Géopolitique De Bagdad à Beyrouth, de Damas à Dubaï, d'Arabie Saoudite à la Palestine, la République islamique d'Iran consolide ses positions et réalise de nouvelles percées. Elle provoque, menace et tient tête à la première puissance mondiale en mettant la région tout entière au bord du gouffre. Analyse. Deux heures après la fermeture des bureaux de vote, le commandant des forces armées en Irak, le général George Casey, a déclaré dans une conférence de presse qu'il a des preuves que les Iraniens se sont mêlés directement aux élections législatives; et, par là, ils tenteront d'influencer la formation du nouveau gouvernement. Cette accusation veut dire que Washington n'est pas prête à reculer devant la percée de la République islamique dont le président Mohamed Ahmadinejjad lance «hebdomadairement» depuis son élection à la présidence les défis et les menaces aussi bien aux Etats-Unis qu'à son principal allié dans la région, l'Etat hébreu. Contrairement aux analyses des rapports établis par certains experts des services de renseignements américains, l'administration Bush commence à prendre très au sérieux les « sorties » fracassantes du leader iranien d'Ayatollah Khomeïni. A cet égard, force est de constater que les Etats-Unis qui ont environ 150.000 soldats aux frontières de l'Iran sont incapables de freiner la poussée des « Pasdarans » qui contrôlent désormais une partie du Sud chiite d'Irak, ce, en commençant par la ville de Basra, en passant par Najat, Karbala et Annassiriya. Craintes et ingérences Cette avancée iranienne, accompagnée de provocations dans tous les sens, inquiètent énormément les pays de la région, notamment du Golfe, également alliés et protégés par les Etats-Unis et certains pays occidentaux tels que la Grande-Bretagne et la France, par des traités de Défense. L'Arabie-Saoudite qui se sent la plus menacée en raison de ses chiites représentant un peu plus de 10 % de sa population n'hésite plus à prendre les initiatives adéquates pour contrecarrer d'éventuelles émeutes chiites dans la région-Est (où se concentrent les richesses pétrolières). Dans ce cadre, on apprend que le roi Abdallah ben Abdel Aziz, a discuté ce problème avec le président iranien lors du dernier sommet islamique tenu à Makka. Mahmoud Ahmedinejjadi aurait reporté à «l'iranienne» tout engagement, démentant en même temps toutes les «rumeurs» concernant le rôle de Téhéran dans les tentatives d'émeutes de certains groupes chiites saoudiens dans la ville d'Al Katil, il y a environ un mois et demi. Ce qui a poussé les Saoudiens à monter leurs propres réseaux en Irak et, montrer aux Américains qu'ils peuvent, eux aussi, être, à l'instar des Iraniens, un principal joueur dans ce pays qui commence à perturber leur stratégie dans la région ainsi que leurs intérêts. Riyad a réussi, en partie certes, à convaincre l'administration américaine de l'importance de son rôle qui peut contre-balancer celui de Téhéran. La participation d'environ 70 % des Irakiens aux dernières élections législatives est due à l'acceptation des tribus et familles sunnites de jouer le jeu. Cela n'aurait jamais été fait sans les efforts déployés par les réseaux saoudiens. Riyad qui, semble-t-il n'a plus le choix, n'attendra pas la concrétisation de l'influence iranienne sur son terrain. Elle n'a pas l'intention de revivre une deuxième fois l'époque de l' «exportation» de la révolution islamique d'Ayatollah Khomeïni des années 80. De ce fait, elle contre-attaque politiquement et diplomatiquement en renforçant et modernisant ses forces armées. Sur le premier volet, on apprend que le dernier message transmis par le président du haut conseil sécuritaire, le prince Bandar ben Sultan au chef de l'Etat syrien, Bachar al-Assad, comprenait un «deal», «choisir entre Riyad et Téhéran, si vous voulez sortir de l'impasse, et éviter les pressions aussi bien des Américains que du juge Mehlis concernant l'implication de la Syrie dans l'attentat de l'ancien premier ministre, Rafic Hariri». Al-Assad, qui a répondu que Damas sera, comme à l'accoutumée, aux côtés de l'Arabie Saoudite dans les moments difficiles, pourra jouer un rôle déterminant dans le rapprochement avec l'Iran. Ce, comme elle l'avait déjà fait lors de la guerre Iran/Irak, dans les années où Téhéran menaçait de frapper les villes saoudiennes parce que le royaume soutenait militairement et financièrement le régime de Saddam Hussein. Réponse qui a apparemment convaincu les Saoudiens qui n'ont pas tardé à bouger. Les conséquences : atténuer les pressions américaines et pousser, avec l'aide de Washington, le juge allemand Mehlis, à se décharger de l'enquête. Pis, le Conseil de sécurité de l'ONU qui devrait se prononcer très fermement après l'assassinat du député