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Des ONG à la rescousse de populations oubliées
Publié dans La Gazette du Maroc le 26 - 01 - 2004

La Gazette du Maroc présente une série de deux reportages portant sur le travail d'organisations non-gouvernementales marocaines vouées au développement local des communautés de l'Atlas. Une aide essentielle à des populations qui, malgré une richesse culturelle énorme et une chaleur humaine sans pareille, font partie de la frange la plus pauvre de la planète. Ces populations vivent en effet, en marge de la modernité et ne récoltent que quelques miettes du développement que connaît le reste du Maroc.
L'hiver vient de tomber sur l'Atlas, et avec lui ses premières neiges et ses pluies glaciales. Sur la route qui relie Azilal à Marrakech, les vallées et montagnes de l'Atlas qui la bordent, parsemées d'arbustes, avec ici et là quelques rares arbres ayant pu atteindre leur maturité, sont les témoins d'une situation critique qui sévit dans cette région, le prélude à une réalité sociale, économique et environnementale criante. A quelques kilomètres des villes d'Azilal et de Tanant se situe, aux confins de la commune rurale de Tanant, le Douar de Bouhrazen. Pour l'atteindre, il faut emprunter la route boueuse et cahoteuse qui a été aménagée par l'Association de développement local (ADL) de Rabat.
A l'entrée du douar, l'une des collines nous dévoile l'exploitation sauvage qu'elle a subie au cours des décennies. Sur l'un de ses flancs, on n'aperçoit toutefois qu'une partie de celle-ci, celle qui est gérée par la communauté villageoise, a été ménagée, contrairement à ce que l'on a fait subir au reste de la colline, c'est-à-dire la partie appartenant à l'Etat. “Avec cet exemple là, vous voyez immédiatement la différence entre la gestion des choses qui appartiennent à la communauté et celle des choses qui appartiennent au Makhzen.Les “gardiens” de la forêt de l'Etat, dit le chauffeur d'un ton ironique, reçoivent des bakchichs. Ils permettent l'exploitation de la forêt contre de l'argent. Ils gardent leurs poches plutôt que la forêt ! ”.
L'Association de développement local, connue sous le nom “d'association de Herzenni” par la population locale, a pour objectif l'amélioration des conditions de vie et du revenu des populations et la lutte contre la dégradation et l'appauvrissement du milieu. Sous une perspective de développement durable, l'association vise un développement qui soit en harmonie avec l'environnement et qui prenne en compte les besoins de la population à long terme. En définitive, l'organisation non gouvernementale (ONG) vise à garantir l'autonomie des communautés de l'Atlas auxquelles elle vient en aide.
Vers un processus de développement démocratique
L'ADL répond aux besoins essentiels d'une partie de la population en pilotant principalement des projets de construction d'écoles, de dispensaires de soins de santé, d'électrification, d'aménagements routiers et d'accès à l'eau. “Ce que fait l‘ADL aurait dû être entrepris par l'ensemble des pouvoirs publics il y a de cela bien longtemps. Entamé au début des années 90, le travail de l'ADL répondait aux prérogatives qui devaient normalement revenir à l'Etat”, déclare Abdellah Herzenni, président-fondateur de l'association et sociologue. Aujourd'hui, après plusieurs décennies d'isolement de ces régions éloignées, des programmes nationaux commencent à voir le jour : l'accès à l'eau potable piloté par l'Office national de l'eau potable (ONEP), l'électrification de l'ensemble du territoire marocain, ou encore celui de l'infrastructure routière. “Les plans de développement sont bien partis, mais c'est avant tout une question de financement. Etant donné que les budgets sont insuffisants, les autorités publiques sont obligées de faire du saupoudrage, c'est du cas par cas, notamment pour ceux les plus aigus. Les interventions ne sont pas comprises dans un plan d'aménagement global et intégré, d'où l'impression d'incohérence du travail des pouvoirs publics”, soutient Herzenni. Les projets datent du milieu des années 90, soit au moment où, grâce à l'impulsion donnée quelques années auparavant par les associations marocaines qui tentaient de combler ce déficit et de répondre aux problèmes de la population, à titre palliatif, l'Etat a commencé à prendre en compte l'importance du développement. Après les années d'austérité budgétaire imposée à l'Etat par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale via leur Programme d'ajustement structurel, c'est-à-dire tout au long des années 80, les questions sociales ont finalement été prises en compte.
