Alors que le paiement électronique connaît une croissance fulgurante dans le monde, le Maroc accuse encore un retard marqué, dominé par la persistance du cash et des moyens traditionnels. Pourtant, le potentiel est immense : ménages et entreprises brassent plus de 220 milliards de dollars par an, dont seule une fraction passe par les canaux digitaux. Dans ce contexte, Visa, présent au Maroc depuis près de vingt ans, multiplie les initiatives pour accompagner cette transition. Invité des Inspirations ECO, son Directeur Général Maroc, Sami Romdhane, met en lumière les opportunités, mais aussi les défis structurels et culturels qui restent à surmonter. Le paiement électronique au Maroc se trouve à un tournant décisif. Porté par l'innovation technologique, l'ouverture du marché aux fintechs et la volonté politique d'accélérer l'inclusion financière, il représente aujourd'hui une opportunité majeure pour l'économie marocaine. Mais malgré les avancées indéniables, le cash reste roi et les paiements électroniques peinent à s'imposer massivement. Invité des Inspirations ECO, Sami Romdhane, Country Manager de Visa Maroc, dresse un état des lieux précis et sans complaisance de cette transformation en cours. Son analyse s'appuie sur une étude inédite, qui éclaire sur les forces, les faiblesses et les perspectives du secteur. Présente dans le Royaume depuis les années 1980, Visa a d'abord introduit ses cartes pour accompagner l'essor du tourisme et répondre aux besoins des visiteurs étrangers. La marque a franchi une étape supplémentaire avec l'émission des premières cartes Visa locales. L'ouverture d'un bureau à Casablanca, il y a vingt ans, a marqué un tournant stratégique. Visa a élargi ses partenariats au-delà des banques, intégrant désormais les fintechs, les startups, les opérateurs télécoms, le gouvernement et même le monde académique. «Notre rôle est d'accompagner l'ensemble de l'écosystème marocain dans cette transition vers les paiements digitaux», explique Sami Romdhane. Une étude inédite pour cartographier le marché Réalisée par un cabinet international spécialisé, une étude inédite en partenariat avec le ministère de l'Industrie et du Commerce, avait pour objectif de cartographier les pratiques de paiement des entreprises marocaines, d'identifier les opportunités et les freins à l'adoption du paiement électronique et de quantifier le potentiel de croissance. La méthodologie a combiné des interviews qualitatives et des analyses quantitatives. Plus de 80% de l'échantillon était composé de nano-entreprises, micro-entreprises et PME, afin de refléter la réalité d'un tissu entrepreneurial largement dominé par ces structures. Les grandes entreprises ont également été incluses, mais leur poids en termes de données étant déjà mieux documenté, l'accent a été mis sur les petites structures. «Nous avons voulu scanner tout le paysage, des artisans aux grandes entreprises. L'idée était de comprendre non seulement les opportunités mais aussi les défis auxquels chaque catégorie fait face», détaille Romdhane. Les résultats de l'étude révèlent que les dépenses annuelles des ménages marocains s'élèvent à environ 80 milliards de dollars. Mais seuls 10% de ces paiements passent par la carte bancaire, soit à peine 8 milliards de dollars. Le reste se partage entre virements (10%) et surtout cash et chèques (près de 80%). Pour les entreprises, le constat est encore plus frappant. Le volume global de dépenses atteint 140 milliards de dollars par an, mais les paiements électroniques n'y représentent que 1% à 2% au maximum. «C'est dire l'ampleur de l'opportunité. Nous parlons d'un marché gigantesque encore largement inexploité par le digital», insiste le directeur de Visa Maroc. Des bénéfices tangibles Autre enseignement majeur : 40% des PME disposent de cartes commerciales, mais plus de 70% de leurs transactions B2B se font encore par chèque ou par virement. Selon Romdhane, ce paradoxe s'explique par le manque d'acceptation. «Les entreprises ont bien les cartes, mais beaucoup de fournisseurs n'acceptent pas ce mode de paiement. Les sociétés se retrouvent donc contraintes de continuer à utiliser les solutions classiques», explique-t-il. L'étude confirme également que les entreprises qui franchissent le pas du paiement électronique y trouvent un bénéfice immédiat. Ainsi, deux tiers des PME digitalisées déclarent avoir enregistré une hausse de leur chiffre d'affaires, et 69% affirment vouloir investir dans de nouvelles solutions de paiement dans les prochaines années. Une précédente étude de Visa, menée en 2020, avait déjà établi que les entreprises adoptant le paiement électronique voyaient leur revenu augmenter de 30% ou plus. «Le simple fait d'avoir un terminal de paiement électronique entraîne un panier moyen plus élevé. De plus, cela permet d'attirer une clientèle comme les touristes, pour qui le paiement digital