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"Des hommes comme Ben Barka manquent beaucoup"
Publié dans La Gazette du Maroc le 14 - 03 - 2005

Serge Le Peron, réalisateur de " J'ai vu tuer Ben Barka "
Dans cette interview exclusive pour LGM, Serge Le Peron, grand cinéaste et illustre critique des Cahiers du cinéma, revient avec nous sur l'affaire Ben Barka, le mythe du personnage, le déficit du monde moderne, les rêves et leurs impossibilités, l'espoir d'un monde meilleur et l'idéal assassiné.
La Gazette du Maroc : pourquoi un film sur Mehdi Ben Barka et pourquoi maintenant ?
Serge Le Peron : c'est un petit peu le fruit du hasard. Il y a trois ou quatre ans de cela, je parlais à une amie cinéphile qui s'appelle Frédérique Moreau qui me disait qu'elle se souvient d'un repas qu'elle avait fait avec Georges Franju. Celui-ci lui disait qu'il avait arrêté l'alcool. Il lui avait dit (c'était une histoire de coq au vin) je ne prends jamais ça, parce que j'ai eu une histoire dans ma vie à la suite de laquelle j'ai re-sombré dans l'alcoolisme. Oui, j'ai été responsable, dit-il de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka. Quand mon amie m'a raconté l'histoire, j'ai relu les journaux de l'époque, et là j'ai réalisé que Ben Barka avait rendez-vous chez Lipp avec Franju pour un film sur la décolonisation dont Marguerite Duras avait écrit le scénario. Dans un sens, au fond c'est à cause du cinéma que Ben Barka est tombé. Il était très prudent, très vigilant et là, tout d'un coup, un projet de film, avec un cinéaste français qui était engagé, surtout une romancière française très engagée elle aussi dans les guerres d'Algérie, c'était comme si ses résistances psychologiques avaient cédé à cause du cinéma. Du coup j'ai repensé au commandant Massoud qui s'était fait avoir à cause d'une caméra. Voilà, c'était cela le point de départ. Alors j'en ai parlé avec Saïd Smihi (co-réalisateur et co-scénariste).
Comment avez-vous pensé aborder cette affaire ?
On a pensé non pas le faire du point de vue d'une machination gigantesque, mais de voir comment cela s'était-il déroulé concrètement. C'est-à-dire comment à un moment donné un type avait dit oui à un autre dans un système d'enchaînements. Car ce qui est très curieux avec l'affaire Ben Barka c'est que si l'on tire un fil, on a toute une époque qui revient. À la fois on a toute la France des années 60 et le monde d'alors. Le gaullisme, la figure de De Gaulle, la statue du commandeur qui impose sa loi à tout le monde, l'opposition réduite au silence quasiment et qui n'a pas le moyen de s'exprimer, la télévision qui ne donne pas la parole à d'autres que ceux du gouvernement… alors que culturellement il y a des choses formidables qui se passent. Il y a la nouvelle vague, les Beatles. Il y a plein de choses comme cela qui bougent dans la société alors que politiquement, c'est très figé. Voilà le premier souvenir que j'avais de cette époque. Et là l'affaire Ben Barka vient comme une espèce de révélateur de l'époque dans laquelle on vivait. D'un côté la France avec ce système fermé, de l'autre un mouvement réel dans la société et puis il y avait le monde. C'est-à-dire le tiers-monde. Avec ce sentiment que tout bougeait partout, que le monde se transformait, que tous ces pays nouvellement libérés du colonialisme, porteurs d'une société nouvelle, allaient métamorphoser la carte du monde … Beaucoup d'espoir dont Ben Barka était le symbole. Sans doute sa mort signifie-t-elle la mort de cet espoir. C'est un mélange de beaucoup de raisons à la fois personnelle, politique qui ont fait qu'à un moment donné on s'est dit que cette histoire qui est restée une énigme est à la fois un sujet cinématographique et un sujet politique.
Ce regard cinématographique qu'est le film j'ai vu tuer Ben Barka pourrait-il apporter un éclairage sur le sujet politique ?
Le film ne va pas révéler des choses. Il n'y aura pas de scoops, on ne va pas apprendre du nouveau ni savoir ce qui se cache derrière cet assassinat. Par contre, je crois qu'il va donner un éclairage politique. Parce que ce que nous avons travaillé ce sont les personnages du film. Les figures françaises, celles marocaines. L'histoire est racontée du point de vue du personnage du voyou Figon qui a été au centre de cette affaire à cause de ses relations avec les milieux intellectuels comme Duras et des milieux des voyous et des politiques, proches du Sac gaulliste. C'est plus l'éclairage d'une époque qu'autre chose. On va comprendre comment on pouvait vivre avec des espoirs, comment en face cela pouvait faire très peur, comment les Américains et les régimes en place à l'époque avaient peur de ces mouvements qui se mettaient en marche. C'est à travers la psychologie de ces personnages et leur réalité que l'on va mieux comprendre comment une affaire comme celle-là pouvait avoir lieu.
