Depuis l'avènement de l'intelligence artificielle, de plus en plus de tâches sont déléguées à des assistants numériques, portées par la recherche sur les moteurs génératifs et, plus récemment, par la montée en puissance des agents autonomes. À l'heure où l'agent IA s'empare de l'expérience voyageur, le secteur du tourisme demeure à la traîne. Longtemps, partir en virée obéissait à un rituel bien minitueux. À l'approche du départ, l'excitation est telle qu'il est coutume de comparer les vols, évaluer les établissements d'hébergement, et de consulter blogues et forums en vue de dénicher les bons plans de la destination visée. Mais, depuis l'avènement de l'intelligence artificielle, ces tâches sont de plus en plus déléguées à des assistants numériques, portées par la recherche sur les moteurs génératifs (generative engine optimization) et, plus récemment, par la montée en puissance des agents IA. En une simple requête, un assistant intelligent identifie les préférences, établit un itinéraire, suggère un hébergement et procède, le cas échéant, à la réservation. Avantage compétitif Au-delà du confort d'usage, l'enjeu est de taille pour l'industrie du tourisme. Si elle a le mérite de condenser des heures de recherche en quelques secondes, l'IA redéfinit de fond en comble les équilibres du secteur. «Désormais, les agents IA anticipent les préférences, croisent les données et affinent les propositions selon le profil du voyageur. Nous sommes passés d'un modèle qui propose des choix, et où l'utilisateur disposait d'une certaine marge de manoeuvre, à un modèle de suggestion», analyse Ahmed Aberkan, cofondateur de New Amsterdam AI. Un avantage concurrentiel net pour les grandes plateformes de voyage, qui ont déjà intégré ces agents au cœur de leurs moteurs de réservation. À commencer par Booking.com qui a lancé son AI Trip Planner en juin 2023, permettant de dialoguer en langage naturel pour affiner une destination, bâtir un itinéraire et accéder à une multitude d'options de réservation. Le dispositif a été élargi en 2024 à de nouveaux usages et marchés, puis renforcé en 2025 par les agents IA, à même de gérer l'après-réservation, de l'assistance vocale aux modifications et annulations. De son côté, le groupe Expedia a lancé, courant 2023, une expérience de planification in-app propulsée par ChatGPT. En 2024, le groupe a présenté Romie, un compagnon d'IA pensé pour accompagner la recherche, la réservation et le suivi du voyage, avec des tests publics et des intégrations progressives dans son écosystème. Cette bascule, à première vue discrète, témoigne d'un changement de paradigme où les algorithmes prennent le relais et où la prise de décision semble échapper peu à peu aux voyageurs. Secteur à la traîne Au Maroc, cette transformation technologique s'invite dans un secteur en pleine expansion. Le Royaume a accueilli 17,4 millions de visiteurs en 2024, soit 35% de plus qu'avant la pandémie. Une performance qui place le pays au deuxième rang des destinations africaines. Or, force est de constater que depuis la crise sanitaire qui a incité de nombreux établissements à accélérer leur transition numérique très peu d'acteurs intègre l'IA dans leurs processus internes. Pourtant plusieurs programmes d'aide et d'accompagnement sont lancés par la SMIT afin d'encourager les hôteliers à investir dans des solutions technologiques innovantes et à moderniser leurs opérations. Lancé en 2024, le programme Go Siyaha illustre cette prise de conscience. Il vise à accompagner 1.700 entreprises du secteur dans leur modernisation, en finançant jusqu'à 90% de leur transition digitale. Près des deux tiers des demandes reçues concernent l'appui technique à la transformation numérique. «Les opérateurs savent que leur survie dépend désormais de leur présence sur les plateformes conversationnelles», précise ce consultant en stratégie digitale, mais peu disposent des compétences pour y apparaître efficacement». À l'heure où les voyageurs s'informent de plus en plus, via des agents d'IA, les acteurs locaux risquent d'être relégués à l'arrière-plan des résultats automatisés. Avec la généralisation des «zero-click searches», les internautes obtiennent désormais leurs réponses directement depuis les synthèses générées par l'IA, sans même visiter les sites d'origine. Selon une étude récente, les taux de clics ont chuté de 30%. Pour les professionnels du tourisme, le défi n'est donc plus seulement d'être visibles, mais d'apparaître dans leurs résultats générés par LLM. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO