Maroc-France. Abdellatif Hammouchi s'entretient à Rabat avec la directrice générale de la Sécurité intérieure française    Pêche maritime. Plus de 7 MMDH de produits commercialisés au Maroc    Recettes douanières : 65 MMDH à fin août    Info en images. Inauguration de la nouvelle gare ferroviaire de Taza    CAN 2025 : La vente des billets démarre le 25 septembre 2025    Santé : Tahraoui s'enquiert de l'avancement des projets hospitaliers dans la région de Laâyoune    La Fête du Cinéma revient pour une 2e édition du 11 au 14 septembre 2025    Le commerce mondial des services en vitrine à Pékin lors du CIFTIS 2025.    Contradiction algérienne : dénoncer Israël en public, voter la solution à deux Etats en coulisses    Assassinat de Charlie Kirk : le suspect est un jeune de 22 ans arrêté dans l'Utah    L'ONU adopte la « Déclaration de New York » pour la solution à deux Etats    Brésil : Jair Bolsonaro condamné à 27 ans de prison pour tentative de coup d'Etat    Madrid évoque l'exclusion d'Israël du Tour d'Espagne sur le modèle des sanctions contre la Russie    Sahara : Staffan De Mistura réaffirme le rôle de l'Algérie comme partie prenante au conflit    Championnats du monde d'athlétisme: 33 médailles, dont 12 en or, bilan de la participation marocaine en 19 éditions    Ligue 1 : Hamza Igamane prêt à marquer l'histoire du LOSC    Real Betis : Pelligrini salue l'arrivée d'Amrabat et souligne son rôle clé au milieu    Achraf Hakimi plébiscité par la presse française : le Maroc rêve du Ballon d'or    Retraites : Akhannouch conditionne la réforme à un accord social    L'Poufa : La drogue qui alarme le Maroc    Températures prévues pour le samedi 13 septembre 2025    Pékin et le Maghreb consolident leur dialogue pour un partenariat gagnant-gagnant    Prix IMA de la mode: 12 Marocains parmi les finalistes    Taghazout Bay to host African Triathlon Cup and Moroccan National Championship final in 2025    Des parents protestent contre «les expulsions arbitraires à l'école affiliée à l'Université Al Akhawayn à Ifrane»    Réforme du Conseil de la presse : Les syndicats de journalistes écrivent au chef du gouvernement    Pays-Bas : L'adolescent d'origine marocaine à Urk victime d'une erreur judiciaire    Afro Basket U16 2025 : Les Lionceaux sauvent finalement l'honneur !    « Bloquons tout » : Heurts et manifestions à Paris, Lyon, Marseille et Montpellier    Sebta : deux anciens responsables sanctionnés pour expulsion arbitraire de mineurs marocains    L'Istiqlal rend un vibrant hommage à la mémoire de Mohammed Maelaïnin    L'Humeur : Excédé, Hajib tire dans le tas    Bouznika : Cinq jours au rythme du Camp d'Eté des Jeunes, initié par l'Association Tarbia et Tanmia (ATT)    Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire met en garde contre de faux jugements liés au mariage polygamique au Maroc    Festival du film Panda d'or : 5 343 œuvres en compétition pour 27 récompenses    Le prix du Panda d'or incarne la richesse et la diversité culturelles    Edito. Mistral AI, vous connaissez ?    Instabilité au Népal : 51 morts et 12.500 détenus évadés    CAF launches 100-day countdown to AFCON Morocco 2025    L'Université Euromed de Fès primée à Prague par le prestigieux "Alliance University of the Year"    Soufiane Boufal dément les rumeurs sur le décès de sa mère    Le Grand Prix d'Afrique invite à la Cité du Cheval de Bouskoura pour sa quatrième édition    Secteur du FMCG : BLS de Moncef Belkhayat signe le plus grand contrat d'entreposage au Maroc    Paiements électroniques : Visa affirme ses ambitions pour le Maroc    Marché immobilier : Les transactions chutent de 10,8 % au T2-2025    Espagne : Un employé municipal arrêté pour avoir inscrit illégalement 400 Marocains    L'exposition d'art pop arabe s'ouvre à Washington, célébrant la créativité marocaine et arabe    Lancement de la 2e édition de la Fête du Cinéma    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



«Ghinaa al aïta», histoire d'un art décrié qui a eu la faveur des rois
Publié dans La Vie éco le 16 - 03 - 2007

Vous vous intéressez à la «aïta» ? Plongez-vous vite dans l'étude en langue arabe de Hassan Nejmi, intitulée sobrement «Ghinaa al aïta». La première partie de ce travail, où l'auteur retrace la genèse et le parcours de cet art musical de manière exhaustive, en s'appuyant sur des sources solides,
en fait un ouvrage de référence dans le domaine. Compte rendu.
