Richard Laberrière, rédacteur en chef à RFI Dans l'entretien accordé à La Gazette du Maroc, Richard Laberrière analyse les attentats terroristes à Casablanca et l'idéologie des mouvements intégristes. La Gazette du Maroc : quelle est votre analyse des dernières attaques terroristes qui ont ensanglanté Casablanca et endeuillé le Maroc ? Richard Laberrière : tout d'abord et contrairement à ce qui s'était passé quelque temps auparavant à Riyad, je trouve et je le dis par obligation formelle et par amitié pour le peuple marocain, que les autorités marocaines ont eu l'intelligence de ne pas accuser systématiquement Al Qaïda et la mouvance Ben Laden. Ils ont d'abord voulu rassembler les premiers éléments d'enquête avant de s'exprimer pour reconnaître les auteurs de ces attentats terribles qui ont traumatisé légitimement la société marocaine. Une société ouverte et tolérante et qui n'a jamais connu ce genre de phénomène contrairement au voisin algérien. Donc, les autorités marocaines ont reconnu les facteurs endogènes locaux à savoir que ces attentats ont été commis par des nationaux. Bien sûr ces nationaux étaient rentrés par un pays étranger, avaient eu visiblement, selon les éléments d'enquête, des contacts avec des centres d'entraînement opérationnels à l'étranger. Peut-être tout cela nous ramène au sanctuaire principal afghano-pakistanais mais là, ce sera l'objet d'une enquête qui montrera que dans la période de l'après-guerre en Irak, beaucoup de mouvements islamistes radicaux n'ont pas besoin de recevoir des ordres d'Al Qaïda fantomatique qui commanditerait des actions dans le monde entier. Mais localement, il y a des frustrations qui s'expriment après le retour de ce néocolonialisme en Irak et surtout au vu du soutien inconditionnel que l'administration Bush apporte à Ariel Sharon qui vient de déchirer en mille morceaux la “feuille de route” et continue de coloniser et d'annexer des territoires palestiniens. Je crois que les deux facteurs importants n'excusent pas mais expliquent un peu que la politique de l'administration Bush pousse vers un conflit de civilisations. C'est leur dernière intervention en Irak et leur volonté de mettre ce pays sous coupe réglée et leur gestion lamentable du conflit israélo-palestinien qui corrobore cette thèse. Je reviens au discours du Président Chirac à Oran prononcé le 3 mars dernier expliquant la position de la France qui était contre cette guerre non avalisée par les Nations Unies en disant que cette guerre ne ferait qu'accroître le conflit des civilisations. C'est ce à quoi l'on assiste aujourd'hui et je rattache les derniers attentats qui ont frappé Casablanca. Certains analystes et experts voient dans la simultanéité des attentats qui ont frappé Casablanca la griffe d'Al Qaïda. Qu'en pensez-vous ? C'est assez inévitable. Ce qu'on sait c'est qu'Al Qaïda est d'abord un terme qui sert à désigner ce qu'on appelle la base. Ce n'est pas le nom d'une organisation pyramidale qui serait une Internationale terroriste, organisée dans le monde entier ou l'orchestre vert au même titre que l'était l'orchestre rouge de l'Internationale communiste. Al Qaïda est un terme qui a été popularisé après le 11 septembre 2001 par les services britanniques pour d'une manière pratique et générique, désigner des mouvements transnationaux d'obédience salafiste et fortement inspirés et financés par les Oulémas wahabites. Et tout cela nous renvoie principalement à l'Arabie Saoudite. Il y a une continuité idéologique, parfois opérationnelle, dans la mesure où il faut se rappeler qu'entre 1979 et 1989, durant toute la décennie de la guerre contre l'armée soviétique en Afghanistan, on a estimé les volontaires du monde arabo-musulman dans les rangs de la résistance afghane, entre 15.000 à 20.000. En 1989, après le retrait de l'armée soviétique, nombre d'entre eux sont restés aux côtés des Talibans. D'autres sont rentrés dans leurs pays. C'est comme cela que l'on retrouve ces fameux Afghans arabes à la base de l'encadrement des membres de la Jamaâ islamia en Egypte, du GIA en Algérie et d'autres sanctuaires au Yémen et en Asie du Sud Est. Il y a eu une espèce d'éclatement de ces Afghans arabes qui auront été formés militairement et idéologiquement à cette doctrine wahabiste qui entretient une parenté entre les différents groupes qui, aujourd'hui, semblent plus se