Ben Barka est devenu au fil du temps une histoire collective marocaine. "J'ai vu tuer Ben Barka" pourrait dans une certaine mesure répondre aux attentes du peuple marocain sinon politiquement du moins sur le plan de la cinématographie ?
C'est un film fait avec un co-réalisateur marocain. Ce qui nous frappe dans cette histoire, c'est que c'est un sujet universel. Ce n'est pas un sujet uniquement marocain, pas non plus uniquement français ni uniquement franco-marocain. D'un point de vue dramaturgique, c'est un personnage qui raconte toute l'histoire d'une époque, qui nous dit : “voilà ce qu'étaient les années 60”. Un vieux monde qui s'écroule autour du colonialisme. Un nouveau qui est en train d'apparaître avec tous les espoirs que cela suscite. Et l'on sait que depuis, ces espoirs n'ont été malheureusement pas remplis par aucun système. Il n'y a pas eu de solutions miracles de nulle part. Mis à l'époque, on pouvait le penser et cette croyance crée de l'énergie. Ce sont là des personnages qui à un moment donné incarnent des sentiments universels comme c'est le cas pour des hommes comme Che Guevarra, Salvador Allende. Quand on regarde de près cet homme, on se rend compte que ce n'était pas un agitateur ni un révolutionnaire au sens du Che, il l'était dans le sens où il voulait changer le monde mais certainement pas allumer des foyers aux quatre coins de la planète. C'était un homme d'Etat qui avait une vision planétaire du monde, une vision équilibrée qui voulait que les répartitions des pouvoirs et des richesses soient revues.
Quel lien peut-on faire avec ce que vit le monde actuellement ?
En une phrase, le lien que l'on peut faire, c'est que des gens comme Ben Barka manquent beaucoup. Comme Français et comme Occidental, je me dis que si les Américains avaient plutôt joué la carte de personnages comme Ben Barka, comme Lumumba comme Allende, peut-être qu'ils n'auraient pas Ben Laden aujourd'hui. C'est à force de jouer la carte du pire, alors qu'il y avait des hommes qui n'étaient pas des fous, que le monde a chaviré. Vous savez les discours de Ben Barka avaient beaucoup influencé des hommes politiques comme Arafat en Palestine. Sortir du conflit confessionnel du juif/musulman pour poser la question dans des termes politiques. C'est cette intelligence-là qui est importante. Et là, on se dit que si les puissances, comme les USA et la France aussi avaient été suffisamment intelligentes pour jouer cette carte-là, le monde serait différent aujourd'hui. Pour moi, les trois noms que j'ai cités plus haut (Ben Barka, Allende, Lumumba) sont des génies du tiers-monde qui après ont manqué à ce même tiers-monde et par là au monde entier. Dans l'absence de ce type de figures, à nouveau il y a un vide de sens et de symboles réels qui font que le monde est sans consistance.
Quel sera l'avenir du tiers-monde en l'absence de tels grands symboles ?
J'ai vécu cette génération qui pensait que l'histoire venait de là. C'est-à-dire cette zone des tempêtes, les damnés de la terre et toute cette mythologie autour. Cela ne s'est pas passé comme on l'attendait. Et comme le prolétariat non plus n'a pas transformé le monde, maintenant, il faut être un peu plus réaliste et se dire que malgré tout les gens qui souffrent le plus sont ceux à même de poser les réels problèmes. Comme aujourd'hui encore, malheureusement, c'est dans le tiers-monde que l'on a encore des problèmes économiques, des problèmes de misère plus qu'en Occident, dans le second-monde ou le premier. On peut toujours se dire qu'il va bien falloir que le monde trouve les solutions. On ne les connaît pas encore, on ne sait pas où on va, mais aujourd'hui le tiers-monde n'est plus porteur de cet espoir comme autrefois, on disait que la solution vient de là. Il y a de nouvelles intelligences politiques qui sont mises en place, mais il y a aussi l'intégrisme qui ravage tout. Je ne suis pas totalement pessimiste, mais il faut non pas trouver des solutions miracles, mais des voies qui permettent à tous de sortir des menaces qui sont là.
Qu'est-ce qui aurait changé si Ben Barka était resté en vie ?
Je suis sûr que le monde serait différent s'il était resté en vie? Comme c'était le cas pour Allende en Amérique Latine ou Lumumba en Afrique. J'ai adoré Che Guevarra dans ma jeunesse, mais c'était une figure passagère. Eux, c'étaient des mythes avec une vision équilibrée du monde. Ils étaient prêts à se battre pour changer le monde, mais avec de grands projets. Nous sommes loin du catastrophisme à la Mao, si vous voyez ce que je veux dire.
CE qui est bouleversant dans le personnage de Ben Barka, c'est qu'au fond, c'est quelqu'un qui est mort parce qu'il était une véritable alternative. D'autres ont survécu, les terrorismes sont apparus, ont pris des formes nouvelles, des intégrismes de tous poils se sont formés à la place de gens comme lui.