Tout au long de cette difficile étape de transition démocratique que tente d'instaurer l'ADL, l'autre défi consiste à faire comprendre aux populations les raisons et les principes de fonctionnement de l'autogestion. A cette fin, il importe de pallier le problème de l'analphabétisme, le premier obstacle de taille que l'on rencontre au sein des communautés.
Ensuite, il y a la période d'apprentissage de nouveaux concepts comme celui de “coopérative” par exemple, ce qui implique des notions de gestion et d'administration différentes et parfois complètement nouvelles par rapport à ce que les gens connaissaient jusqu'à tout récemment. “C'était par exemple tenter de passer du consensus à la majorité en matière de décision. Parce que traditionnellement… et de toute façon ce n'était même pas le consensus, c'était l'unanimité. Juste le fait d'arriver à voter c'est quelque chose d'important”, fait remarquer le président.
Même si l'ADL parle souvent d'autogestion, c'est un concept très chargé avec lequel Herzenni n'est pas très à l'aise. Il préfère parler “d'autopromotion et de démocratie participative”. En fait, résume cet universitaire et président-fondateur de l'Association de développement local,“c'est tout simplement l'idée selon laquelle les gens puissent se prendre en charge avec les moyens dont ils disposent et avec le coup de pouce que peut leur apporter l'association”. A titre d'exemple, “on tente de faire la promotion d'une caisse communautaire, ce qui est différent du microcrédit. L'idée c'est que la personne, que la population puisse prendre en charge son développement par elle-même, de générer des revenus, de s'autonomiser tout en ayant obtenu une valeur ajoutée du capital de départ afin de pouvoir générer un revenu. L'idée ici est de faire en sorte de ne pas créer une déresponsabilisation des gens. Il faut qu'ils puissent se prendre en main par eux-mêmes, qu'ils puissent gérer par eux-mêmes leur développement”. Comme l'a aussi constaté Hussein Ifreg, l'animateur de l'ADL à Bouhrazen, la transition démocratique n'est pas toujours ce qu'il y a de plus facile. A titre d'exemple, il évoque la difficile cohabitation d'Aït Kora avec le village voisin, Aït Sri. “Ils ne sont jamais d'accord avec l'ADL. Ce n'est pas l'ensemble de la population, mais la plupart. Tout ça, s'exclame Hussein, parce qu'un habitant d'Aït Kora est allé dire, voilà un an, au chef du douar voisin, qu'il ne devait pas négocier avec l'ADL. En vérité c'est parce que l'association a pour principe que quelques-uns ne doivent pas décider pour l'ensemble. C'est tout le monde qui doit participer. Mais cet habitant d'Aït Kora voulait prendre les décisions pour tout le douar. Il a donc décidé de se venger”.
Autonomie et responsabilisation
Tout ce travail de réapprentissage en matière d'autonomie et de responsabilisation prend beaucoup de temps comme le reconnaît le président de l'ADL. “Nous nous étions dit que nous allions travailler dans la zone et qu'au bout de 10 ans nous pourrions partir parce que nous aurions réussi à assurer une relève sur place. C'est ça l'idée en fait. Finalement on s'aperçoit que c'est beaucoup plus long que ça pour qu'il y ait un véritable apprentissage des gens et qu'ils puissent se prendre en charge eux-mêmes, en plus d'avoir une pleine participation”. Mais certains préfèreraient laisser entre les mains de l'association la responsabilité de leur développement. Il y a en effet ce danger constant de déresponsabilisation. “C'est ce que certains voudraient, mais ils savent très bien que ce n'est pas ce que nous voulons. Ce que nous voulons c'est que ce soit eux qui se prennent en charge. Il faudra bien qu'un jour on leur dise que notre rôle est terminé et que c'est à eux de prendre sérieusement la relève. C'est pour cela qu'on leur demande qu'ils s'organisent sous forme d'association, de coopérative, de simple comité de village même s'il est informel. Ils doivent savoir que nous ne serons plus là. Et pourtant nous n'arrêtons pas de le leur dire”, martèle Herzenni.