Au Maroc, tout commence et finit par des chansons. Dans ce pays, à la fois immuable et changeant, vagues et vogues musicales se succèdent, lassent, passent et trépassent. A l'exception notable de la ala, du malhoun et de la aïta qui, malgré leur âge canonique, ne cessent de mener les Marocains par le bout du cœur. Avec un avantage «numérique» à la dernière nommée, dans la mesure où son domaine s'étend de Tanger à Essaouira, de Tétouan au bassin du Sebou et de Béni Mellal à Marrakech, tandis que l'aire d'implantation de la ala est circonscrite au triangle Tétouan-Fès-Rabat, et que le malhoun a pris souche uniquement à Meknès, Marra- kech et dans le Tafilalet.
Tenue pour un style mineur, la «aïta» est marginalisée par les chercheurs
Pourtant, sa prééminence géographique ne vaut pas à la aïta les égards des chercheurs qui s'obstinent à la reléguer dans les limbes. Ce traitement de défaveur, soutient Hassan Nejmi dans le prologue de son ouvrage Ghinaa al aïta (*), elle le doit à son appartenance à la sphère de l'oralité, incompréhensiblement snobée par le travail scientifique. Pour l'auteur, il ne fait aucun doute que la aïta, qu'il préfère ranger dans la catégorie «musique traditionnelle» plutôt que dans celle de la «musique populaire», possède des traits caractéristiques qui la rendent justiciable d'une approche scientifique. A savoir l'ancienneté de ses origines, son appui sur la transmission orale, sa liaison organique avec le contexte culturel, l'ensemble de valeurs dont elle est porteuse, les croyances et pratiques qui la déterminent ou la justifient.
Parmi les motivations pour son étude de la aïta , il y a certes chez Hassan Nejmi le souci de célébrer un art déprisé par la culture dominante dans la même proportion qu'il est prisé par les cultures locales, mais aussi la passion d'une tradition dont il a été et demeure imprégné. «En ce qui me concerne, la poésie de la aïta fut mon chant primal, la première voix qui s'est incrustée en ma mémoire. Tant lors des baptêmes ou des circoncisions que dans les mariages, les moussem, ou à travers les défunts 78 et 45 tours, ce n'étaient ni la poésie arabe ancienne ni la moderne qui parvenaient à nos oreilles, mais la aïta, poésie et chant», se souvient-il. Pour autant, le regard qu'il pose sur l'objet de sa réflexion n'est pas embué pas cette empathie, mais étonnamment distancié.
Ghinaa al aïta se déploie sur deux tomes d'une bonne consistance chacun. Le premier détaille, à l'aide de documents passés au crible de la crédibilité, les instants significatifs de l'histoire de la aïta , reconstituant ainsi sa trajectoire. Le second a une valeur plus théorique, puisqu'il dresse une cartographie de la aïta, en propose une classification et en démonte la structure. Un exercice qui, bien que brillamment conduit et clos pertinemment par un florilège d'articles de musiciens, musicologues et ethnomusicologues sur le sujet, n'est pas inédit (voir les contributions de Idriss Idrissi, Abbas Al Jirari, Mohamed Bouhmid, Saïd Yaktine ou Hassan Bahraoui). En revanche, la partie historique est originale. Et c'est elle qui fait de Ghinaa al aïta une œuvre sans équivalent jusqu'ici.
La «aïta» naît sous les climats rigoureux des Almohades
Par une des facéties dont l'Histoire n'est pas chiche, c'est sous le règne almohade (1147-1269) qu'éclot la aïta . Nul n'ignore qu'il s'agit là de la dynastie, du moins dans les premiers temps, la plus austère, la plus puritaine, la plus rigoriste. A l'image de son chef spirituel, Mehdi Ibn Toumert qui, de retour d'Orient, arpente les rues de Fès, faisant feu de tous les «péchés» dus à la permissivité des Almoravides, agressant les femmes non voilées, vouant aux gémonies les hommes voilés à la mode saharienne, brisant les cruches de vin et cassant les instruments de musique. Lorsque ses disciples parviendront à élever leur dynastie sur les décombres «immoraux» des Almoravides, ils vont appliquer à la lettre son intégrisme virulent. Tous les arts sont excommuniés sans appel. Le chant est condamné à rester sans voix.
Les instruments de musique sont considérés comme des inventions du diable, seul le tambour trouve grâce aux yeux de ces Savonarole, le tambour de guerre, bien entendu, pour ses vertus exaltantes, et celui d'Allah, le def, en raison de son essence spirituelle. Sur ce terreau outrageusement hostile va germer le «âroubi», à la faveur de l'arrivée massive au Maroc de tribus arabes, particulièrement les Bani Hilal et Bani Souleim, qui se sont établis dans les plaines de Doukkala, Chaouia et du Haouz.