développer d'une manière autonome en fonction de contextes locaux plutôt que d'obéir à un commandement central. Ces différents attentats ont bien sûr un fond idéologique commun, mais me semble-t-il, ne répondent pas à une centralité, une organisation commune qu'on appelle Al Qaïda. Cela apparaît comme une approche proprement idéologique qui vise à justifier la guerre sans fin, la guerre du terrorisme de Bush, de ses faucons et de ses va-t-en guerre et qui consiste à dire qu'Al Qaïda est partout, donc on doit installer des bases américaines partout. Ils ont commencé à le faire en Irak. Ils le font maintenant avec leurs amis israéliens en Mer rouge et dans la corne de l'Afrique. Ils l'ont fait en Asie du Sud Est. On assiste à un grand redéploiement géopolitique et stratégique dans l'ensemble de l'Asie centrale sinon du monde entier. Je pense qu'une attribution trop hâtive de ces attentats à une espèce d'Al Qaïda fantomatique et centralisée est un discours proprement idéologique. La question à laquelle on revient fréquemment dans la presse occidentale mais également dans la presse maghrébine et arabe, c'est de savoir si Ben Laden est vivant ou mort. Pour ma part, je pense qu'il est mort d'une mort naturelle. Mais qu'il soit mort ou vivant n'est plus la question. La question est que Ben Laden est devenu une espèce de référence un peu emblématique comme Che Guevara a pu l'être à un moment donné dans les années soixante pour l'ensemble des mouvements de libération du monde entier. Aujourd'hui, on assiste à une espèce d'imitation de Ben Laden et d'Al Qaïda et de revendications mimétiques de l'idéologie affirmée par Al Qaïda et par la mouvance Ben Laden. N'y a-t-il pas un lien entre le groupe terroriste de Casablanca et le terrorisme international d'autant que vous avez évoqué un pays tiers ? Je récuse la thèse de l'internationale terroriste. Les enquêteurs marocains le diront. Toutefois, il est clair que les auteurs des attentats de Casablanca avaient des relations hors du Maroc. Je dis avec un pays étranger et je pense que cela nous ramène au sanctuaire afghano-pakistanais, principalement à la métropole de Karachi. Il faut rappeler que depuis le 11 septembre 2001, presque tous les attentats et actes terroristes qui ont eu lieu, que ce soit Richard Reid et ses chaussures explosives, que ce soit l'attentat contre la synagogue de Djerba ou les différents attentats anti-occidentaux à Karachi ou autres, se nouent par des relations téléphoniques, des relations humaines, militaires ou idéologiques. Et nous ramène souvent à des Medrassa ou écoles coraniques, à des partis islamistes radicaux pakistanais basés dans la zone portuaire incontrôlée et incontrôlable qu'est Karachi. Qu'en est-il de ces mouvements au Maroc ? Je ne peux pas spéculer sur des éléments d'enquête, mais comme je suis un ami de votre pays et que je m'y rends souvent, il est certain qu'avant même les dernières élections législatives, nous avons bien senti ce que l'islamologue Gilles Kepel appelle :” une réislamisation par le bas”. C'est-à-dire une omniprésence des frères musulmans sur le terrain social, sinon sur le terrain de l'éducation. On l'a vu dans la façon dont les formations islamistes se sont profilées aux dernières élections avec une volonté de gérer la situation très différemment de ce qui avait été fait avec le FIS en Algérie. C'est-à-dire de ne pas viser un succès électoral ou la conquête de l'appareil de l'Etat à court terme mais de viser au contraire le long terme par une islamisation par le bas, plus sociologique, sur la question de la femme, sur les interdits de la vie quotidienne et sur un cadrage et un quadrillage de la société évidemment dans les classes et les quartiers défavorisés. C'est ce qui me paraît le fondement de l'émergence ponctuelle d'activistes radicaux qui ont commis les derniers attentats. C'est ce fond d'islamisation en profondeur qu'on impute principalement à la présence et à l'idéologie des frères musulmans, au Maroc comme dans d'autres pays, guidée évidemment par les grandes références du Wahabisme et les grands outils de la finance saoudienne. C'est ce fond d'islamisation en profondeur qu'on impute principalement à la présence et à l'idéologie des frères musulmans, au Maroc, guidée évidemment par les grandes références du Wahabisme et les grands outils de la finance saoudienne.