Parmi les plus pauvres de la planète
Mais il sait pertinemment que pour l'instant la communauté de Bouhrazen n'en est pas là, n'ayant pu, après plus de dix ans, véritablement s'organiser. La situation de paupérisation et de précarité que vit la communauté explique très bien cette incapacité de prendre complètement sa destinée en main. “Ils voudraient que l'association continue à faire le travail essentiel qu'elle fait, mais en réalité c'est aux pouvoirs publics qu'incombe cette tâche”. La population du douar de Bouhrazen, avec un revenu annuel par habitant ne dépassant pas 2000Dh, est parmi l'une des franges les plus pauvres de la planète, ce que confirment en substance les résultats publiés en août 2003 de l'étude qu'a faite le docteur Salah Chérif d'Ouazzane sur la population de cette région. On y souligne entre autres le problème des carences alimentaires, des taux de mortalité infantile anormaux et des conditions d'hygiène pathétiques. A titre d'exemple, “parmi tous les ménages étudiés, 42% ont eu de 1 jusqu'à 6 enfants morts, 30% dans les jours ou mois qui suivent la naissance, 20% suite à des fausses couches et 3% sont des enfants morts-nés” !
Les familles de Bouhrazen, à l'image des familles provenant du milieu rural, sont très nombreuses. En moyenne, elles sont constituées d'environ 7 membres. Leur revenu annuel se situe aux alentours de 12.000 DH. Comparativement au revenu moyen des familles marocaines, soit un peu moins de 15.000DH, ces familles vivent donc de façon très précaire. Pris individuellement, les habitants de cette commune, à l'image de millions de Marocains, font partie du 1/5ème de la population mondiale vivant avec moins de 1 dollar par jour. Mais depuis une dizaine d'années, notamment grâce au travail de l'ADL, les conditions de vie de la population de Bouhrazen s'améliorent quelque peu. Quant à la question de pauvreté des habitants du village, le président de l'ONG se refuse à être pessimiste. “Même si la population est très pauvre, je me refuse à dramatiser plus qu'il ne faut. Il y a des régions beaucoup plus pauvres”, fait-il remarquer.
L'argent dont dispose le nouveau président de la commune de Tanant, Mohamed Zahoui, aux fins de l'administration et au développement de la commune ne suffit pas pour répondre aux besoins essentiels de sa population. Lorsque la question du budget est abordée, le président de même que Mohamed Chafik, deuxième vice-président de la commune, sont visiblement embarrassés par la question. “C'est un secret”, répond Zahoui en riant. “Tout ce que je peux vous dire c'est qu'il est médiocre”. En fait, officieusement, car la commune attend toujours le montant officiel qui lui sera versé par le ministère de l'Intérieur, Tanant devrait disposer d'un budget total d'environ 2,40 millions Dh pour l'année. De ce montant, une somme d'environ 1,7 million Dh provient de la redistribution de la TVA, alors que les autres sources budgétaires proviennent pour la plupart des revenus que génère “le pauvre souk”, comme l'affirme l'élu. “Nous n'avons pas assez d'argent”, lance finalement Zahoui. “Il nous faut l'aide du ministère de l'Intérieur”.
