Avec un objectif de taux de croissance de 7%, le programme économique du parti Justice et développement paraît ambitieux. Il ne saurait en être autrement pour un parti qui est dans l'opposition depuis sa création. Celui du parti de l'Istiqlal, avec un objectif de taux de croissance de 5%, paraît plus raisonnable. Logique aussi de la part d'un parti qui est au pouvoir depuis plus d'une décennie. Ces partis, aux trajectoires différentes, sont aujourd'hui appelés à former l'épine dorsale de la nouvelle majorité. Aussi, au-delà des ambitions différenciées, il convient en cette période cruciale de juxtaposer leurs deux programmes économiques pour mettre en évidence les points communs. Il convient surtout de le faire pour souligner les divergences fondamentales qui risquent de peser sur l'harmonie de la majorité en gestation et plus encore sur l'action gouvernementale lors du mandat qui s'ouvre. Si le PJD est ressorti en grand vainqueur du scrutin législatif du 25 novembre dernier, avec 107 sièges au parlement, il doit former une coalition pour pouvoir gouverner. Aussi, le nouveau Premier ministre, Abdelilah Benkirane, a clairement admis : «Notre programme doit être revu à lumière de celui de nos alliés». Le PJD est donc disposé à composer, il n'a d'ailleurs pas le choix. Mais, peut-être aussi que cela représente sa chance. Certains mettent d'ores et déjà en avant la juxtaposition du travail de sape effectué par les cadres du PJD lors de leurs années d'opposition et l'expérience gouvernementale de ses alliés annoncés istiqlaliens. Il n'est cependant pas dit que la sauce puisse prendre aussi facilement. Tout du moins, sont-ce là les deux partis qui ont présenté les programmes les plus détaillés lors de la campagne électorale. Cela ne peut que faciliter les négociations entre les deux formations et la composition entre les deux programmes. Il faut toutefois rappeler que ces deux partis ne disposent à eux deux que de 167 sièges dans le nouveau Parlement. Il en faudrait 198 au minimum pour assoir la nouvelle majorité. La coalition en gestation ne peut se faire l'économie d'inviter d'autres partis à la rejoindre. Il faudra donc composer aussi avec le programme de ces partis. Toutefois, en attendant que les contours de la nouvelle majorité gouvernementale se dessinent de manière plus claire, nous ne pouvons que nous pencher sur les programmes des deux partis qui en forment selon toute vraisemblance le noyau. Croissance Pour Adil Douiri, président de l'Alliance des économistes istiqlaliens et l'un des principaux artisans du programme économique du parti de la balance, l'économie internationale et notamment celle de notre principal partenaire, l'Union européenne, s'engouffre dans une période trouble. Aussi, appelle-t-il à beaucoup de retenue en ce qui concerne les objectifs de croissance. Il explique d'ailleurs que les difficultés de l'UE devraient coûter au Maroc 2 points de croissance. Cependant, pour Douiri, l'un des candidats istiqlaliens les plus sérieux à un poste ministériel dans le nouveau gouvernement, ces deux points de croissance peuvent être récupérés grâce à la dynamique occasionnée par l'adoption de la nouvelle Constitution. Aussi, défend-il le taux de 5% qui restera en ligne avec les performances de l'économie marocaine lors de la dernière décennie. Les vainqueurs du jour se veulent autrement plus ambitieux et annoncent le chiffre de 7%. Un chiffre qui correspond à un passage de palier pour la croissance de l'économie marocaine et qui pour beaucoup d'experts est nécessaire pour pouvoir créer des emplois suffisants pour absorber le flux des arrivants sur le marché du travail. Du côté du PJD, on compte sur la dynamique de changement, concomitante à leur arrivée au pouvoir, et l'amélioration du climat des affaires pour doper la croissance du royaume. Sera-ce suffisant ? Emploi En ce qui concerne le taux de chômage cible à l'horizon 2016, là encore le PJD se veut ambitieux et l'Istiqlal plus conservateur. En effet, le premier ambitionne de réduire le taux de chômage de 2 points durant son prochain mandant, alors que le second entend le réduire à un niveau de 8%. Quand on sait que, selon les statistiques du Haut commissariat au plan, ce taux se situait au niveau de 8,7% au deuxième trimestre 2011, le différentiel entre les objectifs des deux partis paraît important. Toutefois, cela ne concerne que les objectifs, alors qu'en ce qui concerne les moyens, les choses semblent être plus en ligne. En effet, les deux partis entendent promouvoir l'emploi à travers l'auto-emploi ou encore le soutien à la PME marocaine. Cette dernière représente d'ailleurs un autre point sur lequel il convient de s'arrêter pour apprécier la vision des deux partis. PME Le PJD s'est engagé, dans son programme économique, à garantir la participation des PME aux marchés publics pour 30% des parts au moins. Cette mesure de discrimination économique positive a le mérite de l'innovation, même si un ministre istiqlalien sortant la pratique de fait à un moindre niveau. En effet, pour des projets d'infrastructures de transport, portés par l'istiqlalien Karim Ghellab, la volonté était affichée de concevoir un allotissement qui facilitait l'accès de la PME marocaine à des marchés de grande envergure. Ce fut le cas pour le projet de train à grande vitesse où ce genre de mesure était érigée en vecteur de transfert industriel des fournisseurs étrangers vers la PME marocaine. Autre point qui concerne toujours la PME et qui ouvre par là même un autre volet du comparatif entre les programmes des deux partis, le régime fiscal des PME. Pour les cadres du PJD, il est nécessaire de rehausser le plafond du chiffre d'affaires assujetti au taux de 15% à 5 millions de dirhams au lieu de 3 millions de dirhams actuellement. Pour l'Istiqlal, la solution est ailleurs, et selon son programme, le mieux serait de laisser le plafond inchangé et de baisser le taux en vigueur à 10%. Une fois au gouvernement, il faudra trancher entre les deux options. Aussi, cela pourrait surtout dépendre de la personne désignée au poste de ministre de l'Economie et des finances. Les choses seront sensiblement différentes si c'est par exemple le PJDiste Lahcen Daoudi qui est porté à ce poste ou bien l'Istiqlalien Adil Douiri... Fiscalité En matière de fiscalité en général, les deux partis s'accordent sur la nécessité de réduire la pression fiscale sur les revenus. Ils s'accordent aussi sur la nécessité de promouvoir la redistribution des richesses, notamment à travers l'augmentation de la contribution pour les hauts revenus et la réduction de la charge fiscale de l'IR pour les catégories défavorisées. Les deux partis ont en fait très bien compris que la pression sociale se fait de plus en plus lourde et que d'ailleurs, le prochain gouvernement sera avant tout jugé sur le volet social. C'est pourquoi les deux partis entendent introduire une taxe sur les produits de luxe. Pour le reste, le PJD va plus loin en épousant une doléance des patrons marocains, proposant un impôt sur les sociétés à 25% et voulant adopter un nouveau système de la taxe sur la valeur ajoutée pour d'un côté élargir l'assiette et d'un autre baisser la charge fiscale. Déclaration de politique générale Ces quelques thèmes abordés à l'aune des programmes politiques de l'Istiqlal et du PJD sont loin d'être exhaustifs. Ils permettent toutefois de clarifier un tant soit peu les enjeux des négociations futures entre les deux partis. Il faudra cependant attendre que les choses se décantent, que toutes les composantes de la nouvelle majorité soient clairement identifiées pour envisager une feuille de route claire de l'action gouvernementale. Sans doute faudra-t-il attendre la déclaration de politique générale du nouveau chef de gouvernement. En attendant, les jeux sont faits, mais les paris restent ouverts.