est naturel», souligne Romdhane. Malgré ces avantages, plusieurs obstacles freinent l'adoption. Le premier est le coût : un terminal de paiement peut coûter entre 400 et 500 dollars, avec des frais mensuels compris entre 200 et 300 dirhams. Le second est culturel, lié à une méfiance ou une méconnaissance du digital. «Parfois, il suffit d'expliquer aux commerçants que la solution est simple et à leur portée pour lever leurs hésitations. Ce travail de pédagogie reste essentiel», note Romdhane. Enfin, le cash conserve une place prépondérante dans l'économie : sa masse continue de croître, même si, en pourcentage, les paiements électroniques gagnent peu à peu du terrain. Pour le patron de Visa Maroc, les perspectives restent résolument positives. «Je suis très bullish sur l'avenir des paiements électroniques au Maroc. L'adoption suit naturellement la croissance économique, et chaque innovation, qu'il s'agisse de la carte à puce, du sans contact ou du paiement tokenisé, entraîne une accélération exponentielle de l'usage», affirme-t-il. Selon lui, deux leviers principaux permettront de consolider cette dynamique. D'une part, l'innovation technologique, qui rendra les solutions plus accessibles et plus adaptées, et, d'autre part, l'éducation financière, qui permettra de lever les freins psychologiques et culturels. Ces conditions réunies, le Maroc pourrait rapidement franchir un cap et devenir un hub régional du paiement électronique en Afrique. Bio express À la tête de Visa Maroc depuis 2016, Sami Romdhane cumule plus de quinze ans d'expérience dans l'industrie des paiements et des services financiers. Avant de rejoindre Visa, il a occupé plusieurs postes de responsabilité dans des multinationales opérant dans les technologies financières et le conseil stratégique, ce qui lui a permis de développer une expertise solide dans la digitalisation des services financiers et l'accompagnement des marchés émergents. Diplômé en ingénierie et en management, il a conduit de nombreux projets de transformation digitale en Afrique du Nord et au Moyen-Orient avant de prendre les rênes de Visa au Maroc, où il œuvre à accélérer l'inclusion financière et l'adoption des paiements électroniques. Le Maroc, un marché stratégique Le Maroc occupe une place de premier plan dans la région NALP (North Africa, Levant, Pakistan) au sein de la zone CEMEA (Central Europe, Middle East and Africa), qui regroupe près de 90 pays. Avec l'Egypte et le Pakistan, le Royaume est identifié comme un marché clé, bénéficiant d'une attention particulière et de plans d'investissement significatifs. Depuis trois ans, Visa a intensifié sa présence locale avec le renforcement des équipes, la relocalisation dans de nouveaux bureaux pour accueillir l'expansion du personnel et l'intégration de toutes les fonctions de l'entreprise sur le marché marocain. Aujourd'hui, l'équipe locale, composée d'une trentaine de collaborateurs, gère à la fois le Maroc et, plus largement, la région NALP et CEMEA, assurant ainsi un focus stratégique et opérationnel sur le développement du paiement électronique dans le pays. Le Maroc représente également un laboratoire pour l'innovation et la digitalisation des paiements. Les partenariats avec les banques, les fintechs, les opérateurs télécoms et le gouvernement permettent de déployer des solutions avancées, telles que le paiement tokenisé, le Tap to phone ou le double-clic sur mobile et montre. Cette stratégie vise notamment à accompagner le Maroc pour les grands événements sportifs internationaux, comme la CAN 2025 et la Coupe du monde 2030, tout en accélérant l'adoption quotidienne du paiement électronique par les consommateurs. La priorité accordée au Maroc se traduit par une approche globale qui combine infrastructures, adoption par le consommateur, sécurité et innovation, positionnant le pays comme un marché de référence pour Visa sur le continent africain et au sein de la zone CEMEA. Un opérateur à cheval sur la régulation La collaboration entre Visa et Bank Al-Maghrib (BAM) est ancienne et structurante. Depuis les premières transactions Visa au Maroc, BAM joue un rôle de régulateur en veillant à la conformité des produits et services proposés par les banques marocaines. Le partenariat s'étend à des actions conjointes d'éducation financière, notamment via la Fondation marocaine de l'éducation financière. Il se manifeste aussi à travers des événements spécialisés comme les FinTech Days de 2024 et 2025, organisés en collaboration avec BAM, pour stimuler l'innovation dans les paiements. «Nous sommes très proches du régulateur. Tous les produits Visa émis par les banques marocaines le sont dans le cadre fixé par Bank Al-Maghrib. Et nous travaillons ensemble pour que l'éducation financière et l'inclusion soient au cœur des priorités», souligne Romdhane. Sanae Raqui & Maryem Ouazzani & Hicham Bennani / Les Inspirations ECO