Trois jeunes hommes âgés d'une vingtaine d'années, sont assis au sommet du point le plus haut du village. Devant eux une vue imprenable qui surplombe les environs montagneux et la vallée. Mohamed Saber, Abdellah Kaby et Mohamed Taoufik sont pessimistes face à la réalité quotidienne qu'ils vivent et aux possibilités d'avenir qui s'offrent à eux. “Il n'y a pas de travail. Il n'existe pas. Pour l'agriculture, chacun ramasse sa moisson et encore… Une personne sur 5 travaille !”, s'exclame Abdellah. “Dans une famille de 10… Alors nos frères et nos sœurs quittent le village et vont à Casablanca chercher du travail”, soupire le jeune homme. “Nous on ne veut pas quitter le village, mais le Maroc”, renchérit Taoufik en pointant l'horizon du doigt, les yeux fixés au loin. “On va aller là-bas pour gagner de l'argent, et on va revenir ici finir notre vie”.
Comme l'expose Driss Herzenni, le frère du président de l'ADL et apiculteur du douar : “il y a une destruction de la montagne aux fins de l'agriculture. Une agriculture de rien du tout, comme l'affirme cet apiculteur. “Avant, il y avait une forêt pour tout le monde, mais de nos jours il y en a qui se l'approprient”. Herzenni constate aussi qu'il y a un phénomène météorologique catastrophique qui se produit depuis quelques années. “Il y avait plus de neige et plus de pluie avant, mais après tout, affirme le villageois, c'est la cause aussi cette sécheresse. Nous aussi on a les mains sales dans toute cette histoire”, lance-t-il, conscient des dommages que peut causer non seulement le réchauffement climatique, ou encore l'agissement de certains fonctionnaires corrompus, mais aussi les actions des populations sur leur environnement. «Moi, je n'y touche pas, ajoute-t-il, mais tout le monde l'utilise. Je ne prends que ce qui est à moi et je laisse la nature tranquille. Ils croient que c'est moins cher, mais à long terme on détruit notre environnement. Chaque année, certains prennent petit à petit la forêt et s'approprient ce qui est aux autres, à tout le monde”. Mais en bout de ligne, reconnaît-il, “c'est un problème d'éducation et de pauvreté ”.
Menaces écologiques
H'mad, un homme du village, paisiblement assis devant le pressoir à huile, un paquet de cigarettes entre les mains, ne prend pas de raccourci quant aux raisons expliquant la problématique environnementale. “Il y a une loi, mais on la viole un peu plus chaque année. Le Secrétariat d'Etat aux Eaux et Forêts a tracé les lignes, mais elles ne sont pas respectées. Plusieurs cas ont été portés devant les tribunaux, mais les dossiers traînent, on ne sévit pas. La plupart participe à la bonne gestion commune, mais certains violent toujours les règlements de la communauté. Quand on pénalise, on donne quelque fois une amende, sinon on règle ça ici, à la commune”, murmure l'homme. “Mais dans certains cas ce sont les agents de protection qui violent la loi. Malheureusement, c'est la corruption qui nous mène au sous-développement. On achète le silence, mais au détriment du développement de la communauté”, conclut-il.
Plus loin, près du réservoir d'eau qui est en voie de construction, un vieil homme est assis sur une roche et regarde les ouvriers à l'œuvre. Agriculteur d'orge, de blé dur et tendre, de lentilles, de petits-pois et de fèves, Mohamed Saber, père de famille, est aussi membre du comité de l'association qu'a mise sur pied l'ADL. Membre influent du village, cet agriculteur reconnaît qu'un problème environnemental criant existe. Même s'il ne comprend pas le terme “environnement”, l'homme est tout de même conscient que les habitants font face à un problème d'accès aux ressources naturelles qui est très important, ce qui n'était pas le cas au moment où il avait l'âge de son fils Mohamed qui a aujourd'hui près de 30 ans. A cette époque “il y avait beaucoup, beaucoup d'arbres et d'animaux sauvages. Aujourd'hui, pour le bois, c'est très difficile d'aller le chercher. Il y a trop de coupes de bois de nos jours et comme il y a plus d'habitants, la forêt tend à diminuer”. Saïd Boudelal, un berger d'une vingtaine d'années, abonde dans ce sens. “Avant, il y a quelques années, ici même où l'on se trouve, il y avait beaucoup d'arbres. Mais les habitants ont tout coupé. Il y avait plus de nourriture pour les animaux quand il y avait plus d'arbres”. Rencontré en compagnie de deux autres bergers au sommet de la montagne qui borde le village, Saïd ajoute, qu' “il y avait plusieurs chênes ici. Aujourd'hui ils sont rares”, s'indigne le jeune homme.