Moulay Hassan Ier confèreà la «aïta» ses lettres de noblesse
Il faudra attendre que les Almohades soient détrônés par les Mérinides (1269-1420) pour que ce style, qui n'est pas encore appelé aïta, soit pourvu d'un support linguistique distinctif. Ce sera la darija, une sorte de «créole» formé d'amazigh, d'arabe classique et de parler andalou, entre autres ingrédients. Avec elle naît la poésie orale marocaine, dont peut se nourrir la aïta. Fleur à peine éclose, celle-ci va s'épanouir en toute quiétude sous les Mérinides.
Car, bien que propageant le culte des saints, leurs sultans sacralisent la musique sous toutes ses formes. Leurs successeurs, les Saâdiens (1554-1659), cousus d'or, feront encore plus fort dans cet engouement pour la musique, sans laquelle une fête est fade. Et de fêtes, les Saâdiens raffolent. Tout y prétexte. Même la mort. En effet, beaucoup imposent à leurs héritiers de fêter leur disparition. Il va sans dire que dans ce contexte si stimulant, la aïta est à la fête. Mais bientôt elle va déchanter. Indignés par ces excès, les fqih promettent les foudres de l'Apocalyse à leurs auteurs. Les musiciens sont visés en premier. Et c'est la aïta qui en pâtit le plus, étant liée, dans l'esprit des gardiens de la morale, à la luxure, au stupre et au sybaritisme. Du coup, son élan est rompu.
La aïta ne reprendra véritablement vigueur, observe Hassan Nejmi, que sous le règne du sultan alaouite Moulay Hassan 1er (1873-1894). Sous son aile tutélaire, les expression musicales s'épanouissent, «en particulier la aïta qui a été hissé au même rang que la ala et le malhoun; aussi bien dans la société qu'à l'intérieur des palais», affirme Hassan Nejmi, en ajoutant que «le XIXe siècle est l'âge d'or de la aïta par excellence». Doté d'un goût sûr mais électique, Moulay Hassan porte une grande attention à la aïta, qu'il convoque dans ses loisirs, ses fêtes et ses harka. Grâce à cet intérêt royal, des cheikhate se font un nom, telles Lahouija, Al Idrissia, Massouda Rbatia, Habiba Rbatia, Aïcha Larbi, Tajina… Mais sa préférée, raconte-t-on, est une certaine Tounia de Marrakech, à laquelle il fait des ponts d'or. Vrai ou faux ? Peu importe, ce qui est certain, c'est que le Sultan Moulay Hassan a donné un lustre à la aïta.
Du temps du Protectorat, les caïds furent des protecteurs de la «aïta»
Avec l'émergence du phénomène caïdal, la aïta va réellement prospérer. Les caïds ont cette particularité d'apprécier, sans compter leurs deniers, la compagnie des chioukh et des cheikhate. Ainsi, Aïssa Ben Omar Al Abdi, un vrai satrape, dont le talon d'Achille est sa passion pour la musique traditionnelle, au point de le conduire à organiser dans ses palais des séances destinées à affiner des âyout. Mais cette réputation de protecteur de la aïta va être ternie par ses démêlés avec la cheikha Hadda Zaydia Al Ghiyata. N'en pouvant plus d'être tyrannisés par le caïd, les membres de la tribu des Aoulad Zayd décident de secouer leurs fers. Hadda se fait leur porte-voix dans ses chants.
Le caïd la pourchasse. Elle s'enfuit. On la rattrape. Elle est incarcérée, puis emmurée dans un lieu autour duquel on allume un feu qui n'est pas de joie. Cependant, cette tragique affaire n'empêchera pas le caïd Ben Omar Al Abdi de demeurer dans la mémoire locale comme le bon Samaritain de la aïta , surtout la hasbaouiya, dans laquelle s'illustreront les cheikh et cheikhate Daâbaji, Bouchaïb Ben Aâguida, Ayda, Hamouniyya, Fatna Bent Al Houcine…
Le cas de Aïssa Ben Omar Al Abdi est exemplaire de ces édiles qui ont donné un coup de fouet à la aïta. On peut citer également le pacha Thami El Glaoui, tout aussi sanguinaire que Aïssa Ben Omar, mais tout aussi attentionné envers les cheikhate, surtout les trois sœurs surnommées «Assardinate», qu'il comblait de ses largesses. Ou encore le caïd Miloud Alîyadi Ben Hachmi, dont la aïta haouzia s'est fait le chantre, tellement il était munificent avec ses servant(e)s.
Une fois l'ère caïdale révolue, le chemin de la aïta ne fut plus de roses. Aujourd'hui, ce ne sont pas les chioukh et les cheikkhate qui manquent. Mais leur art est dévalorisé par la bien-pensance, honni, à cause de sa «perversité», par les bigots, exploité par l'industrie du disque. Et surtout affecté d'un immobilisme hallucinant. A quelle époque remonte la dernière aïta ? Personne ne s'en souvient, tant c'est lointain. «A jalinni ya baba»


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.