et journaliste, Gébran Tnéïni, s'est contenté de prolonger l'enquête sur l'assassinat de Hariri de six mois supplémentaire. D'autre par, on apprend que le roi Abdallah ben Abdel Aziz, présentera lors du prochain sommet du CCG (Conseil de Coopération du Golfe) qui se tiendra à Abou Dhabi à la fin de cette semaine, un projet visant d'abord à resserrer les rangs des six pays membres, éparpillés ces deux dernières années. Définir ensuite une position commune du comportement à l'égard de l'Iran et, ses poussées régionales ainsi que vis-à-vis des menaces qu'il commence à constituer. Notamment s'il est avéré qu'il aura une influence directe au sein du prochain gouvernement irakien. Le projet du souverain saoudien, comptant ranger le plus grand nombre des Etats membres du CCG derrière lui, soulèvera le conflit irano-émirati concernant les 3 îles occupées ainsi que la manipulation de la communauté chiite à Bahrein, la poussant à se soulever contre le pouvoir en place. Loin de ses frontières L'iran de Mahmoud Ahmedinejjadi ne se conterte plus d'une présence et d'une influence uniquement au niveau de son environnement géographique. Il veut jouer aussi sur le périphérique, plus particulièrement au Proche-Orient. Dans ce contexte, Téhéran prouve au fil des jours qu'elle tient des cartes supplémentaires, notamment en Palestine, où elle a son mot à dire et ses messages à passer. Depuis quelques mois, certains dirigeants et cadre du Djihad islamique et du Hamas vivent en Iran, notamment, après leur départ « forcé » de Damas. Le récent durcissement des positions de ces derniers est dû à l'encouragement des Iraniens. Les déclarations du chef de l'Etat, Ahmadi Nejjad soit appelant à «rayer Israël de la carte», soit à le créer en Allemagne ou en Autriche», ont incité ces formations islamiques à hausser le ton aussi bien politiquement que militairement sur le terrain. L'encadrement des Iraniens, comme c'est le cas avec le Hezbollah libanais, militairement et socio-économiquement au Djihad et au Hamas portent déjà ses fruits. Les résultats des élections municipales en Palestine ces derniers jours en sont les preuves. Ce message iranien a fait réagir rapidement les Américains où le Congrès a menacé de geler les aides accordées à l'Autorité si le Hamas sera représenté dans le prochain gouvernement, après les élections législatives prévues à partir de cette semaine. Plus loin, au Liban, Téhéran est très influent aussi bien sur le terrain qu'au niveau de l'exécutif. Le parti du Hezbollah ainsi que le mouvement Chiite, Amal, représentent le fer de lance. Le récent gel de leur présence au Conseil des ministres paralyse le pays depuis une semaine. Au point que le représentant de l'ONU à Beyrouth a souhaité sur demande du Secrétaire général, Kofi Anan, au président du Parlement, également du mouvement Amal, de faciliter la tache du gou-vernement et mettre fin au gel actuel. A travers ces deux piliers de l'establishment politique libanais, l'Iran barre la route à toute initiative locale visant à accentuer les pressions internationales sur la Syrie. Ce blocage au niveau de l'institution politique libanaise et l'attaque des positions israéliennes dans les fermes de Chabaâ, doivent être classés parmi les messages adressés aux Etats-Unis. Ce qui crée, selon les analystes, un équilibre au sein des rapports de force, et maintien le statu-quo actuel. Ce dernier qui ne peut qu'être qu'en faveur de la République islamique d'Iran et de ses intérêts régionaux. D'autre part, la coordination étroite des positions entre Téhéran et Damas sert en premier lieu la première car elle est en position de force depuis la chute du régime de Saddam Hussein que les Américains commencent maintenant à le regretter. Les dernières reconnaissances des erreurs commises dans ce sens notamment par le président de l'influence et de la puissance régionale iranienne. Washington craint plus que jamais le réveil des réseaux dormants partant dans le monde avec le retour des Khomeïnistes à travers le rajeunissement de la révolution islamique dirigé par Ahmadinejjadi. En effets, la CIA suit de près l'émergence des courants pro-iraniens après les manifestations déroulées au Nigéria soutenant les positions prises par le président iranien contre les Etats-Unis et Israël. Washington qui déploie des efforts considérables depuis l'ère Clinton pour se positionner sur le continent noir, n'aime pas se retrouver demain face à des mouvements extrémistes religieux pro-iraniens qui sabotent ces projets. Les défis et les provocations iraniens seront-ils les éléments d'une stratégie de défense préventive ? Si les experts européens sont affirmatifs, les Américains ne le sont pas. Pour les Etats arabes voisins, il craint toujours le pire.