Désengagement de l'Etat
Ancien professeur de géographie, le président de la commune est lui aussi très conscient des enjeux écologiques qui pèsent sur la région. Afin de pallier la crise écologique qui mine la commune, M. Zahoui propose de faire connaître l'importance de l'habitat forestier à la population. “C'est nôtre rôle de faire connaître ses enjeux. Notre rôle d'élus ne repose pas seulement sur les questions administratives, mais aussi éducatives”, assure-t-il. “A cet effet on souhaite construire deux lycées, faire des conférences, des tables rondes afin qu'ils puissent eux aussi participer à la gestion de l'environnement. “Si Dieu le veut, nous aimerions commencer ces projets dans les semaines à venir”.
Au début des années 90, au moment où ont émergé certaines ONG marocaines, il y a eu une certaine réticence et, à certains moments une méfiance de la part des pouvoirs publics par rapport au travail de ces associations. Elles permettaient aux communautés de prendre, un tant soit peu, leur propre avenir en main. Bref de s'affranchir quelque peu du pouvoir central habitué à contrôler l'ensemble des affaires courantes de la population. Mais comme le note le président de l'association, certaines provinces du Sud ont vu la création d'ONG prendre forme sous les efforts des autorités provinciales qui souhaitaient leur création. «Mais il y a d'autres cas où les autorités freinent ce mouvement, elles sont méfiantes», souligne le sociologue. Les autorités régionales et provinciales ne font que s'adapter aux réalités historiques et culturelles de l'endroit. Là où il y avait une prédisposition des habitants à prendre eux-mêmes des initiatives, les autorités ont été généralement assez favorables à leur création. Malgré la volonté des pouvoirs publics de répondre aux besoins essentiels de ces communautés, une tendance contraire, voire paradoxale se dessine comme le fait remarquer Herzenni. “Lorsque les gens vont voir les autorités publiques, on leur répond qu'ils ont déjà beaucoup de chance car il y a des associations qui s'occupent de différents projets. Nous n'arrivons pas à coopérer véritablement et même quand on y arrive, lorsque se trouvent au sein des services publics certaines compétences, on ne peut pas les utiliser”.
Ainsi, bien qu'il y ait des projets de développement intéressants qui émanent du gouvernement, les actions concrètes se font péniblement attendre. Face à la tendance économique internationale actuelle où les Etats sont amenés à suivre les prémices de la logique néo-libérale, soit le désengagement de l'Etat au profit de la liberté marchande et financière, logique dans laquelle s'inscrit le Maroc depuis plus de vingt ans, le travail de développement économique et de solidarité que s'emploie à faire l'ADL auprès des communautés semble s'inscrire dans une lutte à contre-courant. Pour le sociologue, “ il y a un peu de tout au Maroc. Il y a bien sûr une vision libérale des choses, mais l'Etat essaye quand même d'intervenir dans les marges de précarité, aussi bien en ville qu'à la campagne. Si l'Etat veut sauver les meubles, il faudrait qu'il continue dans ce sens, même si, par ailleurs il est libéral sur un certain nombre de plans. Pour tout ce qui relève du social, je pense qu'il devrait continuer à agir en tant que représentant de la collectivité. Il peut le faire en contribuant à maintenir les populations sur place, contribuer à une distribution relativement rationnelle dans l'espace afin d'éviter le “rush” sur les villes. Sinon, on n'évitera pas se “rush”, surtout avec la mondialisation… Si l'Etat avait à réfléchir sur les 10 ou 20 ans à venir il devrait le faire de cette manière, ce qu'il a commencé à faire, en principe, en lançant les différents plans d'infrastructures. Il doit continuer sur cette lancée. Il faut que le secteur public se renforce, ce qui n'est pas du tout en contradiction avec le libéralisme. C'est ce que font d'ailleurs les pays libéraux.
