Un livre atypique, drôle, percutant et très profond. Avec l'humour habituel d'Afifi Mohamed Afifi est d'abord un écrivain. Il est aussi chroniqueur au mordant percutant avec cette avance sur les évènements qui en fait aussi un penseur très subtil. Dans Délire, un ensemble de situations et d'aphorismes, il dit la vie, les hommes, lui, les autres, nous et l'existence. Un bonheur condensé dans un livre passé inaperçu. Dommage ! Mohamed Afifi est une plaie pour la critique : il vibrionne au milieu des genres, saute d'un registre à l'autre et gambille comme ça sur une centaine de pages. Allez lire Délire et tentez une note de lecture ! Exercice dur qui demande d'abord de l'humilité, ensuite beaucoup de recul. Mais chez Afifi, le plus dur est de ne pas se voir dans ce qu'il écrit et ce que nous lisons. La lisière entre le mot et ce à quoi il réfère est mince, et elle éclate à la moindre pression de la part de celui qui a envie de lire entre les lignes dans ce délire très sensé. Comment qualifier son livre ? Un ensemble de situations sous-tendues par des apophtegmes laconiques et très mordants ? Pourquoi pas. Une mise en scène de la vie par ses côtés les plus anecdotiques pour en révéler la profondeur et partant la futilité. Parce que au fil des pages, il y a chez Afifi un je-ne-sais-quoi de dérangeant qui renvoie à l'absurdité de tant de choses dans cette vie. Comme ce maître nageur qui, fuyant devant le raz-de-marée, se noya dans un verre d'eau. Ou encore ce timide qui n'a jamais osé se présenter parce qu'il n'avait pas de qualités. Comment ne pas voir dans cette foultitude d'aphorismes des renvois alimentés par le vécu à des hommes comme Musil, Joyce, Char ou encore Kafka pour ne citer que quelques-uns dont la parenté idéelle paraît la plus proche. Chez Mohamed Afifi, l'humain passe par le prisme non de la satire ou du ridicule mais de l'humour, art délicat s'il en est et qui demande un estomac bien calé. Car comme dirait un ami, quand on rit de tout on se rend compte qu'on a beaucoup de mal à rire de soi. Pour l'auteur de Délire, cet exercice passe d'abord par soi. C'est là une règle d'or dans cette lecture très fine de l'âme humaine. Y voir un quelconque renvoi local (bien de chez nous comme aiment à le répéter certains) serait mutiler un livre de sa substance la plus inaliénable : son universalité. Comme si on voulait faire du Nez de Gogol un conte bien russe… ou alors du manteau (une couleur locale) qui, se baladant sur tant d'épaules, en dénudent une flopée pour montrer ce que le ventre porte. À lire Délire, on se met à penser, à réfléchir pour tenter de se dépasser. Et il faut bien prendre garde à ne pas finir comme cet homme qui a perdu l'usage de la parole après avoir embrassé une jeune fille polyglotte. Parce qu'il est possible de finir aussi dans la peau de celui qui implorait le pardon pour des gens innocents. Car voici venu le temps de la fumée sans feu. En attendant une réédition de ce magnifique livre, il faut se résoudre à l'idée que les stocks sont épuisés…