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J'ai mangé avec Hendrix
Publié dans La Gazette du Maroc le 09 - 01 - 2006


Paysages humains
À bien y réfléchir après une soirée aussi touffue et riche en anecdotes, j'aurai dû donner comme titre à cette chronique du zinc, celui d'une des chansons les plus reprises au monde. “All Along the Watchtower” que Jimmy Hendrix a immortalisée et que d'autres comme Bob Dylan ou encore Bono de U2 ont servie avec plus ou moins de brio. Mais pourquoi “All Along the Watchtower” et pas “Hey Joe” du même Hendrix ? Dans un sens le Joe en question pourrait être mon acolyte d'hier soir. Un personnage qui a perdu au fil des bouteilles toute la mesure de l'ivresse. Bref, il n'est jamais ivre, ce Joe, malgré les litres qu'il se verse dans le gosier. Une tenue d'alcool qui défie toutes les lois et de la physique et de la chimie. Joe est un vétéran des spiritueux qui a écumé des jours moins glabres sous d'autres cieux, sillonnant le monde comme navigateur avant de jeter l'ancre à Casablanca après avoir vécu quelques mois à Essaouira qui reste pour lui, “la plus belle ville du monde après un patelin que j'ai visité dans le désert et dont j'ai oublié le nom.” Et la suite de l'histoire est un long monologue sur une rencontre fortuite avec Jimmy Hendrix à Essaouira il y a de cela plusieurs décennies. “Je l'ai vu, je l'ai très vite reconnu. Il fumait son joint et moi j'avais mon sebsi. J'étais beau à l'époque et j'avais pas mal bourlingué. Vous savez la mer, ça forge un homme. Ça vous donne du cran et surtout la connaissance des hommes sans les aborder. Comme ça d'un simple regard, je peux vous dire qui vous êtes et si vous êtes un enfoiré ou un type avec qui je pourrais trinquer. Hendrix n'était pas du tout un drogué, c'est moi qui vous le dis. Avec moi, ce soir-là, on a roulé quelques joints, et on a bu un peu de vin au dîner avec des amis qui faisaient de l'artisanat et accessoirement vendaient quelques joints. Hendrix était un type comme ça, simple et très timide sauf quand il mangeait. Là, il pouvait avaler un tajine de poisson sans cligner des yeux. Mais comme je vous ai dit au début, je ne pense pas qu'il se soit esquinté la santé avec la drogue. Je crois aujourd'hui, et je peux l'affirmer, parce que c'est là le d fruit d'une expérience vécue avec un homme de son rang, je peux donc vous dire que son mal était plus subtil et plus secret. Cet homme avait du cœur, c'est moi qui vous le dis”. Joe se racle la gorge. L'émotion l'a un peu desséché. Il faut laisser couler dans cette gorge quelques gouttes de ce breuvage humain pour continuer à parler de cette nuit avec l'homme qui a gratté la guitare avec ses dents. “Je ne lui ai pas demandé une démonstration. Vous pensez bien que quand on est en présence d'un tel calibre, il faut se positionner comme son égal et ne jamais jouer les groupies. C'est une règle que j'ai apprise parce que, comme je l'ai déjà dit, j'ai beaucoup voyagé, mon ami, beaucoup et même plus que vous ne pouvez imaginer. Alors cette question de la guitare et des dents était pour moi secondaire. Le plus important ce soir-là, c'est que Hendrix a pleuré sur mon épaule. Je ne vous raconte pas de salade. Le grand, oui, l'unique Jimmy a chialé sur moi comme un bébé abandonné. Il se sentait seul, m'avait-il dit. Et je me souviens lui avoir proposé de rester avec moi à Essaouira pour quelques mois, mais il a répondu qu'il avait des contrats à honorer. Voilà pourquoi je vous dis que ce type avait du cœur. Et beaucoup de classe. Sans oublier que Jimmy était très beau garçon. Il avait du chien, le bougre, mais les femmes et lui, c'est une longue histoire…”
Joe est triste quand il aborde ce chapitre sur les femmes. Lui aussi en a bavé. Et il ne faut pas croire que parce que les hommes trinquent à la bonne santé du vieux Jimmy que Joe va nous raconter ses malheurs avec ses femmes. Il en avait comme tous les marins une à chaque port, mais il est de ceux qui ne parlent pas de leurs amours après coup : “J'ai aimé tellement de femmes que j'en ai le vertige et un soir dans un port en Grèce, j'ai failli mourir de chagrin, parce que j'avais réalisé que je m'étais attaché à une fille que je voyais depuis quelques jours. Oui, une créature grecque qui m'a jeté un sort olympique. Alors j'ai voulu sauter à l'eau et ne jamais refaire surface. Mes mais ont dû me rosser de coups et j'ai dormi pendant trois jours”.
Alors quand Jimmy en personne s'épanche par une nuit tajinée à Essaouira, il ne faut pas compter sur Joe pour nous raconter comment le bonhomme a escaladé seul son horloge, tout le long de cette tour. Un secret est un secret et jamais il ne faut cafter. Surtout quand c'est un ami que vous n'avez vu qu'une fois et qui vous a confié le fond de son cœur.
Là encore, c'est le marin qui parle et comme aurait pu le dire Jim Morrison, les deux races les plus proches sont les anges et les navigateurs. Et cela, Joe le connaît bien. “Quand on monte les vagues, on n'est plus comme les autres. On retrouve une essence que peu de gens connaissent. Nous sommes d'un coup mués en une espèce de grandeur que personne ne peut décrire s'il n'a pas affronté la nuit dans le large. Et cela, mes mais, il faut le vivre. Vous savez, j'ai un livre que je relis souvent, un grand livre, il faut le souligner d'un homme qui a fait de la mer son terrain de chasse pour décrire l'homme et l'humanité. Oui, je lis souvent des passages de Lord Jim de Conrad, et croyez-moi, ce livre me rappelle mon ami Jimmy. Et ne voyez pas là une résonance de noms. Loin de là, comme le colonel Kurtz, il faut se perdre dans la jungle, changer de visage et d'identité pour ressusciter homme dans ce monde de fous. Le reste n'est que de la mauvaise littérature”.
Joe ne tarit pas quand il se lance dans sa vie de marin rejeté par la mer. Il échafaude des théories sur l'eau et l'humain. Il décrit comment dans la nuit, on peut tous devenir des démons si la houle le décide et que dans certaines contrées connues de lui seul, il a vu des bêtes que l'esprit humain ne peut assimiler. Oui, et là, il fait une distinction nette entre l'esprit et l'âme. “Mon âme est dans une sphère et mon esprit dans une autre. Et jusqu'à ce jour, ils ne se sont jamais rencontrés. Et comme me le disait Jimmy, c'est quand l'esprit se soude à l'âme que l'homme retrouve sa part de feu, sa divinité cachée. Et tant que je baragouine dans ce bar, croyez-moi, je suis loin, très loin du compte. Je suis un fantôme errant au cœur des ténèbres et je ne vois la sortie que par bribes, comme si quelqu'un voulait que je garde en moi ce recul à l'égard du bonheur. Cela aussi, Jimmy me l'avait dit quand le cœur s'était serré et qua son enfance l'avait revisité après quelques joints bien parfumés. Mais tout cela est aujourd'hui loin derrière nous. L'important c'est qu'un jour je vais écrire un livre sur cette nuit avec Jimmy que je brûlerai à la fin comme je me le suis promis chaque matin que je me suis réveillé après une nuit aussi chargée de divorce entre l'esprit et l'âme”. Amen.


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