Très souvent quand on invoque le libéralisme, on dit aussi désengagement de l'Etat. Mais l'Etat peut très bien instaurer le libéralisme et quand même investir dans tout ce qui est secteur public. Il n'y a pas d'incompatibilité entre les deux. «Il peut aussi réguler tout ce qui est secteur libéral, c'est ce que font de toute façon chaque jour les autres pays qui nous recommandent de pratiquer le libéralisme. Je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas», soutient le président de l'ADL.
Dans le contexte économique néolibéral actuel, où l'Etat s'emploie à rationaliser les finances publiques tout en se désengageant du champ social au profit des acteurs économiques, le gouvernement marocain compte de plus en plus sur le travail des ONG afin de remplir les prérogatives qui devraient normalement lui incomber.
En effet, face au travail de développement qu'a entrepris l'ONG depuis plus d'une dizaine d'années, l'on est amené à percevoir le rôle des ONG en tant que sous-traitants de l'Etat. Mais comme l'avance Herzenni, une nuance importante s'impose face à un tel constat. “Je ne parlerais même pas de sous-traitance, car si nous sommes sous-traitants de l'Etat cela veut dire que l'Etat nous dédommage, or ce n'est pas le cas. En fait, nous faisons du développement local en ayant recours à des fonds qui ne sont pas ceux de l'Etat, mais des fonds étrangers. Nous le deviendrons peut-être si l'Agence de développement social nous finance, mais ce n'est pas le cas pour le moment. Il y a un effort de partenariat, tient à préciser le président de l'association, mais l'on doit pouvoir établir des plans et des programmes d'aménagement du territoire et de développement à l'échelle des communes, ou de l'ensemble des communes, en partenariat avec les différents services administratifs concernés, le secteur privé et la population. En principe, ce partenariat existe, mais au niveau de l'application c'est différent. Il faut plus de concertation. Pour concrétiser celle-ci, des associations comme la nôtre pourraient devenir des agents d'exécution, plus proches de la véritable sous-traitance mais avec subventions et tout. L'objectif ne serait pas de faire du profit, mais de permettre aux populations locales de pouvoir gérer directement. De toute façon, dans une situation où l'Etat ne répond pas aux besoins et où les services ne peuvent être garantis, c'est nous qui nous en occupons ”.
Le contexte de mutation politique actuel qui s'opère au Maroc entraîne dans son sillage l'apparition de nouvelles formes d'expression démocratiques, de nouveaux lieux de dialogue. Cette nouvelle dynamique impose un changement considérable au niveau des mentalités, tant chez la population que chez les dirigeants. Les Marocains commencent à apprendre à connaître l'Autre, à vouloir l'écouter.
Population de Bouhrazen : 200 familles/1200 habitants.
Salaire moyen : 2000DH/Hab/an soit 12 à 14.000 DH / famille / an, dont 30% du revenu proviennent des membres de la famille émigrés.
Haut-Atlas central : Plateau entre le piémont et la haute montagne, climat aride, zone d'agriculture et d'élevage
Production agricole : amandes, olives, orge, blé dur, blé tendre, fourrage, légumineuses, caroube et miel.
Elevage : Petits ruminants ; caprins, ovins
Caractéristiques particulières de l'environnement : 40% des unités fourragères proviennent d'un parcours forestier dégradé, culture agraire traditionnelle, stress hydrique, accentuation du dépérissement du milieu forestier, baisse de la fertilité des sols, amenuisement de la superficie des exploitations agricoles.


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