Qui a aussi compté pour vous pour aborder le personnage de Ben Barka ?
Avec Saîd Smihi et Frédérique Moreau, il y a quelqu'un qui a beaucoup compté pour nous comme référence réelle parce qu'on l'a connu. C'est Azzedine Kalak qui était représentant de l'OLP, qui a été assassiné en 1979 par les gens du groupe Abou Nidal sous l'ordre, on l'a bien su après, de Saddam Hussein. À l'époque, Azzedine était au fond dans la posture de Ben Barka. Il dormait rarement plusieurs nuits dans le même endroit. Il était un exilé. Il ne pouvait pas retourner dans son pays. Il ne pouvait pas non plus retourner en Syrie parce qu'il avait d'autres ennemis… Il avait une vision extrêmement démocratique. Et c'est là le problème. Ce sont là des personnes qui avaient des visions laïques et démocratiques du monde. Ils ne détestaient personne, mais avaient tout simplement des projets positifs pour les autres. C'est cette solitude au fond de Ben Barka. D'ailleurs c'est ce qui ressortait d'un documentaire que j'ai vu il y a quelques jours, réalisé par Simone Bitton, qui disait que Ben Barka avait à la fois le monde avec lui et il était très seul. C'étaient des personnages qui ne pouvaient pas tout dire y compris à leurs proches. Ils étaient au centre de cette contradiction.
D'ailleurs le mystère de cet enlèvement devant chez Lipp participe de cette solitude.
Il persiste toujours ce mystère de l'enlèvement devant chez Lipp justement. Il n'a pas été enlevé de force, il a accepté de suivre les policiers français. Qu'est-ce qu'il y avait dans sa tête? À quel autre rendez-vous pensait-il aller ? Quelles étaient les choses que personne n'a pu savoir ou connaître et qui, peut-être, auront été dites à cette époque?
Quel apport en termes de réminiscences historiques pour les Marocains ?
Le contexte. Une époque. Car on a essayé d'être très près de la vérité. On a vu les minutes du procès. On a lu tous les articles. On a vu tous les documents de l'époque. Au fond, c'est une vérité que j'espère documentaire, même si c'est une fiction sur le personnage, sur ceux qui lui ont tendu ce piège, sur la naïveté et la générosité des intellectuels français qui se sont laissés embarquer dans cette histoire. Pour les Marocains, et je crois qu'ils le savent, il faut qu'ils comprennent qu'ils avaient là un personnage de génie, qui dépassait la moyenne internationale. C'est une chose qui n'est pas courante dans les siècles. Nous avons un profond respect et estime pour cet homme. On n'a pas d'ailleurs cherché à être opportunistes. Ce personnage a été composé comme un homme qui avait un idéal. Vous savez quand on atteint un niveau d'exigence et de savoir comme les siens, parce que c'était tout de même un homme qui rencontrait De Gaulle, Mao, tous les grands de la terre comme Tito, toutes ces grandes figures qui étaient ses interlocuteurs, on est porteur de choses que les autres ne peuvent pas offrir. “J'ai vu tuer Ben Barka”, c'est aussi j'ai vu renaître Ben Barka, peut-être un jour.
Sur le plan de la cinématographie pure, qu'est-ce que cela suggère il ?
Il y a le personnage de Franju, ce qui m'a justement beaucoup frappé. Franju est un documentariste, un cinéaste qui était une référence, quelqu'un qui avait un regard très particulier, un visionnaire aussi, un petit peu étrange, un petit fantastique… Et quand j'ai appris que Franju était impliqué, je me suis dit que l'affaire Ben Barka aurait pu être un film de Franju. En tout cas un scénario qui aurait été proposé par lui. Au fond ce scénario est diabolique dans le sens où c'est un diable qui l'aurait écrit. On ne sait pas qui est derrière cette réalité : les Américains, les Français, les Marocains. C'est un film réaliste avec au centre cette énigme ce qui en fait un film fantastique dans le sens où le disait Franju lui-même. Ce fantastique social où la folie prend un sens autre. Il ne faut pas oublier que nous sommes face à des personnages fous. Figon était fou, Ben Barka est un fou aussi à sa mesure qui croiyait à un monde meilleur et Duras qui se fait avoir de cette manière et ces voyous qui pensaient qu'ils allaient toucher 100 millions de francs. Tout le monde rêvait. Il y a des rêves abjects et d'autres nobles. Et le film racontera aussi cela, c'est-à-dire les dangers du rêve.
Un Français qui réalise une histoire d'un Marocain ? On attendait peut-être un Marocain dans ce rôle de réalisateur…
Oui, oui. Le sujet est universel. Il y aura beaucoup de films sur le personnage. Il y en a déjà un. Il y aura des interprétations différentes peut-être faites par des Marocains.


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