battre un cœur, mais nous ne savons plus ce qui fait qu'un homme est un homme.
La résilience d'un père : foi ou obstination ?
Face à cela, le père, Khaled ben Talal, incarne l'autre versant de l'humain : le refus du renoncement. Pendant vingt ans, il a tenu bon. Il a veillé. Il a cru. Croire contre les faits. Croire contre les diagnostics. Croire que l'amour pouvait, à lui seul, tenir en éveil une flamme vacillante. On pourrait y voir un aveuglement. On pourrait, aussi, y voir l'acte d'amour le plus pur : aimer un être même lorsque cet être ne vous répond plus.
Il n'y a pas de conclusion simple à tirer. Pas de morale à asséner. Seulement cette sensation étrange qu'un homme, sans dire un mot, a parlé pour nous tous. Dans un monde pressé, il nous a invités à patienter. Dans une époque saturée de bruit, il nous a imposé le silence. Dans une société qui chiffre et classe, il nous a ramenés à la tendresse nue, à la fidélité sans logique. Et dans son sommeil, le prince Walid nous a rappelé ce que nous oublions trop souvent : l'essentiel.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.